Ce petit texte est une réponse au défi d’écriture de l’auteure Gwen. D, qui consiste à composer un texte court (nouvelle, poème, scénette…) en utilisant des mots imposés. Les mots qu’il faut placer (avec l’orthographe exacte) sont en gras. Ce sont en fait les mots… de la dernière partie de Scrabble de Gwen ! N’hésitez pas à participer vous aussi.
Je peignais savamment la pelouse au fond d’un parc éclatant de verdure, quand un homme bien mis s’approcha de moi et m’interpella fortement :
– Hé vous ! Laissez-donc la pelouse tranquille !
– Comment ? répondis-je interloqué.
Je ne m’attendais pas à ce qui allait suivre :
– Je dis : laissez ce carré d’herbe tranquille. Savez-vous simplement, Monsieur, le nombre d’espèces qui vivent dans cette belle pelouse ? J’ai le cœur en friche de la voir ainsi dépouillée et bâtonnée ! Le vrombissement des lames fait monter en moi une larme amère. N’attendez-vous pas le cri de notre Terre-Mère blessée pour le simple plaisir d’une foule amusée ? Je ne dis pas ça pour vous chauffer le job1. Ce n’est pas que de l’herbe que vous tondez, c’est un écosystème entier que vous tuez. Pourquoi réduire en bouillie ce bel ensemble dynamique d’organismes vivants ?
Il ramassa une motte de terre et l’édifice de ses pensées s’étaya. Dans un brusque élan qui ressemblait à de la folie, il cita soudain un proverbe hindou :
– « Ce qui advient d’une poignée de terre, advient du monde entier.» Regardez comme la terre fuit entre mes doigts : c’est le temps qui s’en va. Adorez-là au lieu de la coiffer ! Faites-moi le plaisir de vider le plancher des vaches de vos machines infernales. Alors les coqs chanteront l’aube nouvelle du triomphe de la nature, nos cantiques feront tressaillir la nef des cathédrales !
Il jeta un peu de terre en l’air et le ton devint extatique :
– Les visiteurs de ce parc verront enfin la vie, la vraie, celle qui prend un grand V et qui marche devant nous. Pour la rendre plus perceptible, nous moulerons ce V dans le noble métal ! Ce Vé d’or de l’écologie sera notre repère dans ce monde assassin !
Tout le corps de l’homme se mit à haleter, tant et si bien que j’ai bien crû qu’il allait rendre l’âme sur le champ. Seuls ses yeux étaient étrangement fixes, ce qui n’aidait pas à vous mettre à l’aise. Celui qui ressemblait tout à l’heure à un kan ressemblait maintenant à un homme qui haït. Ses propos étaient de plus en plus incohérents :
– Zhĭ shèngxià wŭ fēnzhōng le. Il ne te reste plus que cinq minutes. Les wons coréens ne valent pas plus que tes vulgaires euros. Les carottes cuites sont meilleures crues. Les oiseaux que tu engluas de pétrole sont les fantômes de ton âme. Le terreau du gazon sera ton tombeau….
J’écoulais mes dernières réserves d’essence et de patience. Il allait m’avoir à l’usure et mes poings commençaient à se crisper. Fort heureusement, le bipeur de ma tondeuse vint brusquement interrompre ce monologue lugubre. Un silence se fit. Ses yeux esquissèrent un mouvement vers l’appareil qui venait d’alimenter la conversation. Dans un sourire, je lui dis :
– Cette machine est inoffensive. Craignez plutôt la colère de Dieu.
L’homme resta figé, hagard. Je tournai le dos et je m’en allai, en disant cette humble prière :
– Pardonne-moi Seigneur et pardonne-lui. Je ferais volontiers un Scrabble avec cet homme.
Fin
1 – Monter la tête à quelqu’un, le tromper. (vieilli)
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