Le sonnet le plus célèbre de tous les temps est incontestablement le Sonnet d’Arvers. Aucune pièce de poésie n’a été imprimée, récitée, pastichée autant de fois, par autant de monde, au point d’éclipser presque totalement la réalité de son auteur Félix Arvers (1806-1850), pour en faire le fantomatique homme d’un seul sonnet, lui qui a pourtant écrit d’autres choses dans sa courte vie.
D’où vient le fascinateur pouvoir de ces quatorze vers, qui ont assuré l’immortalité au nom d’un poète, sans eux destiné à tomber dans l’oubli ? Nous ne nous lancerons pas dans les méandres de la psychanalyse, mais risquant une simple remarque, nous rappellerons que le sonnet d’Arvers, a été mis en musique par au moins six compositeurs, dont Georges Bizet, et de manière plus improbable par Serge Gainsbourg. Par analogie ce sonnet fait penser à nos comptines populaires qui traversent les siècles, et qui continueront à être fredonnées sans que l’on soucie de leur origine. Qui connaît l’auteur d’Au clair de la lune, ou de J’ai du bon tabac, ou de Cadet Roussel ? Le secret de ces mélodies intemporelles, c’est qu’elles sont parfaites, et qu’à ce titre elles n’appartiennent à personne, ou plutôt qu’elles sont la propriété culturelle de tout le monde. Le sonnet d’Arvers rend visible et audible la perfection d’une certaine forme fixe de poésie, dont l’effet se ressent particulièrement au dernier tercet, à la chute. Voilà pourquoi peut-être, il a été si parodié, de la même manière qu’on a mis mille paroles, drôles ou osées, sur les comptines.
A notre connaissance, le sonnet d’Arvers n’avait pas été jusqu’à ce jour, exploité par la veine chrétienne. Cela manquait, nous tentons donc un essai ; puis nous le faisons suivre de la pièce originale, et de quelques pastiches, parmi les plus connus.
Mais un lecteur léger, qui se croit au-dessus,N’en saisit pas le sens, et son cœur délétère,Hostile au but divin, demeure solitaire.N’ayant jamais prié, il n’a pas plus reçu.
Cette lettre, pourtant, était sévère et tendre,Comme celle d’un père adjurant de l’entendreSon enfant égaré, et souillé de partout.
Attiré par l’amour de l’Agneau sans défense,Il dirait, regardant à la triste potence :«Qui donc est ce Jésus ?» et il comprendrait tout.
Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,Elle ira son chemin, distraite, et sans entendreCe murmure d’amour élevé sur ses pas ;
A l’austère devoir pieusement fidèle,Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :«Quelle est donc cette femme ?» et ne comprendra pas.
Non, vous ne pouviez point passer inaperçu,Et vous n’auriez pas dû vous croire solitaire.Parfois les plus aimés font leur temps sur la terre,N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pourtant Dieu mit en nous un cœur sensible et tendre,Toutes dans le chemin, nous trouvons doux d’entendreUn murmure d’amour élevé sur nos pas.
Celle qui veut rester à son devoir fidèleEst émue en lisant ces vers tout remplis d’elle,Elle avait bien compris… mais ne le disait pas.
Pouviez-vous, m’adorant, passer inaperçu,Et, vivant près de moi, vous sentir solitaire ?De vous il dépendait d’être heureux sur la terre :Il fallait demander et vous auriez reçu.
Apprenez qu’une femme au cœur épris et tendreSouffre de suivre ainsi son chemin sans entendreL’aveu qu’elle espérait trouver à chaque pas.
Forcément au devoir on reste alors fidèle !J’ai compris, vous voyez, «ces vers tout remplis d’elle»;C’est vous, mon pauvre ami, qui ne compreniez pas !
Jamais je n’ai passé près d’elle inaperçu.A ses côtés comment se croire solitaire ?Pour moi j’aurai goûté le bonheur sur la terre,Osant tout demander, d’avoir beaucoup reçu.
Dieu ne l’avait pas faite en vain jolie et tendre.Elle a dans son chemin trouvé très doux d’entendreLes aveux qu’un amant murmurait sur ses pas.
A l’austère devoir, j’en conviens, peu fidèle,Elle saura, lisant ces vers tout remplis d’elle,Le nom de cette femme… et ne le dira pas.
Aucun homme à ses yeux ne passe inaperçu ;Son cœur par-dessus tout craint d’être solitaire ;Puisqu’il faut être deux pour le bonheur sur terre,Le troisième par elle est toujours bien reçu.
Seigneur, vous l’avez faite altruiste et si tendreQue, sans se donner toute, elle ne peut entendreLe plus discret désir murmuré sous ses pas.
Et, fidèle miroir d’une chère infidèle,Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :«Je connais cette femme »… et n’insistera pas.
Hélas, j’aurai passé sur terre inaperçu,Toujours assez coté mais pourtant solitaire,Et mon auteur ira jusqu’au bout de la TerreAttendant la médaille et n’ayant rien reçu.
Le public, quoique Dieu l’ait fait gobeur et tendre,Passera devant moi, rapide, sans entendre,Malgré mon ton criard mes appels sur ses pas.
Au buffet du salon pieusement fidèle,Il va dire, en buvant son verre rempli d’ale :«Quels sont ces épinards ? » et ne comprendra pas. »
Ainsi j’aurai passé, ministre inaperçu,Aussi rampant qu’un ver et non moins solitaire,Et je vais retourner à mes pommes de terre,Osant tout demander, mais ayant peu reçu.
L’électeur, quoique Dieu l’ai fait naïf et tendre,Va peut-être à présent m’oublier sans entendreLes appels du scrutin placardés sur ses pas.
A l’austère devoir correctement fidèle,Demain Macron va dire, en lisant la nouvelle :Quel était ce Monsieur ? et ne comprendra pas.
Aussi j’ai pu loger longtemps inaperçu,Errer dans les boyaux comme un ver solitaire;Et j’aurai disparu près d’un an sous la terre,Attendant un colis que je n’ai pas reçu…
Parfois, la nuit, je vais, faisant un rêve tendre.Regardant une étoile au ciel et sans entendreUn ronflement sonore élevé sous mes pas…
A son petit café pieusement fidèleL’embusqué, dégustant son bock tout rempli d’aleDira : « Quelle existence ! » et ne comprendra pas.
Pour lui, le droit humain passait inaperçu;Toujours à nos côtés et pourtant solitaire,Il aura jusqu’au bout fait son bluff sur la terre,Osant tout demander, n’ayant que trop reçu.
Comme Dieu l’a fait lourd, sans douceur et peu tendre,Il allait son chemin, inconscient, sans entendreLe murmure de haine élevé sur ses pas;
A l’atroce Kultur servilement fidèle,Il disait, souffleté par nos cinglants coups d’aile:«Qu’ont-ils donc contre nous?»… et ne comprenait pas.
L’outrecuidant kaiser ne s’est pas aperçuQue la France abhorrée était robuste et fière,Et qu’ayant des amis, n’étant plus solitaire,Son espoir radieux ne serait pas déçu.
Vers le succès final qu’elle est en droit d’attendre,Notre France, que Dieu a faite douce et tendre,Mais vaillante et sans peur, marchera pas à pas
En dépit des Teutons et de leur barbarie.Et le kaiser dira, dans sa sombre folie:«Quelle est donc cette énigme?», et ne comprendra pas.
La mort vient délivrer notre âme prisonnièreEt lui faire connaître enfin la liberté,Nous mourons, c’est la vie ; et notre heure dernièreEst le premier moment de l’immortalité.
Ah ! ne redoutons pas de tomber dans l’abîmeOù paraît s’engloutir à jamais l’être humain,Le trépas nous promet l’éternel lendemain ;
Et par un privilège éclatant et sublime,Quand il meurt ici-bas, l’homme naît dans le cielCar Dieu le fait mourir pour le rendre immortel.
L’Arvers évangélique manquait incontestablement !
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