Poésie·Réécritures

Marie, femme de l’ombre

Le texte ci-dessous reprend les évangiles (même si Marie est aussi mentionnée en Actes 1 v14, en train de prier avec les disciples) et s’arroge quelques libertés pour tenter de décrire/comprendre le chemin de croix de Marie : de ce « oui » décisif à l’adoration du Dieu crucifié sans pour autant tomber dans les clichés de la Vierge à l’Enfant ou de la Pietà ou pire encore, dans la mariolâtrie. Je considère en effet l’hyperdulie comme une idolâtrie . Pourtant, Marie est un exemple de foi particulièrement riche et trop souvent négligé par ceux qui refuse d’y voir une médiatrice vers Dieu, s’appuyant (à juste titre) sur 1 Timothée 2v5. J’essaie ici de donner à chacun quelques raisons de se (re)pencher sur celle que Jésus appela vraisemblablement « Ima » (אמא : maman en hébreu).

Si le doute est tourment
Qu’on ne peut ignorer ;
Le doute est instrument,
Peut nous améliorer.
Quand l’éclipse de Dieu
Me rappelle la Pâque,
Je détourne les yeux
Vers des temps moins opaques :
Je regarde à l’étoile
Guidant bergers et mages ;
Je repense à ce voile
Déchiré… doux message.

Dans les nuits de ma foi,
Lorsque croire m’effraie
Souvent je pense à toi,
O vierge consacrée.
Je médite ton « oui »,
Ce beau renoncement
À comprendre, et ma nuit
S’éclaire doucement :
Nul besoin de savoir
Seigneur, comment, pourquoi
Tu conduis mon histoire
Pour me soumettre à Toi.

Tu te sens démunie :
Ton fiancé, les voisins…
S’ils faisaient front uni,
Te barraient le chemin ?
À qui confier ton cœur ?
Craignais-tu qu’on t’abatte ?
L’ange a dit « n’aie pas peur »,
Pourtant tu pars en hâte…
Toi la déshonorée,
Tu relèves ta tête ;
Tu te sens restaurée
Devant Elisabeth.

L’ange n’a pas menti ;
Quoiqu’incompréhensible,
En toi, vierge bénie,
Dieu a fait l’impossible,
Et plus que tu n’espères
Car ton fiancé t’attend
Prêt à être le père
De ton divin enfant ;
Il ne renonce pas
Face aux difficultés,
Oui, Joseph reste là,
Présent à tes côtés.

De même Dieu prévoit
Des proches, des soutiens
Pour prendre soin de moi
Lorsque je vais moins bien
(Des gens pour accueillir
Ma personne et mes doutes),
Me porter sans faillir
Et me remettre en route,
Ou quelques étrangers
(Mages, théologiens,
Prophètes et bergers)
Qui n’en comptent pas moins.

Dans les nuits de ma foi,
Quand je suis terrassé(e),
Souvent, je pense à toi
Mère au cœur transpercé.
Je songe à ta souffrance,
Tes doutes douloureux,
A ta persévérance
Sur le chemin de Dieu :
Laisser ton fils Jésus
Faire l’œuvre du Père,
S’éloigner toujours plus ;
Devoir t’en satisfaire.

Car déjà Siméon
Et Anne s’en emparent :
« Ton tout petit garçon
Te sera un poignard ;
Le prince de la paix
Suscitera des luttes,
Apportera l’épée
Et causera des chutes ;
Le sauveur de ce monde
Connaitra les pensées
Et en une seconde,
Pourra les dévoiler ».

Bien sombre pronostic
Mais Christ est médecin :
Face à l’état critique
D’un monde si malsain
Jésus relèvera
Les pécheurs repentis ;
Oui il restaurera
Les Juifs et les Gentils.
Merveilleuse promesse
Mais ses fruits sont discrets :
Le Ciel sera en liesse
Et ta vie sans attrait.

Nul lendemain facile
Promis par Gabriel
Mais mon cœur indocile
En exige du Ciel :
Face aux difficultés,
Je veux que l’on m’explique,
J’invoque l’équité,
Multiplie les suppliques
Et je tombe à genoux
Car bien souvent je crois
Que ce « Dieu avec nous »
M’épargnera la croix.

Dans les nuits de ma foi,
Quand se ferment les Cieux,
Souvent je pense à toi
Dont le cœur était pieux.
« Bienheureuse entre toutes »,
Quel horrible mensonge !
As-tu laissé le doute
Ennuager tes songes ?
Quand tu fermais les yeux,
As-tu parfois pensé
Que tu méritais mieux
Ou qu’Il te délaissait ?

Aux fastueux présents
Apportés par les mages
Succèdent à présent
De funestes messages :
Dieu ordonne de fuir
Dans l’Égypte honnie ;
Hérode veut détruire
Ton merveilleux petit.
Pourquoi tant te bénir
Si c’est pour tout reprendre ?
Pourquoi ton avenir
A-t-il ce goût de cendre ?

L’Éternel fait pleuvoir
Sur le juste et l’impie
Et rayonner Sa gloire
Sur tout être qui vit ;
Le méchant germe et pousse
Tel l’homme sans histoire ;
Tout est pareil pour tous,
La vie est dérisoire…
Et pourtant cet enfant
Est porteur d’espérance
Car le Dieu Tout-Puissant
Y a mis son essence.

Les bergers et les anges,
Les mages, tous chantaient :
– De ton fils, les louanges,
– De Dieu, la sainteté.
Dans ton cœur, dans ta tête,
Tu te redis ces mots,
Promesses de prophètes
Concernant ton marmot :
Sujet de joie sur Terre
Sauveur, prince de paix,
Pour les peuples, lumière,
Et roi à tout jamais.

Dans les nuits de ma foi,
Quand je ne comprends pas,
Souvent je pense à toi
Guidant Ses premiers pas.
Qu’il est dur d’être mère
D’un enfant si parfait
Mais – étrange mystère ! –
Pourtant pas encor fait.
Tes frayeurs, ta colère
Sont-elles légitimes ?
Tu marches sans repère,
Comment va ton estime ?

Il a douze ans déjà ;
Vous vous rendez au Temple,
Pour y adorer Jah ;
Jésus suit votre exemple.
Pourtant le soir venu,
Votre fils est absent,
Personne ne l’a vu,
Nul proche, aucun parent.
Trois jours plus tard enfin,
Vous retrouvez ce fils,
Au milieu des anciens
Assis, admiratifs.

Troublée quoiqu’apaisée,
Tu cherches à mieux comprendre
Mais loin de s’excuser,
Ton fils vient te reprendre :
« Pourquoi m’avoir cherché ?
J’étais où je dois être ;
Assis là à prêcher,
À enseigner les maîtres.
T’es-tu préoccupée
Des affaires célestes ?
Je dois m’en occuper !
Vous le saviez, du reste. »

Voici l’adolescence
Et de nouveaux défis :
A-t-il plus de bon sens ?
Avait-il des amis ?
A-t-il été visé
De coups, de moqueries ?
Était-il méprisé :
Trop bon et trop gentil ?
Il est indépendant
Et te le fait sentir :
Un homme maintenant
Qu’il faut laisser agir.

Dans les nuits de ma foi,
Lorsque croire m’attriste
Souvent je pense à toi,
Marie, mère du Christ.
À Cana, tu t’effaces,
Le veillant du regard ;
Le miracle se passe :
Le vin emplit six jarres.
Il enseigne, il guérit,
Annonce le Royaume ;
Des rabbins aguerris
Adhèrent à son axiome.

Partout il fait du bien,
Semble prêt à débattre…
Pourtant les pharisiens
En font l’homme à abattre.
Bientôt on te rapporte
Que ton enfant blasphème ;
Et on laisse à la porte
Ses frères et toi-même.
Sans nulle courtoisie,
Les mots sont foudroyants :
Sa famille choisie
Est celle des croyants.

Et pourtant à la croix,
Tu es là ; toi sa mère
Tu contemples et tu crois
Le Dieu qui se fit chair.
Au milieu de ces gens
Qui invoquent les Cieux,
Christ te confie à Jean,
Baisse sur toi ses yeux :
Il sait que tu es là,
Que tu l’as reconnu
Et te reconnaîtra
À nouveau dans la nue.

Quand l’éclipse de Dieu
Me plonge dans l’effroi
Et obscurcit mes cieux,
Marie, je pense à toi :
J’éprouve tes questions,
Je songe à tes blessures,
Tes incompréhensions…
Et cela me rassure.
Si le doute est tourment
Qu’on ne peut ignorer.
Le Christ à tout moment
Est là : viens l’adorer.

Poetyc

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