Coup de tonnerre. Grêle. Foudre. Le sol s’affole et tremble de tous ses grains de poussière.
— Je ne veux pas mourir…
Pourtant, telle la chandelle des veillées de Noël, il se sent s’éteindre tout au fond de son être. Il est désespéré, angoissé, apeuré.
Sous une averse de feuilles charriées par la bise glaciale, il se surprend à fouiller les profondeurs de son âme. Autour de lui, tous cherchent à comprendre.
— Que lui arrive-t-il ? Pollution, pesticides, canicule ? Sécheresse, peut-être ? — Ce que je peux affirmer, c’est que ce n’est pas encore la vieillesse…
Partout, l’automne affiche sa mine de requiem. Ciel gris ; tramontane piquante ; soleil exsangue. Tandis que les escargots du voisinage s’en vont à l’enterrement des feuilles rousses, lui, il réfléchit :
— Je n’ai rien d’exceptionnel. Mon petit jardin, mon trésor de verdure, suffit à mon bonheur. J’aime ces brouillards qui enferment mes rêves dans la rosée du matin. J’aspire à voir couler l’eau du ciel, sentir les rayons du soleil ; des choses simples. Pourtant, combien de fois ai-je succombé au charme de cette langoureuse voix qui me souffle : « Vis ! Profite de la vie ! On n’a qu’une vie, après tout… » Aujourd’hui, je me sens vide. Si vide. Vide de cette vie que partout on me vend à prix cassés. Prix sacrifiés ! Mais qui est sacrifié dans cette histoire de soldes ? J’en ai marre de cette vie bradée. Marre de vivre une vie au rabais ! Elle n’a donc aucune valeur, ma vie ? Avez-vous déjà vu une vie clouée sur une croix ? Je suis vide de vie. Vide d’amour. Empli de néant. À quoi bon la vie si elle est vide ? Elle n’a aucun sens. Me suis-je trompé ? Ai-je suivi un chemin dangereux ? Ne suis-je qu’un pitoyable prisonnier enraciné dans une mauvaise terre ?
Alors qu’il s’enfonce un peu plus profondément dans la froide nuit, une tempête de honte et de crainte mêlées le saisit, le torture. Il se sent si minable, si misérable. Éloigné de l’essentiel…
Indifférents ou moqueurs, les arbres alentour achèvent de perdre leurs feuilles multicolores. Ils sont aussi nus qu’ignorants. Leurs branches se balancent ici, se courbent là, se tordent ; parfois implorant je ne sais quel incompréhensible dieu.
— Écoute le vent, murmure une douce brise. — Vivre éternellement ?
Il regarde cette lumière arc-en-ciel qui parcourt le firmament. Elle enveloppe la Terre d’un amour glorieux. On dirait un pont lancé du ciel pour rallier le monde des hommes.
Alors, ses larmes se déversent sur l’humus gelé. Il se prosterne et dit « oui ! » de toute son âme. Oui à la lumière ; oui à ce pont ; oui à la vie ; oui à la vérité !
La neige fond sous un soleil radieux. La mortelle désespérance l’abandonne en se tortillant comme un serpent blessé. Trempé de lumière, il reverdit sous la pluie du ciel printanier. La sève le réveille, vivifie ce corps rugueux, marqué par le temps et les intempéries. Son cœur palpite d’une joie immense, au milieu d’un feuillage naissant.
Un oiseau babille, fièrement posé sur son épaule. Un écureuil anime ses ramures de farces, de rires et de pirouettes. La chouette trouve en lui sûr asile pour son tranquille ermitage.
Plus rien ne menace l’horizon. Le chagrin et la désolation fuient au plus vite l’hirondelle vêtue d’espérance nouvelle.
Paisible est le ruisseau qui fredonne dans la vallée tranquille. Les narcisses se mirent dans les mares et contemplent le divin amour. La colombe chante le renouveau tandis que les clochers, là-haut, sonnent l’éternité trouvée.
Et tous les oiseaux de pépier : « Il est né de nouveau ! Il était mort et le voilà rené ! »
N’est-ce pas là le miracle de la Vie ?
Jésus lui répondit : vraiment, je te l’assure : à moins de renaître d’en haut, personne ne peut voir le royaume de Dieu. Jean 3.3
Si parmi toutes les choses
Disparaît le doux parfum des roses,
Alors, laisser aller l’éphémère
Et toute sa haute sphère.
Garder toutes vérités en cœur
Pour éloigner la peur ;
Faire rire son âme
Et de sa vie écrire la trame.
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