Babylone·Théâtre

Darius – Acte V – Premier tableau

ACTE V

Premier tableau

La maison de Daniel.

Scène Première

DANIEL

Je reviens de voyage et j’en apprends de belles :
Le roi, dans mon absence, en a fait de nouvelles !
Satrapes envieux, arrivistes jaloux
Ont tôt fait de plier Darius à genoux.
Je trouve chez ce roi peu de plomb dans la tête.
Tant de fois notre loi, la Torah, les prophètes
Ont empli des soirées nos conversations ;
Les oracles sacrés sur toute nation,
Sur Moab, sur Edom, sur l’Égypte et Ninive,
Peuples qui s’acharnaient contre les âmes juives
Et subirent chacun le juste châtiment,
Sur Babylone aussi le pressant jugement,
Expliquant à mon roi le fond des Écritures,
Des visions de Dieu éclairant les peintures,
Et qu’en ces saints rouleaux l’Esprit parle de lui,
Que son Dieu le pesait sur le poids de ses fruits.
Et l’esprit de Darius approchait la lumière,
Des vanités de cour méprisant la poussière,
J’espérais qu’il se rende au vivant Créateur,
Recherchant comme moi la main du Bon Pasteur…
La parole en son cœur est une tour fragile
Pareille à ce colosse aux pieds mêlés d’argile.
Je parle de ma foi au Dieu de vérité,
Il me répond « amen » avec sincérité.
Suffit-il qu’un flatteur approche de son âme,
Un mielleux courtisan, une charmante femme,
Un savant orateur, un parfait comédien
Et notre pauvre roi s’en retourne païen.
Une nouvelle loi m’interdit la prière.
Je ne puis lui céder, alors, que faut-il faire ?
À Dieu, quoi qu’il en coûte, il me faut obéir.
J’appartiens au Vivant, vais-je donc le trahir ?

(L’Ange du Découragement apparaît)

Scène II

DANIEL – L’ANGE DU DÉCOURAGEMENT

L’ANGE

Beltschatsar, mon ami, je te vois bien en peine.

DANIEL

Aurais-je en ce moment l’âme calme et sereine ?
Qui es-tu ?

L’ANGE

Un ami qui ne veut que ton bien,
Habitant les hauts cieux, ton ange et ton gardien.

DANIEL

Ange gardien, dis-tu ? Étrange analogie !
Je dois revoir ma Bible et ma théologie.

L’ANGE

Ces infimes rouleaux qui te sont précieux
Contiennent en partie la parole de Dieu.
Les anges comme nous, plus près de sa pensée
Partagent aux humains ses divines idées.
Alors, dis-moi, Daniel, d’où te vient le souci ?

DANIEL

Tu devrais le savoir ?

 

 

L’ANGE

Je le sais, Dieu merci.
C’est cet édit royal, ce décret qui te prive
Du droit d’adorer Dieu.

DANIEL

Oui. Faut-il que je vive
En reniant ma foi, ou bien dois-je mourir ?
S’il me faut résister, ai-je peur de souffrir ?

L’ANGE

Qu’as-tu fait de ta foi ? Le joug est donc si rude ?
Tu devrais pour un mois changer tes habitudes.
Mais qu’est-ce donc qu’un mois ? À peine trente jours.

DANIEL

Un mois sans adorer ! Ce fardeau m’est trop lourd ;
Séparé, loin de Dieu, terré dans le silence,
Ne fut-ce qu’un seul jour, hélas ! quelle souffrance !
Non, j’aime mieux mourir, par les lions trépasser,
Ce sont quelques instants pénibles à passer.

L’ANGE

Eh ! mon pauvre prophète, quel théâtre tragique !

J’ai connu mon Daniel un peu plus dynamique.
Qui parle de quitter la joie de ton Seigneur ?
De ton âme Adonaï connaît la profondeur.
La foi bien ordonnée n’exclut pas la prudence.
Il comprend ta ferveur et ta persévérance.
Pour entendre sa voix quand tu viens à prier
Le Maître n’est pas sourd, nul besoin de crier.
Ta voix de baryton mille pas à la ronde
Retentit dans les rues à l’ouïe de tout le monde.
Baisse un peu le volume et ferme les volets.

DANIEL

Je veux sans retenue l’invoquer s’il me plaît.

L’ANGE

Pour tes dévotions descends donc dans ta cave
Un court mois seulement, que cette affaire est grave !

Laisse ta liturgie trente jours en sommeil,
Tu t’en porteras mieux, je suis de bon conseil.

DANIEL

En sommeil, me dis-tu ? Ce mot me désespère.
Un ange est-tu vraiment, missionné du Père ?
Ange de bon conseil ? Un ange est-tu vraiment ?
As-tu le ministère du découragement ?
M’exhorter à me taire ! Je crains que tu ne railles.

L’ANGE

Il est déjà fort tard. Il faut que je m’en aille.

(L’Ange du Découragement disparaît. Gabriel apparaît.)

Scène III

DANIEL – GABRIEL

GABRIEL

Tu l’as bien confondu cet oiseau de malheur,
Cet ange aux ailes noires, conseiller destructeur,
L’ange de l’ombre grise et non de la lumière.
Du maître de la nuit voilà bien les manières !
Les perles servent-elles d’ornement aux pourceaux ?
Une lampe doit-on placer sous le boisseau ?
Une ville bâtie au flanc d’une colline,
Pourrait-on la cacher ? Auréole divine,
Elle guide les pas du marcheur égaré.
Serait-elle masquée, qui pourrait l’éclairer ?
Si les enfants de Dieu sont le sel de la terre,
Le sel perd sa saveur, incroyable mystère,
Comment lui rendra-t-on le goût ? Mon messager,
Mon témoin, mon flambeau, mon prophète engagé
Ne craint point du méchant la sottise et la rage.
N’aie point peur à ton Dieu de rendre témoignage
Car ton maître a des plans pour cette autorité,
Il changera le cœur du roi sans volonté.

DANIEL

Mais pour servir ses plans que faut-il que je fasse ?

GABRIEL

Ne sois pas effrayé par les cris et menaces ;
Sans trêve, sans répit, adore l’Éternel.
Que ta voix assurée s’élève jusqu’au ciel,
Que ton corps et ton âme à ses pieds soient son temple
Et des cieux infinis le Maître te contemple.
Il veille sur tes mots, il veille sur tes pas.
Ne crains point les lions, ne crains point le trépas,
Ni de tes ennemis les vaines tentatives.
Va, comme Gédéon, avec ta force vive.
Le vrai Dieu, le Puissant, t’appelle son témoin,
Le fruit de son amour et l’objet de ses soins.

(Gabriel disparaît.)

Scène IV

DANIEL

Ô pure vision me rendant à la vie
Et ramenant ma foi au Céleste asservie.
Que m’importe la vie ! Qu’importe le jaloux !
Qu’importent les lions et qu’importent les loups !
Vous, les maîtres imbus de votre satrapie
Me voulez voir trembler. Vos menaces impies
Au lieu de me combler d’un sombre désespoir
Me donnent du courage et je veux, dès ce soir
Adresser face à vous ma fervente prière
Au seul Maître des cieux, seul Maître sur la terre.
Au roi je n’offrirai nulle dévotion,
Seulement du respect, de la compassion.
Aux infidèles lois je ne puis me soumettre.
Ouvrons de ce logis tout en grand les fenêtres.
Aurais-je quelque honte à louer l’Éternel ?
N’est-il pas près de moi, ce Père, Emmanuel ?
Il reniera Daniel si Daniel le renie ?
À la ville exhibons sa grandeur infinie.
Oui, devrais-je en mourir, mourons comme témoin ;
Mon être tout entier se confie à tes soins.
À mes pieds ta parole est source de lumière,
Elle guide mes pas, mes chemins elle éclaire.
J’espère en ta justice et j’observe ta loi.
Je suis humilié, mais la vie, rends-la-moi.
Dans ta sainte Torah, précieuse Écriture
Je trouve à mon esprit complète nourriture.
La volonté divine y est simple à trouver.

(Il déroule la Torah.)

Il appelle Abraham afin de l’éprouver,
Consolider sa foi, fortifier sa marche.
« Me voici, répondit le sage patriarche,
– Prends avec toi Isaac, ton fils, le bien-aimé.
– Où tu voudras, dit-il, tant de zèle animé.
– Va jusqu’à Morija, au-delà des campagnes
Et sacrifie-le-moi, là, sur cette montagne. »
Abraham prit son âne, son fils, deux serviteurs,
Il prépara le bois et partit sans un pleur.
Les voici parvenus à la morne colline.
Il fallait observer l’instruction divine.
Isaac et son père gravirent le chemin,
Le fils portant le bois, Abraham en sa main
La flamme et le couteau. Ils s’élèvent ensemble.
« Père, dit Isaac, il nous manque, il me semble,
L’agneau pour l’holocauste. – Mon fils, Dieu pourvoira.
Il a tout ordonné, son plan s’accomplira.
Servir le Dieu vivant n’est point chose facile,
Il faut être soumis, confiants et dociles. »
Après qu’il ait placé les fagots sur l’autel,
Abraham lie son fils, invoque l’Éternel ;
Il brandit le couteau, menace épouvantable !
Le jeune homme innocent puni comme un coupable !

« Abraham ! Abraham ! » C’est la voix de son Dieu.
« N’égorge ton enfant ni ne le brûle au feu.
Tu n’as point refusé Isaac, ton fils unique,
Je t’épargne à présent ce dilemme tragique.
Regarde autour de toi, par les cornes lié,
Piégé dans un buisson, le noble bélier.
Pour le prix de ta foi et ton obéissance,
Je bénis avec toi toute ta descendance,
Et comme les étoiles au sein de l’univers,
Et ta postérité comme au sable des mers,
Sera multipliée. Des ennemis la race
Tel un vol de moineaux fuira devant ta face. »

(Il enroule la Torah et s’agenouille.)

Éternel, ton amour ! Ineffable grandeur !

Aux démons de l’enfer inspirant la terreur,
Pesant dans tes plateaux les puissants de la terre,
Relevant l’indigent du fond de la misère,
Au père des croyants tu épargnas jadis
Le fruit de ta promesse et son unique fils.
Ô Dieu, dans ta clémence et ta grâce infinie,
Aux nations rebelles devant être punies
Tu descendras en chair, tu me l’as révélé,
Par le don de ton Fils, innocent immolé,
Tu porteras sur lui nos âmes pécheresses,
Comme un lâche brigand vers la mort il s’abaisse.
Vision de supplice, de souffrance et d’effroi
Sur une croix sanglante…

SOLDATS, au-dehors

Ouvrez, au nom du roi.

(Entrent Tholas, Kophas, Darius et des soldats.)

Scène V

DANIEL – THOLAS – KOPHAS – DARIUS – Soldats

THOLAS

Votre adoration n’est pas des plus discrètes.

KOPHAS

Vous priez votre Dieu au son de la trompette.

THOLAS

N’est-il pas interdit par la médique loi
D’adorer d’autre dieu que Darius, notre roi ?

DANIEL

Darius est-il un dieu ?

THOLAS

Quoi ? Votre impertinence
N’a pour moi rien d’égal sinon votre imprudence.

KOPHAS

Dans les rues, sur la place, en toute la cité
On vous entend crier, fanatique agité.
À l’ouïe des passants vous offrez vos blasphèmes,
Sectateur insoumis, misérable anathème.
Nous prenons à présent le monarque à témoin
Qu’aux lois les plus sacrées vous n’obéissez point.
La justice, en tel cas, n’a le droit de se taire.
Qu’on châtie ce bandit d’une peine exemplaire.
Aux lions !

THOLAS

Aux lions ! Dans la loi, c’est écrit
Et scellé par le sceau de Darius.

 

 

KOPHAS

Tout est dit.

DARIUS

Tout est dit ? Est-ce là ce que le roi désire ?

THOLAS

Ne faut-il pas montrer bel exemple à l’empire ?
Ce satrape insolent devra mourir ce soir.

DARIUS

Le divin souverain n’a-t-il pas le pouvoir
De damner ou sauver. N’a-t-il point droit de grâce ?

THOLAS

Il faut que l’impie meure. Le prix de son audace…

DARIUS

Mais je ne le veux point ! Mon plus grand serviteur,
Le plus fidèle, enfin, n’est-il pas le meilleur ?
Prier en sa maison : trouve-t-on dans cet acte
Un crime abominable ? Hélas ! Je me rétracte.

THOLAS

Vous rétracter, Seigneur ? Il n’y faut point songer.
Par cet édit signé vous êtes engagé.
La loi – vous le savez – des Perses et des Mèdes
Ne peut se révoquer, car le roi qui possède
La cire et le cachet, sitôt l’ordre scellé
Porte en lui la sagesse et l’esprit exercé,
Tout le discernement que son état lui donne,
L’inerrante pensée…

DARIUS

Que les dieux me pardonnent !
Ne puis-je déroger une fois seulement ?

THOLAS

À quoi vous servirait un tel revirement ?
Au su de la faiblesse dont votre cœur s’anime
Le peuple vous verrait lâche et pusillanime.
Vous verriez vos sujets loin de vous s’éloigner.
Privé de son soutien qu’auriez-vous à gagner ?

DARIUS

Signons un autre édit pour sauver mon prophète.

KOPHAS

Par le roi c’est signé ! Buvez votre défaite.
Une première loi point ne se contredit.
Le prophète aux lions ! Point d’arrêt, point d’édit !

DANIEL

Darius, le roi de Perse, est un roi bien étrange.
Le roi que l’on fait dieu, mal servi pas ses anges,
Devant l’homme pervers impuissant, désarmé,
Le roi manipulé par les loups affamés,
Darius, qui n’est qu’humain, tombe en son propre piège.
N’aie point peur, mon bon roi, car mon Dieu me protège.
Rejette la folie, crois en lui simplement.
Aux ordres du méchant obéis promptement.
Dans la fosse aux lions ils veulent du spectacle :
Tu verras si Yaveh ne fait plus de miracles.
Des crocs de ces félins il me délivrera.

DARIUS

C’est le Dieu des Hébreux. Tu t’appuies sur son bras.
Puisse-t-il délivrer l’homme que je préfère.
Pour puissant que je sois, je ne puis plus rien faire.
Pour sa fidélité lourde punition,
Que Daniel soit jeté dans la fosse aux lions !

(Les soldats emmènent Daniel.)

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© 2019 Lilianof

 

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