Poésie

Résister…

Résister… c’est le mot fameux gravé par les doigts de Marie Durand, sur une pierre de la margelle du puits de la Tour de Constance, où elle demeura prisonnière trente-huit ans, sans autre motif que d’être la sœur de son frère Pierre Durand, pasteur du Désert, pendu deux ans après son arrestation.

Son histoire peut se lire sur de multiples sites internet, dont la liste s’obtient immédiatement dans un moteur de recherche, il est donc inutile de la répéter ici. Voici par contre, une poésie en son honneur que Google n’indique pas encore. Elle a été écrite au xixe siècle par Mme Benjamin Combe, épouse d’un habitant de Montmeyran dans la Drôme, mort en 1904.

On en appréciera le caractère viril (mot à prendre non dans le sens de masculin, mais dans celui de son étymologie latine, vir, qui donne aussi vertu), qui convenait parfaitement au courage invincible de cette héroïne protestante.

Garde tes souvenirs, vieille tour de Constance, Pour tous les pèlerins qui vont te visiter.Parmi les monuments les plus chers à la France, C’est toi seul que je veux chanter.
Car c’est là qu’ont souffert ces nobles prisonnières, Douces vierges en deuil, pâles fleurs du Désert  ; Là que de leurs sanglots, là que de leurs prières, Monta vers Dieu le saint concert.
C’est là que trente-huit ans la fidèle MariePorta, sans murmurer, la croix de son Sauveur, Donnant aux cœurs brisés sa tendre sympathie.Cachant aux autres sa douleur.
Le soir elle montait, seule sur la terrasse, Quand les lampes de Dieu brillent au firmament, Et, rêveuse, longtemps ses yeux cherchaient la placeDu fort où pleurait son amant*.
Dans ce triste donjon vivait aussi son père  :Ils s’étaient dit adieu tous trois et pour toujours.Ils avaient tous les trois vidé la coupe amère  ; Ils s’étaient enfuis, leurs beaux jours  !
De ces doux souvenirs le plus cher à son âmeFut leur dernier regard qui lui perça le cœur.Garde-la, ta douleur, ô noble et sainte femme  ! Ne la dis rien qu’à ton Sauveur.
Elle vécut, souffrit, aima dans sa tour sombre, Car dans le ciel là-haut, était son vrai trésor.Sur son bonheur Satan ne put jeter qu’une ombre  ; Déjà son cœur était au port.
* En tout bien tout honneur, il s’agissait de son mari, Matthieu Serres, qu’elle avait épousé quelques mois avant son incarcération. Pour des raisons non éclaircies, Marie Durand préféra cacher ce mariage aux autorités.

Sur la Tour de constance le poème de Ruben Saillens est naturellement beaucoup plus connu ; nous ne chercherons pas à résister au plaisir de relire son émouvant ballet d’octo et de quadri syllabes.

Résistez !
Non, ce n’est pas ta lourde grilleNi ton mur noir, Sombre tour, funèbre bastille, Que j’aime à voir  ! Mais ces traits qui, par une femme, Furent sculptés, Ce mot qui recouvre un long drame  :Résistez  !
A genoux sous ces voûtes grises, J’ai retrouvéCes quelques lettres indécises, Sur le pavé  ! Et j’ai pleuré, noble victime, Des cruautés, En épelant ton cri sublime  :Résistez  !
Ce mot, une main inhabileLe cisela  ; Une aiguille, instrument débile, A fait cela.Mais quels combats d’une âme fièreSont racontésPar ces huit lettres sur la pierre  :Résistez  !
Lorsqu’elle vit, la CévenoleAux cheveux blancsQui soutenait par sa paroleLes cœurs tremblants, Qui ranimait par son courageLes volontés, Montrant écrit sur son visage, Résistez  !
Lorsqu’elle vit, la femme austère, La mort de loin, Elle voulut que cette pierreFut son témoin, Et, pour prévenir après elle, Les lâchetés, Elle écrivit sur la margelle  :Résistez  !
En ce temps-là, dans son Versailles, Le roi riait, Tandis qu’ici, sous ces murailles, La Foi priait.L’un écrivait dans une fête  :Persécutez  ! L’autre écrivait, baissant la tête  :Résistez  !
Et c’est toi qui fus la plus forte, Vaillante Foi  ! Depuis longtemps la femme est morteEt mort le roi, Mais, tandis que sceptre et couronneSont emportés, Dans la tour ce vieux mot rayonne  :Résistez  !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s