En l’an 1437 ou peut-être même quelques années auparavant, je ne sais plus très bien, vivait dans nos contrées une très jeune fille, tendre de cœur et humble d’esprit qui était passionnée par une seule chose dans ce monde : l’imagination.
Les journées de labeur succédaient pourtant aux journée de labeur et aucune distraction ne semblait pouvoir poindre dans l’environnement épuisant qui était le sien.
Il fallait faire des travaux ménagers, jardiner, ôter la mousse des murets pour ne pas qu’ils s’effondrent, gratter les pierres du chemin pour ne pas le voir submergé par la boue qui coulait de part et d’autre quand la pluie ruisselait si fort que l’espérance de jours meilleurs s’amenuisait.
Il fallait nourrir les poules, les oies, les coqs, porter les fagots, préparer la soupe et attendre le soir pour enfin rêver, si le sommeil profond ne l’emportait pas sur les pensées…
Pourtant, notre jeune fille, qui se nommait Philippine, était toujours souriante, gracieuse, paisible.
…
Il advient aux oreilles de la princesse Lucia, qu’une jeune femme de son royaume avait, si ce n’est un pouvoir mystérieux, au moins un talent particulier.
Lucia, fort curieuse comme le sont généralement les princesses enfermées dans de grandes et froides forteresses, voulut rencontrer la jeune paysanne et demanda à sa dame de compagnie de partir à sa recherche dans un rayon assez large autour du château. Si elle la trouvait en moins de sept journées, la princesse lui offrirait une belle et noble récompense : une bague en or sertie d’une émeraude. Cunégonde, la dame de compagnie, fut ravie de rendre ce service à sa maitresse et arpenta chaque recoin des différents patelins de la contrée.
Lorsqu’on sût précisément dans quel hameau habitait Philippine, la princesse, n’écoutant que son cœur, se rendit au galop dans les champs avoisinants, un matin du mois d’avril pour lui parler. Elle descendit de selle, sitôt l’avoir trouvée.
Je vous passe la scène des souliers de vair crottés par la boue du fossé, celle de la fine dentelle de la robe arrachée par les branches basses des arbres et des haies ; je vous passe également la tête de la plupart des paysans voyant avancer sans scrupule ni crainte leur princesse au milieu du champ, mais après quelques déboires salissants, Lucia put saluer Philippine.
Fait étrange c’est la princesse qui, la première, fit une révérence car déjà la mine réjouie de la jeune paysanne était prometteuse.
Le soleil était encore bas, les chapeaux inutiles et le renouveau du printemps annonçait un labeur bien plus fatigant que celui de l’hiver.
Tout était vert, tout semblait pur et Philippine resplendissait.
Lucia lui proposa de la suivre pour lui expliquer ce qu’elle attendait d’elle. La princesse eut peur quelques instants de la réaction et du refus de la jeune fille. Philippine accepta, sourire aux lèvres et les voilà toutes deux, élancées sur le cheval de Lucia.
Arrivée au château, la princesse monta dans sa chambre et invita Philippine à la suivre.
– Il parait lui dit-elle que vous souriez toujours, que vous êtes heureuse, chaque heure de la journée, et que vous ne vous ennuyez jamais. Est-ce vrai ?
– Vrai de vrai, répondit la jeune fille.
– Il parait également que vous ne râlez pas, n’êtes jamais épuisée et que vous avez toujours un refrain joyeux au bout des lèvres. Est-ce vrai ?
– Vrai de vrai, répondit encore Philippine
– Pourriez-vous me confier votre secret ? Je m’ennuie souvent dans ce château, les journées sont longues et j’aimerais moi aussi goûter la joie parfaite …
– Princesse, vous arrive-t-il d’inventer osa demander la jeune paysanne ?
– Inventer ? Qu’est-ce à dire ?
– Eh bien par exemple vous arrive-t-il d’inventer … euh …
Un bal où vous iriez danser avec des tresses, vous qui êtes princesse ?
Un matin ou vous dégusteriez du pain frais sur lequel coulerait du miel doré ?
Ou bien une chanson de tendres amants que vous fredonneriez, vous qui étudiez le chant ?
Ou encore un livre secret que vous rédigeriez toute seule, vous qui avez appris votre alphabet ?
– Euh ?
Lucia se gratta le menton pour réfléchir. Il y avait bien, au château, des bals organisés chaque semaine ; les participants étaient maquillés et habillés avec outrance, la musique forte, les violes déchainées ; cela ne la faisait pas rêver. Le pain frais, ce n’est pas que qui manquait ici ! Ses cours de chants étaient donnés par un musicien vieillot, Messire Soldo, qui lui faisait faire des vocalises, des vocalises et encore des vocalises avant de l’inviter à fredonner des airs désuets. Quant à l’écriture, n’en parlons pas, il fallait recopier des pages et des pages à la plume d’oie sans rature ni pâté et ne jamais rien inventer d’amusant ou de plaisant. Cela faisait même peur quand on prenait le temps d’y songer. Alors la princesse osa une question :
– Comment faites-vous ? Quel est votre secret pour que tout soit si léger ?
– Je vais vous expliquer dit la jeune paysanne ; mon secret c’est l’émerveillement. De toute chose que je regarde ou que j’entends, je fabrique une petite beauté et je la mets en mot dans mes pensées, je la cache, je la chéris, je la berce dans la nuit, comme si je semais une petite graine, une petite graine prête à germer et à se transformer en sourire, pour l’éternité.
C’est ainsi que la princesse Lucia obtint le cadeau le plus précieux qu’elle n’ait jamais reçu. Elle comprit de surcroît la signification de ce verset dans l’épître aux Philippiens que l’abbé lui avait demandé de méditer le mois dernier :
« Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes… »
Annick SB mars 2021
C’est un très beau texte. C’est léger à lire et ça fait réfléchir sur ce qui nous émerveille dans nos vies.
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Merci Mélanie et vive l’émerveillement !
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Magnifique
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Merci Julie !
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Tout en élégance… on se laisse agréablement porté, c’est très beau.
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Merci Jake !
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portER ! aïe… désolé 🙄
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Hihi !!! Si tu lis mes dix petits pardons, tu te sentiras moins seul 😉
https://le-monde-de-julie.fr/2021/03/14/dix-petits-pardons/
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