Poésie

VII. De la Césure

Quand, au commencement de ce travail, nous avons jeté un coup d’œil d’ensemble sur les éléments constitutifs du vers français, nous avons vu qu’ils se réduisaient à trois : le nombre fixe de syllabes, la rime, la césure. Les deux premiers étant approfondis, passons au troisième, dont je ne saurais mieux faire que d’emprunter la définition à deux métriciens excellents, MM. Ch. Le Goffic et Ed. Thieulin :

« La césure est un repos de la voix, marqué à l’intérieur du vers par une syllabe tonique plus fortement accentuée que les autres toniques du vers. »

Prenons un exemple, ce vers d’Alfred de Vigny :

J’aime la majes | des souffrances humaines.
 (Les Destinées.)

J’y ai numéroté quatre accents, que la voix d’un bon lecteur ne manquera pas d’y marquer par une certaine intensité du son, lequel s’atténuera, au contraire, en prononçant les autres syllabes. Mais deux de ces accents sont plus fortement appuyés : le quatrième celui de la rime, et le deuxième, celui qui porte sur la dernière syllabe de « majesté », où la voix prendra cette sorte de repos qui coupe le vers en deux et détermine, à l’endroit où j’ai mis une barre de séparation, la césure, mot qui signifie coupure. Il ne s’agit, d’ailleurs, que d’une coupure sonore, et non visuelle, car la césure peut aussi bien se produire au milieu d’un mot, quand ce mot est terminé par un e muet et que la tonique, par conséquent, tombe sur l’avant-dernière syllabe :

Est-ce toi, chère Eli(se) ? | O jour trois fois heureux !
 (Racine, Esther.)
Comme les prê | tres catholiques…
 (François Coppée, le Reliquaire.)

On comprend que ce repos de la voix sera d’autant plus utile à la perception du rythme par notre oreille, que le vers sera plus long. Aussi la césure est-elle seulement facultative dans les vers les plus courts, de deux à cinq syllabes ; obligatoire sans être fixe, dans les vers de six à huit syllabes ; obligatoire et fixe, dans les vers supérieurs à huit syllabes, sauf dérogations à la loi de fixité dans le vers de douze syllabes ou alexandrin, auquel nous consacrerons, pour cette cause, une étude spéciale.

Comme nous allons passer en revue, rangées sous ces quatre divisions, toutes les différentes espèces de vers, me contenterai-je de vous faire connaître, pour chacune d’elles, où peut se placer la césure ? — Non. J’en profiterai pour chercher, avec vous, quelles sont les ressources expressives de ces divers mètres ; je vous en citerai de courts exemples ; je vous indiquerai les œuvres où chacune de ces mesures pourra être plus longuement étudiée ; et, de la sorte, vous aurez fait encore un grand pas dans la connaissance et, par conséquent, dans la jouissance de l’incomparable instrument de poésie qu’est notre métrique française.

Mais, d’abord, je dois vous parler, en peu de mots, d’une règle dont nous allons retrouver à chaque instant la justification, à laquelle les poètes ont obéi d’instinct, bien avant que personne ait songé à la formuler, et qui préside à l’euphonie, à l’harmonie de notre vers.

Vous savez que la sensation du rythme, c’est-à-dire d’une cadence agréable dans la suite des mots, est causée par une succession de temps forts et de temps faibles ou, si vous l’aimez mieux, de syllabes frappées de l’accent tonique et de syllabes non accentuées, ou atones. Or, tandis que plusieurs atones peuvent se suivre sans choquer l’oreille, — ce qui fait que les mots les plus longs restent harmonieux, bien qu’ils ne puissent avoir de tonique autre que leur dernière syllabe sonore, — l’oreille repousse, avec une gêne qui va quelquefois jusqu’à la souffrance, la succession immédiate de deux syllabes accentuées.

Voici un vers harmonieux :

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.
 (Racine, Mithridate.)

Il serait atroce, ainsi modifié :

Et mes derniers regards ont vu les Romains fuir,

cette modification ayant rapproché, à la fin du vers, deux syllabes frappées de l’accent tonique, lesquelles, dans Racine, étaient séparées par des syllabes atones.

Donc : la succession immédiate de deux syllabes accentuées est interdite.

Cela posé, sans insister davantage pour le moment, nous pouvons commencer notre étude.

  1. Vers où la Césure est facultative

Ce sont les vers de deux, trois, quatre et cinq syllabes. Dans le vers d’une seule, pas de césure possible, bien entendu. Mais est-ce un véritable vers qu’un monosyllabe dont la seule fonction possible est la rime ? Toutefois, disons, pour mémoire, que des rimeurs ont, par simple jeu, composé de petits poèmes tout en vers monosyllabiques, ainsi Jules de Rességuier, un romantique de 1830, l’auteur du sonnet, souvent cité, qui commence par ce quatrain :

Fort
Belle
Elle
Dort…

Ajoutons que Victor Hugo s’est amusé à écrire, dans les Odes et Ballades, la très plaisante Chasse du Burgrave où, après chaque vers de huit syllabes, un vers monosyllabique arrive en écho :

Mon page, emplis mon escarcelle ;
 Selle
Mon cheval de Calatrava ;
 Va !

Archers, mes compagnons de fêtes,
 Faites
Mon épieu lisse et mes cornets
 Nets.

Nous ferons, ce soir, une chère
 Chère ;
Vous n’y recevrez, maître-queux,
 Qu’eux.

Et passons vite au premier vers qui ait un commencement d’organisme, au

Vers de deux syllabes.

Ce n’est encore que par une sorte d’amusement, par un caprice de virtuose, que Victor Hugo l’a employé seul, dans la première et la dernière strophe des Djinns. Voici la dernière :

On doute
La nuit…
J’écoute :
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.
 (Les Orientales.)

Nous n’y avons rencontré aucune césure.

— Comment, me direz-vous, pourrait-elle s’y produire, puisqu’il n’y a que deux syllabes et que la règle interdit la succession immédiate de deux syllabes accentuées ?

C’est qu’il n’y a plus succession immédiate, plus de heurt par conséquent, lorsqu’un signe de ponctuation force la voix à séparer très nettement les deux mots. D’où cette césure, très légitime, au premier vers de la première strophe des Djinns :

Murs, | ville
Et port…

Où le vers de deux syllabes peut être d’un emploi plus sérieux, c’est dans son mélange avec des vers d’autres longueurs. Vous connaissez le parti qu’en a tiré La Fontaine, à la fin de sa fable de la Montagne qui accouche, — qui accouche d’une souris :

 Quand je songe à cette fable
 Dont le récit est menteur
 Et le sens est véritable,
 Je me figure un auteur
 Qui dit : « Je chanterai la guerre
 Que firent les Titans au maître du tonnerre. »
C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?
 Du vent.

Rien ne pouvait traduire plus spirituellement que ce vers dissyllabique, venant après deux grands vers, la déception piteuse qui suit une prétention ridicule.

Et quelle grâce aérienne cette sorte de vers ne donne-t-elle pas, mêlée aux vers de six syllabes, dans la Ballade à la Lune, d’Alfred de Musset :

Rends-nous la chasseresse
Blanche, au sein virginal,
 Qui presse
Un beau cerf matinal !

Oh ! sous le vert platane,
Sous les frais coudriers,
 Diane
Et ses grands lévriers !

Oh ! le soir, dans la brise,
Phébé, sœur d’Apollo,
 Surprise
A l’aube un pied dans l’eau,

Phébé qui, la nuit close,
Aux lèvres d’un berger
 Se pose
Comme un oiseau léger !
 (Premières Poésies.)

Enfin, voulez-vous savoir quel parti peut tirer, d’un mètre si court et d’un emploi si limité, semble-t-il, un poète tel que Victor Hugo ? Lisez, dans les Quatre Vents de l’Esprit, la Chanson qui commence par cette stance :

J’aime à me figurer, de longs voiles couvertes,
Des vierges qui s’en vont chantant dans les chemins
Et qui sortent d’un temple avec des palmes vertes
 Aux mains.

Ici, au lieu d’une impression de légèreté, le vers de deux syllabes donne à la strophe — par l’espèce de prolongement qu’il apporte au troisième vers, auquel il est comme soudé par la liaison de l’s final — une sorte de lenteur processionnelle qui rend, à miracle, la sensation que le poète a voulu nous communiquer.

Plus loin, le prolongement sera moins accentué, parce que le troisième vers de la strophe se terminera par un e muet, lequel se fondra davantage avec la voyelle initiale du vers dissyllabique ; mais voyez si, alors, il n’en naîtra point comme une grâce délicate et furtive :

Un rêve qui m’enchante encore et qui me charme,
C’est une douce fille à l’âge radieux,
Qui, sans, savoir pourquoi, songe avec une larme
 Aux yeux.

Et quand, après d’autres évocations charmantes, le poète, changeant de ton, arrive au trait pour lequel sa pièce a été écrite, jugez de l’effet extraordinaire produit par le petit vers aux deux syllabes raides et brusques, vers qui, à la lecture, se détachera de l’alexandrin qui précède :

Mais des rêves dont j’ai la pensée occupée,
Celui qui, pour mon âme, a le plus de douceur.
C’est un tyran qui râle avec un coup d’épée
 Au cœur.

On a la sensation même du coup d’épée, du coup droit, rapide, impitoyable.

Vers de trois syllabes.

Pour en étudier le mécanisme, on lira, dans les Odes et Ballades de Victor Hugo, le surprenant Pas d’Armes du Roi Jean :

Ça, | qu’on selle
Ecuyer,
Mon fidèle
Destrier !
Mon cœur ploie
Sous la joie
Quand je broie
L’étrier.

Par saint Gille
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan ;
Viens, | écoute,
Par la route,
Voir la joute
Du roi Jean.

On voit combien la césure, facultative encore, y est rare. En deux strophes, je n’en ai marqué que deux et encore sont-elles déterminées par la ponctuation, par le sens, plutôt que par le besoin d’accentuer fortement une syllabe. L’oreille, en effet, ne peut guère désirer de repos intérieur en un vers où le repos final est si fréquemment ramené déjà par le retour de la rime. En outre, il n’y a qu’une place pour la tonique intérieure ; elle ne peut porter que sur la première syllabe ; sur la seconde, elle contreviendrait à la loi qui interdit deux accents consécutifs.

Si le vers de trois syllabes est encore trop court pour qu’on le puisse fréquemment et sérieusement employer seul, il est d’un excellent usage, mêlé à des vers plus longs :

Avril, l’honneur et des bois
 Et des mois ;
Avril, la douce espérance
Des fruits qui, sous le coton
 Du bouton
Nourrissent leur jeune enfance.
 (Rémi Belleau, les Bergeries.)
France, être sur la claie à l’heure où l’on te traîne
 Aux cheveux,
O ma mère, et porter un anneau de ta chaîne,
 Je le veux !

J’accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
 Ont craché.
Tu me regarderas debout sur la muraille,
 Ou couché.
 (Hugo, les Châtiments.)

Et vous savez avec quelle malice, dans les Animaux malades de la Peste, le lion, après avoir complaisamment avoué qu’il avait « dévoré force moutons », glisse rapidement, par le moyen du petit vers de trois syllabes, sur un détail auquel il ne faudrait pas que le tribunal attachât trop d’importance :

Même il m’est arrivé, quelquefois, de manger
 Le berger.
 (La Fontaine, Fables.)
Vers de quatre syllabes.

On en trouvera les plus délicieux exemples chez Gabriel Vicaire, qui a composé dans ce mètre, non mélangé à d’autres, de petits chefs-d’œuvre de fraîcheur et de grâce ailée :

Dans une rose
Au cœur mouillé,
S’est éveillé
Le matin rose,

Le vert matin
Qui fait tapage,
Effronté page
Tout en satin.

Quelle jonchée
De roses d’or
Sous l’aube | encor
Un peu fâchée !

Le bois riant
Est dans la brume ;
Tout le ciel fume
A l’Orient.
 (L’Heure enchantée.)

Aucune césure, sauf après la seconde syllabe de ce vers, « sous l’au-be encor », afin de mieux rattacher le mot « encor » au vers suivant, conformément au lien grammatical.

Mais déjà, sans doute, vous avez remarqué une faute, qui m’a fait choisir ces strophes de préférence à d’autres absolument parfaites : vous avez été un peu gêné pour scander ce vers :

Effronté | page,

où, selon la règle absolue qui, dans tous les mots de plusieurs syllabes, met la tonique sur la dernière, deux accents se rencontrent. Si l’on avait renversé les mots, vous auriez tout naturellement lu :

Page effronté ;

et voilà que, dans le vers, tel qu’il est, vous avez été obligé, pour l’euphonie, de scander, en mettant sur la seconde syllabe d’« effronté », un accent impossible et de supprimer, sur la troisième, l’accent nécessaire :

Effron | té page.

Une fois de plus, la faute du poète vient justifier l’interdiction salutaire de deux toniques consécutives, et nous devons en conclure que, dans les vers de quatre syllabes, la césure ne peut porter que sur la première ou sur la seconde.

Exemples de l’emploi de ce vers mêlé à des vers d’autres longueurs :

J’ai bu le flot profond
 Avec délice :
L’ivresse était au fond
 Du noir calice.
 (Théodore de Banville, Améthystes.)
Quand on est sous l’enchantement
D’une faveur d’amour nouvelle,
On s’en défendrait vainement,
 Tout le révèle.
 (Sully Prudhomme, les Vaines Tendresses.)
Vers de cinq syllabes.

La césure, facultative, ne pourra porter — nous savons pourquoi — que sur l’une des trois premières syllabes :

C’est le mois des mois.
Les rosiers | boutonnent ;
Voici que fleuronnent
Les arbres des bois.

L’épine vinette
Commence à pousser,
On va voir danser
La bergeronnette.

Les ruisseaux chantants
De pour | pre se teignent ;
Des sau | les y baignent
Leurs cheveux | flottants.
 (Gabriel Vicaire, l’Heure enchantée.)

Et, ici encore, le vers est si court que l’oreille ne s’attarde que rarement à une tonique intérieure. Si j’en marque une à la seconde syllabe de « rosiers » et de « cheveux », c’est qu’elle aidera à mettre en valeur le mot qui suit. Et, s’il en faut absolument faire sentir une à la première syllabe de « pourpre » et de « saules », c’est qu’autrement la seconde, qui est muette, serait trop prononcée à la lecture. Ainsi, on entendrait :

Des sau-leu-z’y baignent… ;

tandis qu’en appuyant sur « sau… », on pourra atténuer, sans l’effacer, la syllabe muette « les », par une espèce de compensation qui laissera au vers tout son nombre. Et cet exemple suffirait à lui seul, n’est-il pas vrai ? pour nous montrer le rôle délicat de la césure dans la musique du vers français.

Il semble que le mètre de cinq syllabes ne puisse guère servir qu’à rythmer des chansons d’amour et de printemps. Détrompez-vous. Il faut lire, dans les Années funestes, œuvre posthume de Victor Hugo, un poème intitulé Coups de clairon, que je n’hésite pas à qualifier de prodigieux. Pendant cent quarante-trois strophes, écrites uniquement en vers de cette longueur, le poète sonne, contre la symbolique forteresse de l’Empire, une charge au rythme bref, monotone, obstiné, et pourtant jamais las, mais qui, au contraire, semble s’accélérer, s’exalter de mesure en mesure, jusqu’à la folie :

J’ai la foi, la flamme,
La religion
Par laquelle une âme
Devient légion.

Qu’en mon cœur se forme
Et déborde à flot
La parole énorme
Qui semble un sanglot !

Que de mes entrailles
Sorte le grand mot
Qui court aux murailles
Et donne l’assaut…

Que chaque vers chante
Et soit un guerrier !
Que la strophe ardente
Se mette à crier !

Que ce fier poème,
Apre, ouvrant son flanc,
Semant l’anathème,
Bondissant, mêlant

Au choc de l’épée
Le pas du lion,
Semble une épopée
En rébellion ! …

Et pour nous reposer, dans la grâce, de ce déploiement de force inouïe, pour achever de sentir toute la souplesse de ce vers de cinq syllabes, écoutons-le, mêlé à un vers de sept, s’alanguir délicieusement dans ce lied d’Émile Blémont :

J’ai peur de cueillir la fleur
 Fraîche et satinée :
Elle serait, sur mon cœur,
 Si vite fanée !

Mais un autre la prendra,
 Si je ne la cueille ;
Ou le vent l’emportera
 Bientôt, feuille à feuille ;

Viens donc, ô fleur, apaiser
 Mon deuil quelques heures,
Et mourir dans un baiser,
 S’il faut que tu meures !
 (Les Pommiers en fleurs.)

Nous allons, maintenant, passer aux vers où la césure est obligatoire sans être fixe.

  2. Vers où la Césure est obligatoire sans être fixe
Vers de six syllabes.

Ici, déjà, le vers est trop long pour que l’oreille n’attende pas un repos sur une tonique intérieure. La césure est donc obligatoire et pourra frapper l’une des quatre premières syllabes :

Viens, | loin des catastrophes,
Mêler, | sous nos berceaux,
Le frisson | de tes strophes
Au tremblement | des eaux.

Viens, | l’étang solitaire
Est un poè | me aussi.
Les lacs | ont le mystère,
Nos cœurs | ont le souci.

Tout com | me l’hirondelle,
La stan | ce, quelquefois,
Aime | à mouiller son aile.
Dans la ma | re des bois.
 (Hugo, les Chansons des Rues et des Bois.)

Rien que dans la première de ces trois strophes, nous voyons la tonique principale tomber successivement sur la première, la deuxième, la troisième et la quatrième syllabes. Dans la seconde, nous remarquerons, en passant, le parallélisme de la césure des deux derniers vers, qui corrobore si délicatement le parallélisme de la pensée. Le poète aurait pu tout aussi bien écrire :

Et nos cœurs | le souci ;

mais il ne l’a point fait, car si la correspondance de la pensée, entre ces deux vers, fût restée la même, la correspondance musicale ne s’y fût plus aussi exactement adaptée.

Qu’on lise tout le morceau : Fuite en Sologne, d’où j’ai tiré la citation. Qu’on y joigne la pièce intitulée Rêves, dans les Odes et Ballades, du même poète, et la Retraite, dans les Harmonies, de Lamartine, et l’on possédera suffisamment la technique du vers de six syllabes.

Son emploi est plein de ressources lorsqu’on le mêle à d’autres espèces de vers plus longs ou plus courts. Voyez comme il est glissant et alangui dans ces rimes funambulesques de Théodore de Banville :

Je puis faire des vers pour nos derniers neveux,
 Et, sans qu’il y paraisse,
Baiser pendant trois jours de suite, si je veux,
 Le front de la Paresse !
 (Occidentales).

Mais, au contraire, quelle fermeté, quelle majesté prend ce mètre si court, dans l’ode de Ronsard : De l’Election de son Sépulcre :

Antres, et vous fontaines,
De ces roches hautaines
Qui tombez contre-bas
 D’un glissant pas ;

Et vous, forêts et ondes
Par ces prés vagabondes.
Et vous rives et bois,
 Oyez ma voix !

Quand le ciel et mon heure
Jugeront que je meure,
Ravi du beau séjour
 Du commun jour,

Je défends qu’on ne rompe
Le marbre pour la pompe
De vouloir mon tombeau
 Bâtir plus beau…

Mais bien je veux qu’un arbre
M’ombrage au lieu d’un marbre,
Arbre qui soit couvert
 Toujours de vert…
 (Les Odes.)

D’où vient cette différence d’allure, entre des vers d’un même compte de syllabes ? Chaque unité métrique n’aurait-elle donc pas son mouvement propre ? Et, par suite, chaque espèce de vers ne serait-elle pas plus particulièrement favorable à tel ordre de sentiments, à tel genre de poésie ?

Pour répondre à ces questions, il est temps que je pose, ici, un principe qui éclairera toutes les citations où déjà nous avons vu, et celles où nous verrons encore, le même vers nous paraître, tour à tour, pesant ou léger, bref ou rapide. Et laissez-moi donner à ce principe toute son évidence et toute sa force par une comparaison avec la musique, ainsi que l’a fait un savant musicographe, M. Jules Combarieu, qui l’a supérieurement mis en lumière dans son livre sur les Rapports de la Musique et de la Poésie :

En musique, c’est la vitesse du rythme qui impose son caractère au sentiment ; et, lorsqu’on change le mouvement d’une phrase, on transforme aussitôt le sentiment lui-même. Il m’en vient, à l’esprit, un exemple que chacun retrouvera dans son souvenir. Vous vous rappelez l’air de Malbroug :

 Malbroug s’en va-t-en guerre
(Mironton, tonton, mirontaine).

Cela se chante allegretto : c’est un air de marche légère et gaie. Essayez de le chanter avec lenteur sur les mêmes paroles et, aussitôt, la disconvenance, entre ces paroles et cet air, éclatera.

Rappelez-vous, maintenant, la romance que Beaumarchais fait soupirer par Chérubin à sa marraine, au second acte du Mariage de Figaro :

 Auprès d’une fontaine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)

C’est également chanté, mais lento, sur l’air de Malbroug ; aussitôt ce ralentissement du rythme a établi une parfaite convenance avec ces nouvelles et mélancoliques paroles ; et, pour que la disconvenance éclatât de nouveau, il suffirait de les chanter sur le même rythme que les anciennes.

Si, de la musique, nous passons à la poésie, que voyons-nous ? Tout l’inverse : en poésie, c’est le caractère du sentiment ou de la pensée qui détermine la vitesse du rythme. En musique, le rythme était roi ; en poésie, l’idée est reine ; c’est elle seule qui accélère et ralentit tour à tour le même mètre, qui crée la lenteur ou la rapidité des mots, des vers, des strophes. Et c’est ainsi, par exemple, que le petit quatrain de trois vers de six syllabes suivis d’un vers de quatre, si magnifique tout à l’heure et si ample dans la voix de Ronsard, peut devenir sautillant et pétillant à souhait, quand Théodore de Banville l’emploie à décrire le fantasque défilé du carnaval :

Ohé ! voici les masques !
Fiévreux, coiffés de casques,
Costumés en titis,
 En ouistitis.

Sans mesure et sans règles,
Ils poussent des cris d’aigles,
De chenapans, de paons
 Et d’ægipans !
 (Occidentales).

Il ne faudrait pourtant pas pousser jusqu’à l’absurde les applications de notre principe ; et il n’en reste pas moins vrai que les vers les plus courts, où le jeu de la rime est plus apparent, où la pensée a le moins d’espace pour évoluer entre une rime et une autre, se prêtent médiocrement à l’expression de sentiments profonds et d’idées sérieuses, surtout en des poèmes de longue haleine. Et l’on peut dire que, en thèse générale, plus un vers compte de syllabes, plus s’accroît sa portée expressive, plus il est apte à servir d’instrument à tous les genres de composition poétique ; si bien que le plus long de nos vers, l’alexandrin, sera aussi le seul auquel ne sera interdite aucune région de l’infini domaine de la poésie.

Fermons ici cette petite parenthèse et reprenons l’étude des divers mètres, en nous occupant du

Vers de sept syllabes.

La césure y peut frapper, indifféremment, l’une des cinq premières syllabes :

Voilà les feuil | les sans sève
Qui tom | bent sur le gazon ;
Voilà le vent qui s’élève
Et gémit | dans le vallon ;
Voilà l’errante | hirondelle
Qui ra | se, du bout de l’aile,
L’eau dorman | te des marais ;
Voilà l’enfant | des chaumières
Qui gla | ne, sur les bruyères,
Le bois tombé | des forêts.
 (Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses.)

Il est certain que, dans plusieurs de ces vers, le lecteur pourrait placer autrement la césure et, par exemple, placer quatre fois la tonique sur la seconde syllabe du mot « voi ». C’est affaire de goût et d’oreille que cette distribution de l’accent mobile, et quelquefois le goût et l’oreille peuvent hésiter. Ce qui est impossible, c’est de le placer sur l’avant-dernière syllabe sonore, — ici, donc, sur la sixième, — à moins, pourtant, que le poète n’y force le lecteur, qu’il n’ait dérogé lui-même, pour produire un effet, à la règle qui interdit deux toniques consécutives :

La respiration dou | ce
Des bois, | au milieu du jour
Donne une len | te secousse
A la vague, | au brin de mousse,
Au feuilla | ge d’alentour.
 (Lamartine, Recueillements poétiques.)

Le premier vers de cette strophe du Cantique sur un Rayon de Soleil est délicieux, et je ne peux dire que ce soit malgré les deux accents qui se suivent, car c’est plutôt parce qu’ils se suivent, que le vers a tant de mélodie. En effet, pour éviter que les deux toniques se relient désagréablement, la diction mettra, entre la première et la seconde, une légère pause, — un « soupir », dirait-on en musique, — et donnera ainsi, à l’organe chargé de l’émission de la dentale d, — c’està-dire à la langue bandée sur les dents, — le temps de préparer cette consonne, de la détacher dans une sorte de vibration moelleuse dont le mot douce, mot caractéristique du ton de la strophe entière, tirera toute sa valeur expressive. On peut figurer ainsi, pour plus de clarté, le procédé qu’un bon lecteur emploiera d’instinct pour tirer une grâce mélodique de cette exceptionnelle dérogation à la règle, dérogation qui s’est imposée d’elle-même à l’instinct du poète :

La-res-pi-ra-ti-ondouce…

Nous rencontrerons certainement, au cours de ces études, d’autres exemples d’effets heureux produits par la consécution de deux toniques ; mais c’est déjà le cas de répéter, ici, que « les exceptions confirment la règle ».

Pour une cause que nous rechercherons plus tard, le vers de sept syllabes ne peut s’allier à un vers plus long ; mais il s’unit harmonieusement à un vers de cinq ou de trois syllabes :

Il est dans l’île lointaine,
 Où dort la péri,
Sur le bord d’une fontaine,
 Un rosier fleuri.
 (De Banville, Odelettes).

Fuis, fuis le pays morose
 De la prose,
Les journaux et les romans
 Assommants.
 (Charles Nodier.)

Je conseille à ceux qui veulent étudier à fond le vers de sept syllabes, et voir avec quelle souplesse il se plie à des emplois très différents, de lire les pages que je vais indiquer : dans Ronsard et dans La Fontaine, les ravissantes imitations que ces deux poètes ont faites de l’Amour mouillé, d’Anacréon ; dans Racine, le cantique Sur les Vaines Occupations des Gens du Siècle ; dans les Harmonies, de Lamartine, la Pensée des Morts ; dans Victor Hugo, le morceau des Contemplations qui commence par ce vers : « Je respire où tu palpites » ; cinq ou six pièces des Chansons des Rues et des Bois, dont le Vrai dans le Vin et, surtout, ce merveilleux poème : les Etoiles filantes, où, pour peindre les enchantements d’une nuit d’été, — digne de celle dont Shakespeare nous avait conté le « Songe » — le poète a su allier la grâce la plus légère et la plus terrestre à la plus sublime beauté de l’inspiration sidérale. Vous pourriez, à la rigueur, vous contenter de lire ce chef-d’œuvre : tout s’y trouve.

Vers de huit syllabes.

Nous voici arrivés, avec l’octosyllabe, au vers le plus universellement employé, en notre langue, après le vers alexandrin, — au moins par la poésie lyrique, car, lorsque notre poésie dramatique prit toute son ampleur, on renonça, pour le théâtre, à ce mètre trop court pour elle, qui avait été celui des « mystères » et des « farces », des Miracles de Notre-Dame et de l’Avocat Pathelin.

La césure peut y porter sur l’une quelconque des six premières syllabes.

Voici une strophe de l’ode de Malherbe : A la Reine Marie de Médicis sur sa Bienvenue en France, qui offre à peu près toutes les coupes de ce vers :

Peu | ples, qu’on mette, sur la tête, (1+7)
Tout ce que la ter | re a de fleurs ; (5+3)
Peu | ples, que cette belle fête (1+7)
A jamais | tarisse nos pleurs ; (3+5)
Qu’aux deux bouts du mon | de se voie (5+3)
Lui | re le feu de notre joie (1+7)
Et soient dans les cou | pes noyés (5+3)
Les soucis | de tous ces orages (3+5)
Que, pour nos rebel | les courages, (5+3)
Les dieux | nous avaient envoyés ! (2+6)

Au sixième vers, on pourrait aussi assigner une autre place à la césure, c’est-à-dire à l’arrêt principal de la voix, en scandant :

Luire le feu | de notre joie. (4+4)

Et, ainsi, nous aurions, en cette strophe, toutes les coupes possibles, sauf celle en 6+2, telle que nous la trouvons, par exemple, dans ces vers de Victor Hugo :

Alors Gama cria : | « La terre ! »
Et Gamoëns cria : | « Les cieux ! »

En général, quoi qu’il n’en soit pas ainsi dans la citation de Malherbe, la coupe dominante est celle qui divise le vers de huit syllabes en deux parties égales. Si l’on prend, au hasard, une page de ces vers, on s’aperçoit que la moitié d’entre eux environ présente cette division en 4+4 :

Tandis que dor | ment les faucilles, (4+4)
Aux hangars | vers la fin du jour,
Autour des feux, | les jeunes filles (4+4)
Dansent en rond | au carrefour. (4+4)

Dans le crépuscu | le que dore,
Un dernier rayon | incertain,
Sur l’horizon | où vibre encore (4+4)
La brume chau | de du matin, (4+4)

On voit | leurs silhouettes sombres
Que bai | gne un reflet azuré,
Dans le mystè | re exquis des ombres, (4+4)
Décri | re leur pas mesuré.
 (Jules Breton, les Champs et les Bois.)

On voit que six vers sur douze ont, ici, la tonique médiane. Une telle césure, si on l’avait rendue obligatoire, eût fait, de notre octosyllabe, un vers monotone ; mais les vrais poètes, sans s’éloigner trop longtemps de cette coupe, — en quelque sorte essentielle parce qu’elle est celle qui, par sa symétrie, demande à l’oreille le moindre effort, — savent adapter le jeu de la césure mobile à toutes les nuances de leur pensée, à tous les frémissements de leur sensibilité ; et c’est pourquoi ce vers est entre leurs mains si prodigieusement souple.

Quels poèmes recommanderai-je pour son étude ? Ici, mon embarras est grand, tant est grande l’abondance des chefs-d’œuvre écrits sur ce mètre. Deux livres entiers sont composés exclusivement, ou presque, de quatrains octosyllabiques : les Émaux et Camées, de Théophile Gautier, dont chaque vers semble serti dans l’or ou taillé dans l’agate, avec un art où il entre plus de précision plastique, en vérité, que d’enthousiasme lyrique ; — et les Chansons des Rues et des Bois, de Victor Hugo, où, au contraire, comme il le dit lui-même, « son caprice énorme voltige », où on le voit passer de la gambade la plus leste, parfois même la plus hasardée, à l’essor le plus majestueux, le plus sublime, selon qu’il a « mis Pégase au vert » en le tirant

 … Vers la prairie
Où l’aube, qui vient s’y poser,
Fait naître l’églogue attendrie
Entre le rire et le baiser,

ou qu’il lui a débouclé le licol et permis de « rouvrir son envergure » :

Je t’ai quelque temps tenu là.
Fuis ! Devant toi, les étendues
Que ton pied souvent viola
Tremblent, et s’ouvrent, éperdues.

Redeviens ton maître, va-t’en !
Cabre-toi, piaffe, redéploie
Tes farouches ailes, Titan,
Avec la fureur de la joie.

Retourne aux pâles profondeurs,
Sois indomptable, recommence,
Vers l’idéal, loin des laideurs,
Loin des hommes, ta fuite immense !

Entre deux livres essentiels et si différents, et pour que le vers de huit syllabes achève de vous livrer tous ses secrets, vous chercherez comment il s’est plié à la familiarité de la fable et du conte, dans le Statuaire et la Statue de Jupiter de La Fontaine, ou dans Simone, d’Alfred de Musset. Vous relirez, dans les Recueillements, de Lamartine, l’admirable élégie Sur la Mort du Baron de Vignet. Et vous saurez quelle profondeur de tendresse et de pensée ce vers peut traduire, en vous rappelant quelques-uns des morceaux les plus célèbres de Sully Prudhomme : Première Solitude, la Voie lactée, le Repentir, Ce qui dure, les Yeux, le Vase brisé.

Enfin, il se mêle si souvent, et de tant de façons, à des vers de douze, dix, six et quatre syllabes, que je ne juge point utile de citer, à cette place, des exemples de ces mélanges : on en trouvera, dans tous les recueils de poésie, presque à chaque page.

Je ne veux plus que faire ici deux citations, pour que vous vous rendiez compte de toute la richesse musicale du vers octosyllabique. J’emprunterai l’une au Chant d’Amour, de Lamartine, l’autre aux Mages, de Victor Hugo ; et ce seront, de chacun de ces poèmes, deux strophes construites exactement sur le même modèle, quant au nombre de vers et à la disposition des rimes. Bien plus : la dernière strophe de Victor Hugo et la dernière strophe de Lamartine semblent calquées l’une sur l’autre pour le mouvement de la pensée et le développement de la phrase. Ainsi, vous serez frappés davantage de ce que, sur une mesure identique, deux génies différents puissent chanter une musique si différente :

Viens, cherchons cette ombre propice,
Jusqu’à l’heure où, de ce séjour,
Les fleurs fermeront leur calice
Aux regards languissants du jour.
Voilà ton ciel, ô mon étoile !
Soulève, oh ! soulève ce voile,
Éclaire la nuit de ces lieux ;
Parle, chante, rêve, soupire,
Pourvu que mon regard attire
Un regard errant de tes yeux !

Si l’onde, des lis que tu cueillea.
Roule les calices flétris ;
Des tiges que ta bouche effeuille,
Si le vent m’apporte un débris ;
Si la boucle qui se dénoue
Vient, en ondulant sur ma joue,
De ma lèvre effleurer le bord ;
Si ton souffle léger résonne,
Je sens, sur mon front qui frissonne,
Passer les ailes de la mort.
 (Nouvelles Méditations poétiques.)

Qu’avez-vous entendu ? Le chant suave d’un instrument unique, de quelque divin violoncelle dont l’archet caresse amoureusement les cordes. Écoutez, maintenant, ceci :

Quand les cigognes du Caystre
S’envolent aux souffles des soirs ;
Quand la lune apparaît, sinistre,
Derrière les grands dômes noirs ;
Quand la trombe aux vagues s’appuie ;
Quand l’orage, l’horreur, la pluie,
Que tordent les bises d’hiver,
Répandent, avec des huées,
Toutes les larmes des nuées
Sur tous les sanglots de la mer ;

Quand, dans les tombeaux, les vents jouent
Avec les os des rois défunts ;
Quand les hautes herbes secouent
Leurs chevelures de parfums ;
Quand, sur nos deuils et sur nos fêtes,
Toutes les cloches des tempêtes
Sonnent au suprême beffroi ;
Quand l’aube étale ses opales,
C’est pour ces contemplateurs pâles
Penchés dans l’éternel effroi !
 (Les Contemplations.)

Ici, ce n’est plus un seul instrument qui chante, c’est tout un formidable orchestre qui se déchaîne ; après une mélodie de Mozart jouée sans accompagnement, une symphonie de Beethoven ou de Berlioz, avec toutes ses cordes, tous ses bois, tous ses cuivres, toutes ses timbales !

— Et le vers de huit syllabes y a suffi.

  3. Vers où la Césure est obligatoire et fixe

Nous savons que le propre de la versification est de nous procurer, avec le moindre effort, la plus grande somme de jouissance musicale qui se puisse atteindre avec le langage parlé. Or, au-dessus de huit syllabes, l’expérience nous montre que l’oreille ne perçoit plus nettement le rythme d’un vers, ni la symétrie entre plusieurs vers d’égale longueur, si une tonique, non plus mobile, mais toujours posée à la même place, ne vient lui servir de point de repère et assurer sa jouissance en diminuant l’effort de la mémoire auditive.

C’est pourquoi, dans les vers de neuf, dix et onze syllabes. — nous laissons de côté, pour le moment, celui de douze, — la césure est, à la fois, obligatoire et fixe. Et, par fixe, je n’entends point que, dans chacune de ces espèces de vers, il n’y a qu’une place pour la césure, car nous verrons, au contraire, qu’il y en a plusieurs, entre lesquelles on pourra choisir ; mais j’entends que, ce choix une fois fait, il faudra s’y tenir jusqu’au bout.

Nous étudierons d’abord, brièvement, les vers de neuf et de onze syllabes, pour mémoire, car ils sont et ne peuvent être que d’un emploi peu fréquent, et nous nous étendrons davantage sur le vers, très employé, de dix syllabes.

Vers de neuf syllabes.

Ce vers se présente sous quatre aspects :

1o Avec une seule césure obligatoire, après la troisième syllabe, comme dans cette chanson de La Fontaine :

Ses refus | sont si remplis de charmes,
Que l’on croit | recevoir des faveurs.
La douceur | est celle de ses armes
Qui se rend | la plus fatale aux cœurs.

2o Avec deux césures, l’une à la troisième syllabe, l’autre à la sixième, qui divisent ainsi le vers en trois parties égales :

L’Océan | devant moi | s’étendait ;
Le soleil | reluisait | sur la vague ;
Et mon œil | au lointain | regardait.
Onde et feu | se mêler | dans le vague.
 (Armand Renaud, les Nuits persanes.)

Cette coupe est si saccadée qu’on la supporterait difficilement dans un morceau de longue haleine. Du reste, on n’en trouve guère d’exemples que dans les poèmes destinés à la musique, où l’on comprend qu’elle aide à rythmer fortement certains airs ; ainsi dans une chanson de Malherbe :

L’air est plein | d’une halei | ne de roses…

Dans un divertissement de Molière :

Croyez-moi, | hâtons-nous, | ma Sylvie…
 (La Pastorale comique.)

Dans les opéras de Quinault, où le poète, doué d’un sens lyrique auquel on n’a pas rendu assez justice encore, mêle très heureusement à d’autres vers le vers de cette formule. Ainsi, voyez, dans un passage d’Armide, le vers de neuf syllabes, coupé en 3+3+3, alterner avec le vers de douze, savamment accentué lui-même de trois en trois, pour une plus parfaite association des deux mètres :

 C’est l’amour | qui retient | dans ses chaînes
Mille oiseaux qu’en vos bois | nuit et jour on entend.
 Si l’amour | ne causait | que des peines,
Les oiseaux amoureux | ne chanteraient pas tant.

3o Vers de neuf syllabes avec une seule césure placée après la quatrième (4+5) :

De la musique | avant toute chose,
Et pour cela | préfère l’Impair,
Plus vague et plus | soluble dans l’air,
Sans rien en lui | qui pèse et qui pose.

Il faut aussi | que tu n’ailles point
Choisir les mots | sans quelque méprise :
Rien de plus cher | que la chanson grise,
Où l’indécis | au précis se joint…

Car nous voulons | la Nuance encor,
Pas la Couleur, | rien que la Nuance !
Oh ! la Nuan | ce seule fiance
Le rêve au rêve | et la flûte au cor !
 (Paul Verlaine, Jadis et Naguère.)

Si je cite ces vers de l’Art poétique, de Verlaine, c’est, d’abord, parce qu’ils sont à peu près bien rythmés selon la coupe 4+5. Je dis « à peu près », car le troisième vers, par exemple, serait plus logiquement scandé ainsi, en 2+7 :

Plus vague | et plus soluble dans l’air,

tandis que la tonique y tombe fort gauchement sur le mot plus.

C’est aussi pour ne pas laisser passer une occasion de dire combien les idées en sont fausses ou obscures. Je défie bien qu’on me montre en quoi les vers impairs sont plus musicaux que les pairs. Quant à être plus « vagues et plus solubles dans l’air… », rappelez-vous, entre autres vers impairs, ceux de cinq syllabes qui sonnent la charge dans les Coups de clairon, de Victor Hugo, — avec quelle précision et quelle fermeté, vous l’avez entendu ! Enfin, que les vers impairs soient plus propres que les autres à exprimer les nuances, c’est une absurdité telle qu’il n’est pas même nécessaire que je la relève.

Au fond, en nous recommandant les mètres impairs, Verlaine n’a, sans doute, songé à préconiser que celui même qu’il employait à cette place, le vers de neuf syllabes divisé en 4+5 ; et cela, non parce qu’il est vague, mais parce que, avec ses deux hémistiches dont l’un compte un nombre pair et l’autre un nombre impair de syllabes, il boite. Et Verlaine recommande cette boiterie dans sa première stance, comme il recommandera, dans la seconde, l’impropriété des termes, comme aussi, avec une faute de français, il interdira aux poètes d’être éloquents :

Prends l’éloquence | et tords-lui son cou ;

comme, enfin, il leur conseillera de mal rimer. Tout se tient dans cette charte de la poésie déliquescente, que quelques disciples — mais non pas toujours le maître lui-même, fort heureusement — ont eu la naïveté de prendre au sérieux.

4o Vers de neuf syllabes avec une seule césure, placée après la cinquième (5+4) :

Bleu du crépuscule, | ô bleu si tendre.
Doux comme les yeux | qu’on aime tant,
Robe que la nuit | passe en chantant,
Dès qu’un rossignol | s’est fait entendre…

Comme vous savez, | d’un autre monde,
Parler à mi-voix | d’un cœur lassé !
Évoquez pour moi | le cher passé,
Le cher passé mort | avec ma blonde.
 (Gabriel Vicaire, l’Heure enchantée.)

Ici, comme dans la coupe en 4+5, — et toujours parce que les hémistiches ne sont pas tous les deux ou pairs ou impairs, — on a le sentiment d’une gêne ; il semble que, dans l’un ou l’autre, on ait oublié une syllabe ; et ce n’est qu’à la longue, par la répétition de la même coupe fortement accentuée, que l’oreille s’habitue à cette claudication, y trouve un charme bizarre, dont elle se fatigue, d’ailleurs, très vite.

Ce qui est plus difficilement admissible, c’est le mélange du vers en 5+4 et du vers en 4+5, tel que le même poète l’a tenté dans le même morceau :

Tous les vains bruits | se sont apaisés. (4+5)
Le soleil expire | et la nuit tombe (5+4)
Au firmament | avec la colombe, (4+5)
Vite en volez-vous | derniers baisers. (5+4)

Dans l’or et le bleu | la lune rose (5+4)
Comme autrefois, | s’éveille à demi, (4+5)
A sa lueur | le bourg endormi (4+5)
Semble un insecte j au cœur d’une rose. (4+5)

Entrecoupé d’ombre | et de clarté (5+4)
Le ruisseau d’argent I bruit à peine. (5+4)
On croirait entendre | une âme en peine. (5+4)
Pleurant tout bas | le temps enchanté. (4+5)

Cette boiterie, tantôt sur le pied droit, tantôt sur le pied gauche, — et, encore, sans régularité dans le changement, est trop déconcertante.

Vers de onze syllabes.

Plus encore que le vers de neuf, ce vers a besoin, pour être clairement perçu, d’être divisé par une césure fixe. C’est pourquoi, malgré le nombre égal des syllabes et malgré les rimes, l’oreille se refuse à jouir de certains alignements sans nom, tels qu’en voici :

Le poète, dans un désolé silence,
Sans plus se rebeller contre aucune loi,
Sans invoquer, dès lors, aucune clémence,
Comme un vieil enfant, regarde devant soi…
O mon Dieu, je ne suis qu’un simple poète,
Sans volonté, sans responsabilité… etc.
 (Paul Verlaine, Parallèlement.)

L’absence d’une césure fixe rend le rythme des vers précédents tout à fait insaisissable.

La césure pourra se placer après la sixième syllabe, et l’on aura ainsi la formule 6+5 :

La jeune femme chante | au balcon assise,
Et sa triste chanson | pleure dans la bise.
 (Jean Moréas, les Cantilènes.)

Mais la déception de l’oreille est grande : le premier hémistiche annonçait un alexandrin, qui semble avorter en route, avant d’avoir pu arriver à la douzième syllabe attendue.

Dans la versification grecque et latine, on appelait catalectique le vers auquel il manquait une syllabe par rapport au vers-type dont il dérivait. Or, dans notre prosodie, le vers de onze syllabes est comme le catalectique du vers de douze, et c’est le vers de douze qu’à travers lui nous poursuivons d’instinct. C’est pourquoi l’oreille semble plus disposée à y admettre la coupe contraire à celle de tout à l’heure, celle qui met en avant le plus court des deux hémistiches, celle qui césure ainsi le vers en 5+6, et où l’alexandrin poursuivi, au lieu de se dérober après s’être promis, semble se laisser partiellement atteindre dans le second hémistiche :

O champs paternels, | hérissés de charmilles,
Où glissent, le soir, | des flots de jeunes filles !

O frais pâturage, | où de limpides eaux
Font bondir la chèvre | et chanter les roseaux !

O terre natale ! | A votre nom que j’aime,
Mon âme s’en va | toute hors d’elle-même,

Mon âme se prend | à chanter sans effort.
A pleurer aussi, | tant mon amour est fort !

J’ai vécu d’aimer, | j’ai donc vécu de larmes ;
Et voilà pourquoi | mes pleurs eurent leurs charmes ;

Voilà, mon pays, | n’en ayant pu mourir,
Pourquoi j’aime encore, | au risque de souffrir…
 (Desbordes-Valmore, Poésies posthumes.)

Certes, pendant les deux ou trois premiers distiques, nous avons eu quelque peine à saisir ce rythme anormal ; mais, ici, le poète a pris un tel soin de marquer avec force, dans chacun de ses vers, l’accent tonique de la cinquième syllabe, — en le faisant correspondre avec un certain arrêt du sens, de manière à empêcher toute hésitation de l’oreille et de l’esprit sur la place de la césure, — que, bientôt, nous avons cessé la résistance et nous sommes abandonnés en toute sécurité à cette cadence insolite. Le poème entier, intitulé Rêve intermittent d’une Nuit triste, est d’une inspiration géniale. On le lira. Quand on y aura joint une autre pièce du même auteur : la Fileuse et l’Enfant, et, dans notre ancienne poésie, les deux Odes saphiques de Ronsard, on connaîtra, ce me semble, à peu près tout ce qui a été écrit de remarquable sur ce mètre.

Les strophes des Odes saphiques sont composées de trois vers de onze syllabes divisés en 5 +6 et d’un vers de cinq syllabes, ainsi :

Donc sonnets adieu, adieu douces chansons,
Adieu danse, adieu de la lyre les sons,
Adieu traits d’amour, volez-en autre part
 Qu’au cœur de Ronsard !
Vers de dix syllabes.

Ce vers, à la différence des précédents, est de parfaite constitution et de fréquent usage.

Nous avons deux sortes de décasyllabes : celui dont la césure tombe sur la quatrième syllabe et celui où elle ne tombe que sur la cinquième.

1o Décasyllabe césure en 4+6. — C’était, à l’origine de notre littérature, le vers héroïque par excellence, celui de la Chanson de Roland :

Carles li Reis | nostre emperere magnes,
Set ans tuz pleins | ad estet en Espaigne.

Ayant des ressources harmoniques assez médiocres, très inférieures à celles du vers de douze syllabes, il cessa, dès le treizième siècle, d’être le vers favori de l’épopée ; mais il se maintint dans la poésie lyrique, où il domina même jusqu’aux premières années du seizième siècle ; ainsi, l’œuvre de Marot est presque tout entière écrite sur ce rythme. Fort délaissé au dix-septième siècle, si ce n’est par La Fontaine en ses Contes, il reprend faveur au dix-huitième, avec Voltaire et les poètes badins de son temps, pour s’épanouir, une dernière fois, dans les chansons de Béranger. Sa musique, un peu maigre, semble le vouer, décidément, à la poésie légère. Pourtant, Lamartine a essayé, une fois, de l’appliquer à une inspiration grave : dans le poème des Harmonies intitulé Pensée des Morts, entre deux séries de strophes en vers de sept syllabes, il a introduit quelques strophes en vers de dix, césures en 4+6 :

Ils t’ont prié, | pendant leur courte vie,
Ils ont souri | quand tu les as frappés,
Ils ont crié : | « Que ta main soit bénie ! »
Dieu, tout espoir ! | les aurais-tu trompés ?

Étends sur eux | la main de ta clémence.
Ils ont péché ; | mais le ciel est un don !
Ils ont souffert ; | c’est une autre innocence !
Ils ont aimé ; | c’est le sceau du pardon !

Cette cadence a je ne sais quoi de chantonnant, qui s’accorde mal avec le sérieux d’un pareil sujet. Par l’inégalité régulière de ses deux parties, elle est, à la fois, disloquée et monotone, comme le serait l’alternance prolongée d’un vers de quatre syllabes et d’un vers de six.

[Et la médiocrité musicale de ce rythme vient du peu de place qu’ont les accents secondaires pour évoluer. En effet, sous peine de rencontrer l’un des deux accents obligatoires, les accents rythmiques ne peuvent, ici, se poser ni sur la troisième ni sur la cinquième syllabe. Mais que le poète abandonne ce rythme pour reprendre le vers de sept syllabes, et aussitôt, et par cela seul que l’accent secondaire aura cinq syllabes de suite entre lesquelles il pourra choisir pour se poser, voilà toute monotonie disparue. Et, autant le vers de dix syllabes, — le plus long, pourtant, — paraissait étroit et contraint, autant celui de sept, — le plus court, — va nous paraître large et libre :

Ils furent ce que nous sommes,
Poussière, jouet du vent ;
Fragiles comme des hommes,
Faibles comme le néant !
Si leurs pieds souvent glissèrent »
Si leurs tevres transgressèrent
Quelque lettre de ta loi,
O re ! ô Juge suprême !
Ah ! ne les vois pas eux-mêmes,
Ne regarde en eux que toi !

Et nous voyons, une fois de plus, à quel point le jeu des accents est le grand générateur de la beauté des vers français.]

Victor Hugo l’a employé trois ou quatre fois ; mais si l’on étudie ces pièces, notamment les deux qui se trouvent dans les Contemplations (Lise et Un soir que je regardais le ciel), on verra comment l’admirable instinct du maître lui a fait éviter, dans une certaine mesure, la monotonie que j’ai dite. De temps en temps, au lieu d’accentuer plus fortement que les autres la quatrième syllabe, en faisant coïncider l’arrêt de la voix avec un certain arrêt du sens, il supprime cette coïncidence, ne laisse à la quatrième syllabe qu’un accent secondaire, suffisant pour rappeler le rythme primitif, et reporte un peu plus loin l’arrêt du sens avec la syllabe la plus accentuée. Ainsi, au cinquième vers de la strophe suivante, où je marque d’un trait simple la césure régulière, ici affaiblie, et d’un trait double la césure psychologique, ainsi reculée :

Elle me dit, un soir, en souriant :
« Ami, pourquoi contemplez-vous sans cesse
Le jour qui fuit, ou l’ombre qui s’abaisse,
Ou l’astre d’or qui monte à l’Orient ?
Que font vos yeux | là-haut ? || Je les réclame.
Quittez le ciel ; regardez dans mon âme. »

Il est certain qu’on ne peut arrêter la voix sur yeux plus que sur haut, car on entendrait :

Que font vos yeux ? Là-haut je les réclame,

ce qui serait absurde. Il faut donc bien, en lisant ce vers, atténuer l’accent de la quatrième syllabe, pour fortifier celui de la sixième. Et cette atténuation légère à la place habituelle, atténuation qui laisse subsister comme le souvenir et la trace de la césure normale, est d’un effet délicieux. Voici, pris dans les deux mêmes pièces, des vers écrits selon cette formule :

Quand nous étions | à vêpres, || le dimanche…
Le ciel que j’ai | dans l’âme || est plus céleste…
Ne songe plus | au ciel ! || J’en suis jalouse…

Et après des vers de cette sorte, où nous avons joui d’une brève et discrète altération de la mesure, nous retrouvons avec d’autant plus de contentement la coupe ordinaire, avec sa césure absolue à la quatrième syllabe.

Ce vers se mêle parfaitement avec celui de douze syllabes :

Tandis que le sommeil, réparant la nature,
 Tient enchaînés le travail et le bruit,
Nous rompons ses liens, ô clarté toujours pure !
 Pour te louer dans la profonde nuit.
 (Racine, Hymnes traduites du Bréviaire romain.)

avec celui de quatre :

S’asseoir tous deux au bord du flot qui passe,
 Le voir passer ;
Tous deux, s’il glisse un nuage en l’espace,
 Le voir glisser…
 (Sully Prudhomme, les Vaines Tendresses.)

et avec celui de trois :

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux,
 Mets ton âme !
 (Hugo, les Contemplations.)

2o Décasyllabe césure en 5+5 :

Dans la plaine blonde | et sous les allées,
Pour mieux faire accueil | au doux messidor,
Nous irons chasser | les choses ailées,
Moi, la strophe, toi, | le papillon d’or.
 (François Coppée, le Reliquaire.)

Croirait-on que cette coupe charmante, — usitée dès le treizième siècle, dans nos chansons populaires, mais que les poètes lettrés avaient dédaignée et méconnue, au siècle de Ronsard comme au siècle de Corneille, — n’est entrée qu’au temps du romantisme dans le trésor de notre prosodie ? Et pourtant, c’est ainsi. Depuis, par un retour de fortune, elle a presque détrôné l’ancien décasyllabe césuré en 4+6.

Voici les morceaux les plus propres à vous en communiquer l’harmonie. Dans Alfred de Musset, la Chanson : « J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur… » Dans Victor Hugo, deux chansons aussi, un peu perdues dans son roman des Misérables : celle de Fantine (1re partie, livre VII) et celle de Jean Prouvaire (4e partie, livre XII) ; on y ajoutera Choses du Soir (l’Art d’être Grand-Père). Dans Leconte de Lisle, les Elfes (Poèmes barbares) et les Odes anacréontiques (Poèmes antiques). Enfin, pour juger de l’heureuse alliance de ce vers de dix syllabes avec le vers de cinq, le seul auquel il se puisse associer, on lira l’Agonie, de Sully Prudhomme :

La musique apaise, enchante et délie
 Des choses d’en bas :
Bercez ma douleur, je vous en supplie,
 Ne lui parlez pas.
 (Les Solitudes.)

et les Conseils à une Parisienne, d’Alfred de Musset, dans les Poésies nouvelles.

La coupe du décasyllabe en 5+5 n’échapperait pas non plus à une certaine monotonie, à cause de l’absolu balancement de ses deux hémistiches, qui lui donnent, de plus, une allure presque dansante, si on n’y pouvait porter remède, comme dans la coupe, en 4+6, en affaiblissant quelquefois la césure normale sans la détruire, et cela en ne la faisant point toujours coïncider avec l’arrêt du sens, avec ce que j’ai appelé la « césure psychologique ». On sentira toute la souplesse que peut donner, à notre décasyllabe nouveau, cette avance ou ce retard de la césure psychologique par rapport à la césure phonique ainsi atténuée, en lisant un des poèmes de Leconte de Lisle, que je vous recommandais ci-dessus. Aux quatre vers où le poète a usé de ce procédé, je marquerai, d’un trait double, la place où l’arrêt normal de la voix frappe une syllabe d’un accent plus fort que celui de la césure médiane, laquelle restera indiquée par un trait simple :

Je dirai la rose aux plis gracieux.
La rose || est le souffle | embaumé des Dieux,
Le plus cher souci des Muses divines.
Je dirai ta gloire, ô charme des yeux,
O fleur de Kypris, reine des collines !
Tu t’épanouis entre les beaux doigts
De l’Aube || écartant | les ombres moroses ;
L’air bleu devient rose, et rose le bois ;
La bouche et le sein | des Nym || phes sont roses !
Heureuse la Vierge aux bras arrondis
Qui dans les halliers | humi || des te cueille !
Heureux le front jeune où tu resplendis !
Heureuse la coupe où nage ta feuille !
Ruisselante encor du flot paternel,
Quand de la mer bleue Aphrodite éclose
Étincela nue aux clartés du ciel,
La Terre jalouse enfanta la rose ;
Et l’Olympe entier, d’amour transporté,
Salua la fleur avec la Beauté.

Cette petite pièce, digne des odes d’Anacréon qui l’ont inspirée, est vraiment le plus parfait modèle du vers décasyllabique à césure médiane.

a – Pour : que tu cueilles. Nous nous expliquerons plus loin sur cette licence orthographique.

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