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Celui qui faisait des portes (Nouvelle complète de Paul Clarou) (disponible en e-book)

Couverture Celui qui faisait des portes
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Je l’ai rencontré il y a quelques années, je ne sais pas son nom – lequel d’entre nous donne encore des noms à tout le monde, à toutes les choses – alors, je l’appelle « Celui qui faisait des portes ».
Dans le labyrinthe quotidien, je m’étais couché dans ce qui me semblait être une impasse calme – pas de bruits proches, aucun ronflement, juste le bruit lointain d’un casseur de murs – j’avais construit un petit mur derrière moi – j’étais très fatigué, je n’avais pas eu le courage de monter des briques jusqu’à la hauteur des murs m’environnant.
N’importe quel groupe de malfaisants à deux auraient pu l’escalader, un malfaisant seul, même, s’il était équipé d’un Objet Simple Interdit, aurait pu atteindre ma retraite. Mais je me pensais suffisamment perdu et suffisamment silencieux pour ne pas être dérangé de ma nuit. Et puis il fallait le détruire le lendemain pour repartir, ce mur, alors autant ne pas se donner trop de travail. Je connais même des gens qui ne construisent plus de murs derrière eux, ils pensent que les murs qui existent déjà suffisent à les protéger pour la nuit. Moi je n’avais pas assez confiance, et puis on se sent tellement mieux avec ses quatre murs…
Je m’étais donc couché, dans le coin avec les murs les plus hauts, le regard fixé sur le mur bas que j’avais moi-même construit, cherchant un demi-sommeil qui me reposerait de mes fatigues de la journée sans me mettre en danger. Maudit mur trop bas ! Mais ce n’est pas de ce mur qu’a surgit l’étrange. Non, c’est du mur derrière moi, un beau mur de briques, d’au moins 4 m de haut, avec plusieurs épaisseurs de briques – je m’en étais assuré en tapant dessus, à plusieurs endroits – au moins 20 cm de briques ! J’ai d’abord entendu une sorte de griffonnement assez étrange. D’autant plus étrange que je n’avais entendu aucun bruit aux alentours quand je m’étais installé, quelques heures auparavant, ni en construisant mon petit mur. C’est ce griffonnement qui me fit tourner la tête. Et ce que je vis là, pour la première fois, reste gravé dans ma mémoire comme je le vis, gravé dans la brique.
En effet, un rectangle était en train de se dessiner sur mon bon mur, bien solide, bien normal. Un rectangle de la taille d’un homme. Un rectangle plus grand qu’un homme grand – et j’en ai connu des hommes, plusieurs dizaines depuis que mon père m’a envoyé dans le labyrinthe. Quand le rectangle eût fini d’apparaitre – l’affaire d’une seconde, peut-être deux – une voix se fit entendre.
Une voix de l’autre côté du mur.
« Il y a quelqu’un ? »
Evidemment, je ne répondis pas, mon petit mur était devant moi et je me savais facile d’attaque.
« S’il y a des gens, il faut que vous bougiez ! Le mur va s’ouvrir, je ne voudrais pas vous faire mal… »
Le mur ? S’ouvrir ? J’ai supposé que c’était n’importe quoi, un piège, quelque chose ? Et puis je me suis demandé si un Destructeur de mur n’avait pas inventé une nouvelle méthode, très efficace, pour voler et tuer les autres. J’ai eu peur et n’ai pas pu contrôler mon corps. Il bondît dans un autre coin, à l’opposé de ce rectangle sur le mur.
« C’est bon, vous êtes loin de la porte ? »
Une porte ? Je ne savais plus, alors, ce que ce mot voulait dire, je ne connaissais plus beaucoup de mots, d’ailleurs, habitué à la solitude depuis si longtemps. Encore une fois, je me tus.
Et bam ! ou plutôt scrich ! La « porte » s’ouvrit ! Le rectangle de briques s’avança vers moi, assez rapidement, sur une courte distance. Comme si un mur sortait du mur, un petit mur, tout court, comme celui qu’on construit quand on est très fatigué. Puis, ce petit mur, comme poussé par une force tranquille glissa pour se superposer au grand mur derrière, laissant une grande ouverture, un trou, un trou comme je n’en avais jamais vu, net, propre, comme si le mur avait été construit avec. Je voyais ma première porte. Et au milieu de ce trou se trouvait un homme.

Il ressemblait à mon père, enfin au souvenir que j’avais – que j’ai – de mon père. Grand, portant le jean noir des simples ouvriers, un T-shirt noir sans motif non déchiré et une veste de jean par-dessus. Il ne portait ni lunettes, ni casque de chantier. Et puis un truc bizarre aussi, que je n’ai compris qu’au bout d’une minute de stupeur, il ne portait pas de traces de ciment, rien. Et pourtant ses habits n’étaient pas neufs. Pas de ciment, comme si il vivait depuis des années sans construire ni détruire de murs. Et il se tenait droit, fier, vivant. Je n’avais jamais vu un homme si vivant. Oui, « vivant », c’est le meilleur mot que j’ai pour résumer cet air à la fois passionné et calme, lumineux, décidé, heureux même peut-être– si ce mot a un sens.
« Bonsoir ! » me dit-il.
« Bonsoir. », j’avais presque oublié ce mot, et pourtant je l’avais déjà entendu, dans mon enfance, avant les murs. « Bonsoir », un homme me parlait et il me disait « bonsoir », il me souhaitait un bon soir. Comme s’il pouvait y avoir des bons soirs autres que ceux de tous les jours, ceux où on est sûr d’être à l’abri, entre quatre murs. « Bonsoir » et il s’avançait vers moi, d’un pas assuré. Mon refuge n’était pas bien grand, en deux pas, il fut à un pas de moi.
« Bonsoir !, répéta-t-il, comment vas-tu ? »
« Tu » ! Il disait « tu », comme mon père. « Tu », comme dans mon enfance. Je ne savais pas comment répondre, je ne comprenais pas bien la question, je ne comprenais rien à la situation, je savais bien que je ne rêvais pas, c’était trop bizarre pour être un rêve. Trop inimaginable. Alors, encore une fois, je me suis tu.
« Qu’est ce qui se passe, tu es muet ? »
Ce « tu », encore !
« Ou alors tu ne sais plus parler…  »
Si, je savais parler, en tout cas, j’avais réussi à crier pour faire peur à un malfaisant quelques années auparavant. Quelques années ? Qu’en savais-je… Dans ma panique, j’avais sauté loin de mon armement et, entre mon pistolet de poche et moi, il y avait cet homme. C’est donc de ma massette que je menaçais l’individu.
« Que voulez-vous ? » arrivai-je à articuler, prêt à vendre chèrement ma peau.
« Tu parles. Bien. Je voulais juste passer, je connais une prairie sympa un peu plus au sud, une prairie autour d’un lac, mais puisque je tombe sur toi, je veux aussi faire ta connaissance… Comment vas-tu ? »
Encore ! Que répondre ? Que dire ? Que faire ? Il n’avait pas l’air menaçant, pas d’arme visible, dans sa main droite, rien, dans sa main gauche un tout petit tube de couleur rouge que je n’avais jamais vu. Mais il venait de déplacer un mur ! Sans instrument et apparemment sans aide. Cet homme était dangereux. Je pris mes appuis et me préparais à lui exploser le crâne avec ma massette quand il me tourna le dos en disant  :
« Je te montre comment on va au lac, si tu veux… »
Il me tournait le dos, c’était facile maintenant de le tuer. J’avais déjà tué un malfaisant, une fois. Mais était-ce si facile ? Ce malfaisant-là était bizarre, il fallait peut-être mieux rester dans son coin, il partirait peut-être. Après tout, il était arrivé par un trou, il pourrait repartir par ce même trou !
Il s’approcha du mur à angle droit par rapport à celui par lequel il était arrivé, s’accroupit et sembla appuyer sa main gauche contre le mur, près du sol. Il se releva ensuite, leva la main au-dessus de sa tête et je vis ce qu’il faisait. Le tube qu’il tenait dans sa main gauche laissait sur le mur de brique une trace claire. Après avoir tracé une sorte de verticale, le voici qui traça ensuite une ligne horizontale avant de redescendre. Quand il se recula pour me laisser admirer son oeuvre, je pus reconnaître un rectangle du même type que celui que j’avais vu apparaître dans l’autre mur quelques minutes auparavant. Après m’avoir souri, il dit  :
« C’est une porte. Je dessine des portes. »
Puis il posa ses deux mains, à plat, sur le rectangle et le poussa. Il poussa ce morceau de mur. Et à l’endroit où le tube avait laissé une marque, se faisait maintenant une coupure nette. Nous vîmes l’autre côté, alors, d’un coup de main rapide, il envoya le morceau de mur se superposer à droite. Derrière. On ne voyait plus qu’un nouveau trou. Un trou rectangulaire dans le mur de brique.
« Tu vois, c’est simple, tu dessines une porte, puis tu la pousses ! »
C’était effectivement simple, en peu de temps, dont la majorité avait été dépensé à me parler, cet homme venait de détruire complètement le quatre-murs qui me protégeait. Son outil, son tube, était bien plus dangereux que tous les outils dont mes cauchemars avaient armé les malfaiteurs. Il pouvait entrer, passer les murs, sans effort, presque sans bruit. Je ne serai plus en sécurité nulle part. Plus jamais. Je ne pourrai jamais plus dormir sachant que les malfaiteurs avaient si peu de difficulté à contourner les murs.
« On continue ? » me demanda-t-il.
Et il disparut de l’autre côté du mur. J’avais envie de refaire les murs, là où ils étaient ouverts, de me rendormir, d’oublier ce qui venait de se passer. Mais quelle sécurité à refaire les murs si ce malfaiteur, et peut-être d’autres, pouvait les défaire aussi facilement ? Je me décalai pour voir l’homme étrange à travers le trou, la « porte » puisqu’il l’appelait comme ça. Il était déjà en train d’en dessiner une nouvelle. Il la poussa – c’était si simple – et disparut à nouveau de ma vision. Je ne bougeais pas. J’attendis. J’entendais de façon de plus en plus lointaine le bruit des murs qui s’ouvraient, des dizaines de murs qui s’ouvraient. Il s’était mis à chantonner, aussi, une chanson comme
« C’est moi qui ouvre les portes, c’est moi qui ouvre vos murs, attention, je passe, attention, ne restez pas derrière vos murs. »
Et je l’entendais s’éloigner. Mur après mur, porte après porte.
Je retournai à mes affaires, me chargeai, pris mon pistolet à la main et passai la première porte. Il n’y avait rien ni personne, juste trois murs, un couloir sur la droite et un trou dans le mur en face, un rectangle net comme les autres. Je décidai de suivre ce chemin, de toute façon je ne serai pas à l’abri tant que cette homme vivrait et dessinerait des portes… Avançant prudemment, le pistolet prêt à faire feu, je me glissai ainsi, porte après porte, derrière Celui qui faisait des portes. Soudain, la lumière augmenta dans la direction des portes. Sans comprendre pourquoi, je me mis à courir, à courir vers l’homme et la lumière.
Après une dernière porte, j’arrivais au bord d’une grande étendue d’eau et compris pourquoi la lumière y était si forte : L’étendue d’eau était si grande, les murs de l’autre côté si loin, qu’on voyait encore le soleil, pourtant si bas. Autour de l’étendue d’eau, de l’herbe, beaucoup plus d’herbe que je n’en avais vue depuis longtemps dans le labyrinthe. D’ailleurs ce quatre-murs dans lequel s’étendait l’étendue d’eau était le plus grand que j’avais vu. Je distinguais à peine tous les murs qui en formaient le pourtour. Avec le soleil couchant était apparue aussi une douce chaleur.
Il était là, allongé sur le dos, appuyé sur les coudes, le regard perdu dans l’eau, sifflotant. Il était à ma droite, je pouvais voir, toujours, le tube magique dans sa main. Il ne m’avait pas vu arriver, ni entendu. Quelle imprudence ! Je décidai de le tuer, là, près de l’eau, pour que personne, jamais, ne puisse entrer ainsi dans mon quatre-murs et me mettre en danger.
J’aurai pu vouloir l’interroger, d’abord, mais je n’y pensais pas. Je ne voulais que faire disparaitre le danger avec cet homme. Au moment où je le visais, il ouvrit la bouche, sans me regarder.
« Te voilà ! Je n’étais pas sûr que tu me suivrais ! C’est bien. » puis « Ne me tue pas, cela ne servirait à rien. Je peux te donner la possibilité de dessiner des portes toi aussi. »
Il ne me regardait toujours pas. Il y eut un silence puis il fit mine de bouger, je tirai dans sa direction, sans l’atteindre. Il me regardait maintenant. Il me regardait bizarrement comme s’il pouvait voir dans ma tête. Je n’avais qu’un second coup, je n’avais plus le droit à l’erreur.
« Veux-tu que je t’apprenne à dessiner des portes ? Tu sais, c’est facile. Tout le monde peut le faire. »
Je m’approchai. Il n’était toujours pas armé. Je visais la tête, tranquillement,
sérieusement, puis je fis feu. Cette fois-ci, la balle alla se loger dans son front. Il s’effondra. Je m’assis, sortis deux balles de mon sac et rechargeais mon pistolet.
Je relevai les yeux vers l’homme, prêt à refaire feu. La balle avait emporté le haut de sa tête, le sang avait éclaboussé l’herbe derrière sa tête, mais son sourire n’avait pas changé. Ce sourire, seul, sans les yeux, n’avait plus rien de souriant. Il ressemblait à un reproche, à une accusation. Allez, ce n’était qu’un malfaiteur, un dangereux, j’avais sauvé ma vie et probablement celle d’autres en plus de moi, des honnêtes maçons du labyrinthe. Je détournai les yeux. Le soleil se couchait derrière les murs, de l’autre côté de l’immense étendue d’eau. Une lumière orangée baignait les rives. Il ferait bientôt nuit et je me trouvais sans mur autour de moi, sans protection, près du cadavre de Celui qui faisait des portes.
Il me fallait trouver rapidement un abri pour la nuit. Plus le temps de construire un mur de protection, j’allais devoir me cacher au mieux.
Mais avant, je voulais le tube qui permettait d’ouvrir les murs. Je ne savais pas alors si c’était pour le détruire ou pour m’en servir, mais je savais qu’il fallait l’enlever au cadavre, qu’il fallait l’enlever à de potentiels malfaiteurs. Je me penchai vers le corps, dépliai sa mains gauche et y prit le tube. Enfin j’essayai, car, au moment où il quitta la peau de son propriétaire, il disparut. Je ne tenais plus rien entre mes doigts. Il n’était pas à terre, je ne l’avais pas lâché, rien. Rien, nulle part.
Je n’avais pas le temps de me poser de questions. Il fallait quitter cette zone de danger. Je partis en courant, suivant les portes pendant quelque temps jusqu’à ce que le noir de la nuit m’empêche de continuer à avancer, je me couchai alors dans le coin le plus obscur, sur mes affaires, derrière un tas de briques, le pistolet à la main et passais la nuit à surveiller les deux portes qui me faisaient face.
Le lendemain, je décidai de refermer ces « portes », ces trous dans le labyrinthe, pour la sécurité de chacun. Les pans de mur déplacés étaient solidement appuyés sur le sol. Impossible de les remettre en place. Je passais donc ma journée à reboucher les trous avec de nouvelles briques. Quand vint le soir, je m’enfermai dans mon quatre-murs et essayais en vain de rester sur le qui-vive. Pour la première fois depuis de nombreuses nuits, la fatigue me fit dormir vraiment, aucun sens en éveil.
Puis la vie reprit son cours, marcher, manger ce que les hélicos ont largué, construire son quatrième mur le soir, le détruire le matin, marcher, encore, trouver de la nourriture, de l’eau, du ciment, des briques, des outils, parfois, et repartir, rebâtir des murs, les détruire à nouveau, s’arrêter, se cacher dès qu’on entend un bruit… la vie dans le labyrinthe.
Mais je n’oubliais pas Celui qui faisait des portes. Je me surpris même, plusieurs fois, à essayer de retrouver l’étendue d’eau, vers le couchant.
Mais les ruelles de briques, les détours du labyrinthe avaient dû m’en éloigner énormément et je ne la retrouvais pas.
Un soir, alors que je finissais de construire mon mur pour la nuit, j’entendis, au loin mais s’approchant, une rumeur, un bruit de mur détruit, puis un autre quelques minutes plus tard.
Quelqu’un approchait en détruisant des murs. Un malfaisant. Encore. Mais un malfaisant normal, un de ceux qui détruisent les murs avec des Objets Complexes Interdits. J’entendis des voix : ils étaient probablement plusieurs. Mon pistolet ne suffirait pas à me défendre cette fois-ci.
Il me fallait fuir, me cacher. Je commençais par détruire le mur que je venais de construire, le ciment en était encore frais, c’était facile. Puis me mis à courir dans le dédale, essayant de m’éloigner des malfaiteurs. Mais les courbes des murs ne me le permettaient pas vraiment et j’entendais le bruit se rapprocher toujours plus.
« Veux-tu que je t’apprenne à dessiner des portes ? Tu sais, c’est facile. Tout le monde peut le faire. »
Pourquoi fallait-il que je pense à Celui qui faisait des portes maintenant ? Pourquoi pensais-je ? Il ne me fallait que courir et trouver des murs faibles à détruire ! Mais les murs qui m’entouraient étaient hauts et épais, et le bruit se rapprochait. C’est dans les situations d’urgence, je pense, qu’on fait ce que l’on aurait jamais fait dans les circonstances habituelles, ce qui n’a pas de sens. Arrivé devant un immense mur, aux briques éclaircies par le temps, les voix dans mon dos, je fis le geste absurde de dessiner, à mon tour, un rectangle sur le mur. De mon doigt nu, l’index de ma main droite – pourquoi le droite, alors que Celui qui faisait des portes utilisait sa main gauche, je m’en souvenais bien ? Je ne sais pas, un réflexe, probablement – tendu, je touchai la brique en priant la mémoire de l’homme que j’avais tué et la mémoire de mon père, les deux hommes se mélangeant dans ma peur.
Et mon doigt laissa une trace sur le mur de brique. Une trace claire, en tout point comparable à celle qu’avait faite Celui qui faisait des portes. Je mis mes mains à plat sur le mur, poussai et le mur avança ! J’avais réussi à faire une porte et à l’ouvrir, sans aucun tube, sans savoir ce que je faisais, juste poussé par la peur. Je n’avais pas le temps de comprendre. Pas le temps de penser. Il y avait les voix et le bruit des murs qui tombaient derrière moi. Je finis de pousser le mur, le décalai sur le côté d’un peu, passai puis – là encore, je ne comprends pas comment l’idée me vint – j’essayai de la remettre en place, ce qui fut fort facile. Le mur était refermé, comme si je m’étais téléporté de l’autre côté. Là encore, il fallait faire vite, je me remis en marche, mais cette fois-ci tout droit, ouvrant et refermant les murs derrière moi, comme en transe, dingue de ce pouvoir que je me découvrais. Quand, rompu de fatigue, je m’écroulai dans un coin entre trois murs après avoir refermé une porte derrière moi, ça faisait longtemps que je n’entendais plus de bruit derrière moi et j’affichais un sourire immense. Il faisait nuit depuis longtemps, je n’avais aucune idée du chemin parcouru. Je n’avais que trois murs autour de moi mais je m’endormis heureux. Je rêvais de murs à traverser, de course sans fin à travers le labyrinthe. Et, dans ma course, me rejoignait Celui qui faisait des portes, qui était mon père et qui ouvrait des portes toujours plus grandes.
A mon réveil, le lendemain, je voulu essayer ce nouveau pouvoir, je posai mon doigt contre un mur, au niveau du sol et dessinai une porte… et rien ne se passa. Pas de trace brillante. Je posai mes mains contre le mur, poussai, rien. Pas le moindre déplacement. Je recommençai l’opération. Toujours rien.
Je me concentrai. Je pris le temps de penser à Celui qui faisait des portes. Son sourire et son crâne ouvert me firent mal. Je me mis à pleurer. Depuis combien de temps je n’avais pas pleuré ! Je restai ainsi un long moment, assis par terre, à pleurer sa mort, à pleurer ma peur, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Au bout d’un temps, j’eus soif. Je vidai ma gourde et décidai d’aller à la recherche de l’eau. Mais au lieu de suivre un chemin du labyrinthe, je réessayai d’ouvrir une porte. Je posais mon index droit sur le mur, au sol, et traçai un rectangle, pas très haut. Une trace brillante apparut. Je poussai cette porte des deux mains à plat. Sans succès. La porte ne bougea pas. Je la redessinai, une fois, deux fois, trois fois. Après ce quatrième passage, la porte bougea enfin, et je pus passer le mur.
Ce jour-là, et les suivant, je m’entrainai durant des heures. Je m’entrainai et m’amusai. Je fis des portes petites, immenses – et pourtant toujours facile à pousser, des portes qui ne touchaient pas le sol – rectangles surélevés qui me permettaient de jeter un coup d’oeil dans le chemin de l’autre côté sans y aller moi-même, des portes rondes, des portes en forme de balles de pistolet, toute sortes de portes. Je me rendis compte que si je ne dessinais pas la dernière verticale et que je poussais d’une main le côté dessiné, la porte s’ouvrait en tournant autour du côté non dessiné.
Bref, je fis des expériences. Ayant réussi à remettre les pans de murs que j’enlevais, il ne m’était plus nécessaire de construire des murs pour me mettre à l’abri pas plus qu’il ne m’était nécessaire d’en détruire pour me déplacer : j’abandonnai bien vite mes outils, mon barda, mon ciment pour me retrouver chargé uniquement de ma gourde. Je découvris aussi, avec amusement, qu’un tube m’étais poussé, à moi aussi, dans la main droite, un tube avec lequel je dessine maintenant et que je ne peux pas enlever de ma main, qui est comme cimenté à ma main.
Depuis cette semaine d’exercice, je cours le labyrinthe, ouvrant des portes de toutes formes et tailles, écrivant sur les murs, à l’aide du tube de ma main droite, des invitations aux autres maçons à se libérer et à dessiner des portes, eux aussi. Je cherche des gens à qui apprendre à utiliser leur main pour changer le labyrinthe, pour changer de vie. J’ai retrouvé l’immense étendue d’eau, j’y retourne souvent, je vais m’y baigner et y laver mes vêtements. Je n’y ai pas retrouvé trace du cadavre de Celui qui faisait des portes. Je me prends à espérer que je ne l’ai pas vraiment tué et qu’il parcourt encore le labyrinthe en chantant et qu’un jour nous allons nous revoir et que je pourrai le remercier pour le don qu’il m’a fait.

Toi aussi, tu peux dessiner sur les murs, toi aussi tu peux ouvrir des portes, toi aussi tu peux être libre.

Paul Clarou

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