Enfants

Le premier prix (2/3)

Chapitre 2

Pendant que les autres cherchaient la vache perdue, Liliane s’était assise confortablement et avait commencé à dessiner. Une vache noire, un peu moins imposante que les autres, s’était approchée d’elle. Timidement, Liliane lui caressa le bout des naseaux. C’était tout doux. Au bout d’un moment, elle dressa l’oreille. Quel était donc le bruit qu’elle venait d’entendre ? Liliane se leva, attentive. Oui, c’était bien un sifflement.

« C’est Patrice ! s’exclama-t-elle. Je reconnais bien sa manière de siffler. Qu’est-ce qu’il veut ? »

Elle rangea ses affaires et se mit en route, guidée par les stridulations. Bientôt, elle arriva en vue du muret et se pencha par-dessus. Là, au milieu de la pente, son frère s’agrippait à un tronc, tentant de trouver un meilleur équilibre.

« Patrice ! Qu’est-ce que tu fais là ?

– Liliane ! Je suis coincé. La montée est trop difficile et je glisse ! Va vite chercher de l’aide !

– Ok, je me dépêche ! »

Liliane partit au pas de course.

« A l’aide ! criait-elle. A l’aide ! »

Elle suivit le chemin, puis grimpa dans la forêt. Personne. Elle rejoignit le pâturage. Personne. Seules les vaches la regardaient d’un air curieux. Liliane grimpa encore, s’époumonant :

« A l’aide ! »

Enfin, elle aperçut le berger venir vers elle.

« C’est toi qu’appelles à l’aide ? lui demanda-t-il.

– Mon frère est tombé près du ruisseau, ahana-t-elle.

– Où ça ? »

Liliane ne put plus répondre, prise d’une violente quinte de toux. En même temps, sa respiration devint sifflante. Le berger s’approcha d’elle, inquiet. Il n’avait jamais vu quelqu’un faire une crise d’asthme. Entre deux quintes de toux, Liliane parvint à prendre l’inhalateur qu’elle gardait toujours dans sa poche et l’employa aussitôt.

« J’peux t’aider ? » s’enquit le berger.

Liliane fit « non » de la tête et lui signifia par un geste de la main qu’il devait partir.

« J’vais chercher ton frère, acquiesça le berger. Ça ira ? »

Liliane hocha la tête.

« T’es sûre ? »

Elle hocha encore la tête. Elle préférait rester seule.

Enfin, le berger partit, non sans se retourner quelques fois. Liliane s’était assise et semblait se calmer un peu. Il courut à grandes enjambées et arriva lui aussi au muret.

« Ohé ! cria-t-il.

– Ici ! appela Patrice.

– Qu’est-ce que tu fais là ? J’vous avais dit de vous méfier d’la rivière !

– Je suis tombé ! Je n’arrive pas à remonter !

– Allez, gamin, j’te lance une corde et tu grimpes ! »

Le berger déroula la corde qu’il avait prise avec lui. Patrice se hissa facilement. Le berger lui tendit la main pour l’aider à franchir le muret et avisa son t-shirt mouillé.

« Dis-donc ! s’exclama-t-il, t’as transpiré comme un bœuf !

– Non, expliqua Patrice. C’est de la sève.

– D’une plante immense ? le coupa le berger d’un ton sec.

– Oui, bredouilla Patrice.

– Tu t’planques à l’ombre et tu bouges pas d’là, pigé ? »

Impressionné par le ton autoritaire du berger, Patrice hocha la tête.

« T’as des mouchoirs ?

– Oui…

– Tu tamponnes toute la sève qui reste. Pis t’enlèves tes chaussettes et t’enfiles tes mains dedans.

– Mes chaussettes ?

– Et t’as eu d’la sève où d’autre?

– Je sais pas, j’ai pas fait attention… Un peu partout, je crois» avoua-t-il piteusement.

Le berger soupira bruyamment, puis partit en courant. Devenu docile, Patrice se mit à délacer ses chaussures. Quand Monsieur Georges revint, le garçon l’attendait sagement à l’ombre, les mains dans ses chaussettes.

« J’ai pris toutes vos vestes, expliqua le berger. Mets vite la tienne et ferme-la jusqu’en-haut. »

Patrice, conscient d’être en faute, obéit sans discuter et sans comprendre. Il enfila sa veste vert pomme malgré la chaleur. Ensuite Monsieur Georges emballa sa jambe droite dans la veste rouge de Salomé et sa jambe gauche dans la veste bleue d’Hugo. Enfin, il lui couvrit la tête avec celle de Liliane, d’un rose éclatant.

« Monsieur, demanda timidement Patrice, ce qui ne lui arrivait presque jamais, pourquoi vous m’emballez comme ça ?

– A cause d’la berce, répondit-il laconiquement. Avance, j’vais t’guider. »

Sur le pâturage, Liliane attendait Patrice. Il lui semblait qu’il faisait bien long. Depuis le départ du berger, Hugo et Salomé étaient revenus. Ils avaient trouvé la vache vagabonde et maintenant, tous attendaient. Soudain, un drôle de pantin multicolore se mit à gravir l’herbage. Hugo et Salomé piquèrent un fou-rire tandis que Liliane, incrédule, reconnaissait son frère.

« Patrice ! »

Elle se précipita vers lui.

« J’te l’laisse, lâcha le berger. J’dois rassembler l’troupeau. »

Liliane prit la main de son frère et le conduisit vers leurs cousins, lui indiquant les pas à faire. Malgré cela, il s’encoubla plus d’une fois.

« Patrice ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ? s’inquiéta-t-elle. Pourquoi tu es déguisé comme ça ?

– J’en sais rien, se plaignit-il. Le berger était si fâché que je n’ai pas osé le questionner. En plus, je crève de chaud et je n’y vois rien !

– Je parie que tu as joué avec la berce du Caucase, devina Hugo.

– Je ne sais même pas à quoi elle ressemble, ta berce du Caucase, s’irrita Patrice.

– C’est une immense ombellifère, lui rappela Hugo.

– Immense ? répéta Patrice troublé.

– Environ 4 mètres de haut. Avec une espèce d’ombrelle blanche » précisa-t-il.

Patrice se mordit les lèvres, mais personne ne put le voir. Sa voix sortait de derrière la veste rose :

« Et qu’est-ce que ça fait, quand on la touche ?

– La sève réagit au soleil et provoque des brûlures.

– Des brûlures ? s’écria Patrice, alarmé.

– C’est pour ça que Monsieur Georges t’a protégé du soleil. »

Patrice hocha douloureusement la tête. Il avait été tellement imprudent.

Quelques minutes plus tard, ils parvinrent tous au chalet du berger. C’était une ancienne construction avec un toit en ardoise, des murs de pierres et de bois. Un bouquet de sapins croissait tout près et sur le côté sud, une petite terrasse invitait à la détente. Le berger demanda à Hugo et Salomé d’amener le troupeau plus loin, jusqu’au pâturage du Gravô. Puis il conduisit Patrice à l’intérieur et ferma tous les volets. Pendant ce temps, le garçon se mit enfin à l’aise.

« La berce du Caucase, demanda Patrice, elle fait des brûlures quand on va au soleil ?

– Ouais, gamin. Mais avant, j’le savais pas non plus. J’ai eu des cloques grosses comme une patate.

– Vraiment ?

– J’t’assure ! dit gravement le berger. Regarde, on voit encore des taches brunes sur mon bras. »

Patrice le crut et dit doucement :

« Je vous remercie de m’avoir protégé du soleil. Mais il faut vraiment rester dans le noir ?

– Faut pas t’protéger seulement du soleil, mais aussi d’la lumière. J’vais t’allumer une bougie.

– Et je dois rester comme ça combien de temps ?

– Au moins deux jours entiers.

– Autant que ça ? se lamenta Patrice. Je voulais voir les feux d’artifice ce soir ! C’est le premier août !

– Tu les verras d’ici, t’en fais pas.

– D’ici ? Vous m’invitez à rester ?

– Ouais gamin. J’imagine qu’ t’as pas trop envie de r’descendre attifé comme ça, non ? »

Patrice hocha la tête.

« Merci, Monsieur, je me serais payé la honte !

– Ouais, j’ai bien compris qu’ t’as ta fierté à soigner.

– Et la course de samedi ? J’ai un premier prix à gagner !

– C’est dans trois jours. Tu mettras des habits longs et d’la crème solaire. »

Plus tard, le berger repartit. Hugo et Salomé revinrent de leur expédition et retrouvèrent Liliane assise au soleil. Patrice s’approcha d’une fenêtre et colla son œil contre la vitre, essayant de regarder par une fente du volet. Il les entendait rire et discuter. Et pour une fois, Liliane ne se tenait pas en retrait, mais paraissait aussi enjouée que les autres. Cela lui fit une drôle d’impression. Après quelques minutes, sa sœur ouvrit la porte et pénétra dans le chalet. Elle ne put retenir une exclamation :

« Comme il fait nuit là-dedans ! On n’y voit rien ! T’es où, Patrice ?

– J’suis là… Ferme la porte, s’il te plaît. »

Liliane obtempéra, puis vint le rejoindre. Elle était radieuse.

« Tu sais pas quoi, Patrice ? Le berger nous invite à rester tous ici jusqu’à ce que tu puisses ressortir ! Je suis trop contente !

– Ouais, c’est cool, dit-il sans conviction.

– Je suis vraiment désolée pour toi.

– T’as pas l’air malheureuse.

– Ben quoi, tu voudrais que je pleure ? »

Patrice sourit tristement.

« Liliane, je… je crois que j’ai besoin de réfléchir. Tu peux me laisser seul un moment ?

– Bien sûr, Patrice. Cette nuit, tu pourras sortir avec nous. Hugo descend au village, chercher tout ce dont nous avons besoin. A bientôt ! »

Patrice fit un geste de la main et s’assit lourdement sur une chaise. Il avait mal partout. Il s’était passablement éraflé dans sa chute et l’inactivité accentuait la douleur.

« Ô Seigneur, soupira-t-il après un long moment de silence, qu’est-ce que je dois faire, maintenant ? Je te demande pardon, je n’ai pas écouté les avertissements d’Hugo et du berger. J’en suis malheureux et la peau commence à me faire mal. »

Patrice se leva, fit le tour de la pièce et trouva un pot d’eau. Il se mouilla les mains, le visage, les bras et les jambes. Heureusement, la berge de la rivière avait été à l’ombre. Il n’avait pas été au soleil direct avant que le berger ne l’habille si bizarrement. De légères brûlures commençaient à se développer.

« J’espère qu’Hugo pensera à passer à la pharmacie, prendre une pommade pour moi… »

Il retourna à la fenêtre. Liliane était dehors avec Salomé. L’avait-il déjà vue de si bonne humeur ?

« Je ne comprends pas, murmura-t-il. Elle a fait une crise d’asthme pourtant. D’habitude elle est toute retournée pendant un bon moment. En plus, c’est à cause de moi, réalisa-t-il. Si je n’avais pas fait la roue sur le muret, je ne serais pas tombé. Elle n’aurait pas eu besoin de chercher de l’aide. J’ai été idiot et je l’ai mise en danger. Il faudra que je lui demande pardon… »

En début d’après-midi, Hugo revint avec les bagages. Sa maman l’accompagnait. Elle discuta un moment avec chacun, puis repartit. Elle avait apporté de la pommade et Patrice se dépêcha d’en étaler une couche généreuse. Liliane le rejoignit à ce moment-là.

« Patrice ? Tu veux que je t’aide à mettre la pommade ?

– Non, merci, je peux le faire tout seul. »

Il mit une nouvelle noix de pommade sur ses doigts et se créma le visage. Quand il eut fini, il appela sa sœur :

« Liliane !

– Oui ?

– Je… je te demande pardon. Tu as fait une crise d’asthme à cause de moi. Je suis désolé. »

Liliane le regarda droit dans les yeux, un étrange sourire aux lèvres.

« Tu sais quoi, Patrice ? J’en suis contente.

– Contente ? Il n’en revenait pas.

– Oui. Pour une fois, c’est toi qui as eu besoin de moi.

– Oh ! » Patrice commençait à comprendre. « Oui, j’ai eu besoin de toi, reconnut-il à voix basse. Mais c’était de ma faute, expliqua-t-il. J’ai fait le pitre sur le muret et je suis tombé. Et toi tu as eu une crise d’asthme à cause de moi.

– C’est pas grave, le rassura-t-elle.

– Pas grave ?

– J’avais mon médicament sur moi. C’est vrai que ça fait toujours un peu peur, mais ça finit par passer. Il ne faut pas te faire un tel souci pour moi, Patrice. Je sais bien que j’ai de l’asthme, mais je ne veux pas que ça m’empêche de vivre. »

Cette fois, Patrice comprit. A force de trop veiller sur sa sœur, il l’enfermait, l’empêchait de vivre, comme elle venait de le dire.

« Je suis désolé. Je ne voulais pas…

– Je sais, je ne t’en veux pas.

– Je n’aurais pas dû t’interdire de faire la course. Je ne te dirai plus rien : tu peux la faire. »

Liliane secoua la tête.

« Tu veux dire que tu m’en donnes la permission ? »

Patrice baissa la tête et passa la main dans ses cheveux. C’était vraiment difficile pour lui de ne pas vouloir prendre l’ascendant sur sa sœur. Il ne pouvait s’empêcher de la voir comme faible et fragile. Et de se voir, lui, comme fort.

La nuit venue, Patrice put enfin sortir à l’air libre. Ils étaient maintenant assis tous les cinq sur la petite terrasse du chalet, attendant les feux du premier août. Pour l’instant, seules la lune et les étoiles scintillaient dans l’obscurité et Hugo désignait du doigt la voie lactée et les constellations. Le village, en contre-bas, était caché par la forêt et l’on ne voyait ni ses lampadaires, ni ses fenêtres allumées. Ils se sentaient si petits sous le grand dôme du ciel… Ce ciel immense… Les milliards d’étoiles… Patrice se rappela alors combien Dieu est grand, lui qui tient dans sa main l’univers entier. Il se souvint aussi de son attitude. Patrice se mordit les lèvres. Il n’avait pas de quoi être fier ! Pourquoi avait-il eu besoin de se vanter ? Pourquoi avait-il voulu se montrer supérieur à sa sœur ? Il se racla la gorge. Ce n’était pas facile de prendre la parole au milieu de ce silence. Encore moins pour s’excuser… « M’excuser ? » réalisa soudain Patrice. « Je ne veux pas me chercher encore des excuses ! » Non, ce n’était pas facile, décidément, de prendre la parole pour s’accuser. Le garçon baissa la tête et joignit les mains : « Je te demande pardon, Seigneur, pria-t-il pour lui-même, parce que j’ai été très orgueilleux. Merci Jésus, parce que tu as été puni à ma place et que tu me pardonnes. Change mon cœur, je t’en prie. »

Patrice toussota.

« Je… heu… je vous demande pardon. »

Il avait parlé tout doucement, mais dans le silence les mots portaient loin. Quatre têtes se tournèrent vers lui.

« Je… j’ai été très orgueilleux, bafouilla-t-il. Je… je voulais être le meilleur… je voulais qu’on m’admire… j’ai été bête, je suis désolé. »

Hugo bondit sur ses pieds, se planta devant son cousin et lui tendit la main en signe d’amitié.

« Moi aussi, ça m’arrive de dire des stupidités…

– Ça me fait super plaisir que tu demandes pardon, lui expliqua Salomé. Tu grandis dans mon estime ! Et puis… je suis vraiment désolée d’avoir été si agressive envers toi, tout à l’heure.

– C’est toi qui avais raison, soupira son cousin. J’ai trop voulu protéger Liliane… 

– On te pardonne, frérot » lui assura sa sœur, une pointe de taquinerie dans la voix. Elle était heureuse. Pour la première fois, elle se sentait l’égale de son frère. Il lui semblait qu’une relation nouvelle et meilleure pouvait commencer entre eux. Sa prière avait été exaucée !

Soudain, une fusée explosa et il y eut un concert de cris d’admiration. Des étoiles jaunes, bleues ou rouges éclataient au-dessus des bois. A chaque feu d’artifice, ils apercevaient brièvement la silhouette des arbres, tandis que les montagnes renvoyaient l’écho des détonations. Quand la fête fut finie, les enfants plaisantèrent un moment entre eux. Monsieur Georges restait silencieux. Patrice se tourna alors vers leur hôte.

« Merci de m’avoir protégé de la lumière. Sans vous, j’aurais maintenant d’affreuses brûlures. »

Le berger hocha la tête.

« Et ça va ?

– J’ai quand même un peu mal, avoua-t-il, mais c’est supportable.

– Tu sais, gamin, soupira-t-il, tu m’rappelles le mien…

– Votre quoi ?

– Mon gamin à moi. L’est plus gamin au juste. Doit avoir vingt ans maintenant… Même plus. Mais tu lui ressembles… Lui aussi, l’avait joué avec la berce… J’ l’avais fagoté comme toi. »

Patrice sourit, mais avant qu’il ne puisse répondre, le berger poursuivit, mi-amer, mi-nostalgique :

« A t’voir… j’crois ben qu’il me manque un peu… 

– Vous n’en êtes pas sûr ? » s’étonna Salomé.

Cette fois, la rancœur perçait clairement dans sa voix :

« Si vous saviez ce qu’il m’a fait ! J’pourrai jamais lui pardonner ! »

Un frisson glacial parcourut le dos des quatre enfants.

« Qu’est-ce qu’il a fait ? » demanda prudemment Hugo.

Le berger se tut longtemps. Puis il se mit à raconter :

« Quand ma femme est morte, ça été très dur. J’étais malade de chagrin. En plus, mon fils, il est devenu à moitié fou. Il piquait des rages terribles. M’a dit des horreurs, m’a frappé. Pis il m’a dit qu’ c’était ma faute qu’elle était morte. Ma faute à moi ! Ça m’a presque tué. »

Le berger fit une pause, accablé. Puis il conclut tout doucement :

« J’lui ai dit de partir. Toujours. »

Liliane sentit des larmes couler sur ses joues, mais Salomé sauta en l’air. Elle criait presque.

« Vous voulez dire que vous l’avez chassé ? Il a perdu sa maman ! Et à cause de vous, il perd encore son papa ! C’est monstrueux ! »

Quatre paires d’yeux la dévisagèrent. Salomé se sentit en faute.

« Je… je vous demande pardon, bafouilla-t-elle. J’ai parlé trop vite… »

Personne ne lui répondit. Le berger avait pris son visage dans ses mains calleuses. Maintenant, c’était lui que tout le monde regardait. Enfin, il releva la tête vers la jeune fille.

« Alors tu penses qu’ j’ai été monstrueux ? »

Salomé rougit et baissa la tête.

« J’aurais pas dû vous dire ça…

– Mais tu l’pensais vraiment ? »

Elle hocha doucement la tête.

« Tu peux même pas imaginer tout l’mal qu’il m’a fait… »

Il se détourna de Salomé et son regard tomba sur Patrice.

« Mais quand j’te vois, gamin, j’sais plus quoi penser, marmonna-t-il. Quand j’te vois, reprit-t-il encore plus doucement, j’me dis que j’ai envie de l’revoir.

– Pourquoi pas ? murmura Liliane.

– M’a pas demandé pardon » se rebiffa le berger.

Salomé secoua la tête. Son cœur bouillonnait.

« Mais Monsieur Georges, je… je peux vous poser une question qu’il ne faut pas poser à un adulte ? »

La formulation maladroite fit sourire le berger.

« Vas-y, Salomé, qu’est-ce qu’tu veux me d’mander ?

– Et vous… vous avez été un père parfait ? 

– Non, répondit-il après un long moment. Non, j’ai pas été parfait…

– Et si vous faisiez le premier pas ? suggéra Hugo.

– Ce serait à votre honneur, s’empressa d’ajouter Liliane.

– Ça prouverait votre grandeur d’âme, assura Salomé.

– Je suis sûr que votre fils vous en serait reconnaissant, renchérit Patrice. Il n’a peut-être pas le courage de le faire, lui. »

Le berger ne put s’empêcher de sourire.

« Ah ! vous êtes une fameuse équipe de conseillers, vous ! Allez, j’m’y mets demain… enfin, on y est déjà, se souvint-il. J’m’y mets quand il fera jour. »

Hugo, Salomé, Liliane et Patrice lui adressèrent un sourire plein d’espoir.

Au matin, dès son réveil, le berger commença à fouiller le chalet. Soudain, une pile de casseroles s’écroula.

« Qu’est-ce que vous faites ? » demanda Hugo la voix encore ensommeillée. Il avait été réveillé en sursaut.

« Je cherche l’adresse de mon fils.

– Dans les casseroles ?

– Ben, j’sais plus où chercher !

– Vous avez fouillé partout ?

– Ouais, à peu près… Fait noir comme dans un four. C’est pas facile.

– Il faut ouvrir les volets et faire de la lumière, proposa Liliane.

– Et Patrice ? s’inquiéta Hugo.

– Ta maman m’a apporté des vêtements longs. Ne t’en fais pas pour moi. »

Bientôt la lumière inonda l’intérieur du chalet. Patrice achevait de s’habiller. Il avait mis des pantalons longs, une veste légère, des gants et des lunettes de soleil. Enfin, il prit un grand foulard et se cacha le visage à la manière des Touaregs.

« Ça te va mieux que l’accoutrement d’hier, sourit Liliane.

– Ouais, s’amusa Patrice. Je n’ai plus l’air d’un guignol ! 

– Et t’es déjà prêt pour les sports d’hiver ! gloussa Salomé. Bonnet, gants, écharpe, t’as presque toute la tenue !

– C’est vrai, j’ai une de ces chances. »

Liliane pouffa en entendant le ton faussement lugubre de son frère, puis reprit subitement son sérieux. Il s’agissait de retrouver le carnet d’adresses. Après vingt minutes de recherches, Hugo le dénicha enfin. Il était tombé derrière un buffet.

« J’ai pas mes lunettes, expliqua le berger. Tu veux bien trouver l’adresse, Hugo ?

– Attendez, je cherche. Euh… Comment s’appelle votre fils, Monsieur Georges ?

– Ben, comme moi, Georges. Georges Flavien.

– Oh ?! Je croyais que Georges était votre prénom ! Euh… Georges… Georges… Oui, c’est bon ! Il habite à Sierre. Il y a même la rue.

– J’espère qu’il a pas déménagé, grogna le berger.

– Et maintenant, demanda Patrice, on fait quoi ?

– Dites, les enfants, supplia Monsieur Georges, pourriez pas m’aider encore une fois ?

– Ça dépend ce que c’est… sourit Hugo.

– J’ai peur qu’mon fils soit très fâché et qu’il veuille pas m’voir…

– Ah ! vous voulez qu’on fasse des pourparlers de paix ? devina Salomé.

– Ouais, c’est un peu ça…

– On ira volontiers, le rassura Hugo. On prendra le bus cet après-midi. J’espère qu’il sera là. »

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