car je ne suis pas encore monté vers le Père.
(Jean 20.17)
Des brumes au couchant, des roses à l’aurore ; Sur les monts assoupis dorment les oliviers ; Sous la brise des nuits, la moisson qui se doreS’incline ensommeillée, et la rosée encorePar les chemins crayeux inonde les palmiers.
Dors, ô Jérusalem, ô cité déicide ! Dors ! Jésus au tombeau n’a plus besoin de toi ; Dormez, pharisiens ; dors, peuple régicide :Le Christ est mort ! enfin, tu l’as vaincu, ton roi !
Jésus est au tombeau, plus rien ne vous excite :La Mère des douleurs sanglote en sa maison ; Les disciples aimés, lâches, ont pris la fuite.Dors éternellement, dors, ô ville maudite ! Ton prophète n’est plus, la tombe est sa prison.
Un rayon a jailli de l’horizon immenseLançant des flèches d’or aux coupoles d’azur…Seule, par les sentiers, une femme s’avance, Sa chevelure blonde au zéphyr se balance, Et sous son voile blanc humide est son œil pur.
Elle s’en va pleurant, haletante et brisée, Appelant un doux nom, regardant au lointain, Perçant de son regard et la brume iriséeEt le feuillage encor sombre dans le matin.
Elle interroge avide et le mont et la plaine, Et les champs et les bois, et la terre et les cieux ; Mais l’écho seul entend sa plainte souveraine :Rien, au nom de Jésus, ne répond à sa peine ; Tout est silencieux !
«O toi, mon bien-aimé, toi que mon âme adore, Où donc, où donc es-tu ?… Jésus, ô réponds-moi ! Tu disais : Dans trois jours !… Vois, le ciel se colore, C’est la troisième aurore, O Jésus, montre-toi !
Quoi ! le sépulcre est vide, et la pierre muette ! L’ange consolateur a replié son vol ! O mon doux bien-aimé, vois ma peine secrète, Mon pauvre cœur meurtri, ma pauvre âme inquiète, Et l’urne des parfums gisante sur le sol !…
Et Madeleine joint ses longues mains de cire ; Elle clôt ses beaux yeux et sanglote tout bas ; Et sa lèvre pâlie, ivre de son délire, Ne répète qu’un mot : Pourquoi ne viens-tu pas !
«Maria ! Maria !…» Tout l’être de l’amanteTressaille de bonheur et son âme est en feu :C’est Lui !… Lui qui répond à sa prière ardente ! Elle tombe à genoux, heureuse, frémissante :Rabboni ! mon Jésus, mon doux Maître et mon Dieu !
Et, le front prosterné dans la blanche poussière, Elle veut enlacer les pieds de son Sauveur, Y mettre en un baiser son âme tout entière, Dénouer sur ses pas sa chevelure altièreEt briser à jamais son cœur.
Mais le Christ, éclatant de lumière et de gloire, Le Christ ressuscité lui dit : « N’approche pas ! Noli me tangere ! Maria, la victoireN’est pas complète encore : il faut aimer et croire ; Mais jouir est du ciel et souffrir d’ici-bas. »
Noli me tangere !… L’amante qui soupireCourbe son front soumis avec humilité ; Et Jésus, lui montrant le ciel bleu d’un sourire :« Là-haut, là-haut, un jour, tu pourras tout me dire, Et nos cœurs s’ouvriront durant l’éternité !… »
Noli me tangere ! Mon âme aime ton âme, Ta voix vibre en mon cœur en sons harmonieux ; De tes grands yeux pensifs j’aime l’ardente flammeComme un rayon des cieux !
Oh ! ne profane pas cette exquise tendresse ; Ne brise pas l’autel où fume un pur encens ; Laisse au lis du vallon son parfum, chaste ivresse ; Laisse au petit oiseau ses candides accents.
Il ne faut qu’un zéphyr à la fleur sensitivePour qu’elle se replie et se ferme à jamais ; Un ruban peut tenir la colombe captive, Un choc peut entr’ouvrir les vases parfumés…
Nos âmes sont, crois-moi, trop grandes et trop bellesPour les sacrifier aux bonheurs d’un instant :Elles veulent, ami, des amours éternellesEt des baisers sans fin, des rêves sans moment.
Noli me tangere ! Le jour s’efface et tombe.Vois, l’ombre monte et croît au creux des noirs ravins ; Vois, nous nous inclinons tous les deux vers la tombe.Mais non ! je sens grandir mes ailes de colombe, Et je veux m’envoler auprès des séraphins !
Viens !… là-haut c’est le jour, c’est la pure lumière ! Sous le regard de Dieu nous mêlerons nos voix, Nous unirons nos cœurs… ô sublime prière ! Pour le redire ensemble, oh ! viens, laisse la terre ! Adore, espère et crois !…
(1860 – ….)
C’est une des plus étranges paroles de Jésus que celle adressée à Marie-Madeleine, la première personne à le voir ressuscité : « Ne me touche pas… ». Pour l’expliquer on a parfois essayé de dire que le verbe grec (Μή μου ἅπτου) signifiait en réalité ne me retiens pas, dans le sens où Jésus s’apprêtait à monter à l’instant vers Dieu. Cependant le verbe ἅπτομαι n’a pas vraiment ce sens, et celui que le grec emploie pour saisir, s’emparer, est plutôt κρατέω.
Il semble donc que le toucher que Jésus interdit à Marie-Madeleine, ainsi que l’explique le commentateur F. Godet, n’est pas celui de l’inquiétude, mais celui de la jouissance : ce n’est pas le moment de chercher à rétablir les anciennes relations d’amitié qui existaient entre les disciples et lui-même dans les jours de sa chair, mais il faut entrer dans la sphère nouvelle où la communion avec lui s’accomplit uniquement par la foi.
C’est aussi le sens que ce merveilleux poème Noli me tangere, donne à l’expression latine du ne me touche pas. Maurice Le Beaumont est le pseudonyme masculin d’une femme de lettres née en 1860 à Clermont-ferrand, dont le véritable nom n’a jamais filtré jusqu’au public. Le mysticisme typiquement catholique qui se perçoit dans ses vers nous fait pourtant entrevoir quel genre d’auteur elle pouvait être. Le tableau est de Alexandre Ivanov (1806-1858).
L’expression de la Vulgate, Noli me tangere a donné son nom à la Balsamine des bois, une plante dont les capsules mûres explosent au moindre contact, pour répandre leurs graines. Le vers :
fait allusion au mimosa, dont les feuilles se replient quand on les touche.
