Inspiré librement du conte traditionnel d’Andersen
Il était une fois, il y a très longtemps en Chine, un empereur dans son château. C’était le château le plus beau du monde, fait de porcelaine la plus fine que l’on puisse trouver. Dans les jardins du château poussaient toutes sortes de fleurs qui étaient attachées à des sonnettes en véritable cristal, si bien que l’on entendait une musique cristalline au moindre souffle de vent… Des arbustes gracieux ornaient le jardin et apportaient une fraicheur bien agréable pendant la saison chaude. L’empereur savourait chaque jour la beauté et la quiétude des lieux. Le jardin était très vaste et même le jardinier de l’empereur n’en connaissait pas les limites. L’empereur ne quittait jamais son château et les allées adjacentes.
De toutes les contrées l’on venait admirer l’immense et remarquable château de l’empereur et le jardin superbe qui offrait une musique si pure et si délicate grâce au balancement des fleurs qui faisait tinter le cristal. Les voyageurs étaient éblouis par tant de beauté et tant de richesses…
Mais pour atteindre le domaine de l’empereur, et pour le quitter aussi, les voyageurs traversaient une superbe forêt composée de grands arbres qui élevaient leurs branches autour d’un vaste lac alimenté d’une eau pure venue des sommets. Et là, on ne pouvait manquer d’entendre un chant mélodieux, celui du rossignol… Le rossignol chantait. Et ce chant-là était encore plus beau que tout ce qu’ils avaient vu ou entendu, plus beau que tout ce qu’ils verraient ou entendraient… Le rossignol chantait si bien, son chant était si mélodieux, que le pêcheur qui sortait la nuit pour tendre ses filets, cessait son travail pour écouter ce chant nocturne tout en s’exclamant : « Voici ce qu’il y a de plus beau ». Mais il fallait bien se remettre au travail, s’occuper des filets pour nourrir sa famille. Alors le pêcheur retournait à sa pêche et finissait par oublier l’oiseau. Mais la nuit suivante, de nouveau il entendait l’oiseau et s’exclamait encore : « Comme cet oiseau chante bien ! Il n’y a rien de plus beau ! »
De retour dans leur maison, les voyageurs vantaient certes la beauté du jardin et du château, mais bien davantage le chant du rossignol dans la forêt. Et parmi ces voyageurs se trouvaient des poètes et des écrivains qui, inspirés par la beauté des lieux, écrivaient de jolies poésies sur le chant nocturne du rossignol dans la forêt au bord des lacs profonds.
Les livres aussi voyagent… et un jour l’on apporta à l’empereur confortablement installé sur son fauteuil doré, le livre d’un de ces poètes qui vantait son château et son jardin. L’empereur en fut fort réjoui ! Mais voilà que poursuivant sa lecture il lut : « Le rossignol est ce qu’il y a de plus beau ».
– Ça alors ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce donc qu’un rossignol ? Comment se fait-il que je ne connaisse point cet oiseau dont il est fait tant de louanges ?! Il appela son serviteur fidèle et demanda :
– Pourquoi ne m’a-t-on jamais parlé de cet oiseau appelé rossignol dont le chant est si mélodieux ?
Le chambellan était très embarrassé par la question de l’empereur ! Lui-même n’avait jamais entendu parler de ce rossignol ! Sur l’ordre de son maitre il se mit donc à la recherche de l’oiseau. Il interrogea l’un, il interrogea l’autre et finalement une petite servante de cuisine déclara :
– Moi je connais bien l’oiseau… Ma mère qui est malade habite non loin du lac, et chaque soir j’ai la permission de lui apporter les restes des repas. Et chaque soir les larmes me viennent aux yeux lorsque j’entends ce chant si beau »
La fillette conduisit le chambellan et les serviteurs vers le rossignol. Ils trouvèrent l’oiseau gris fort ordinaire. La petite fille demanda à l’oiseau :
– Petit Rossignol, notre gracieux empereur aimerait que tu chantes pour lui.
– Volontiers répondit l’oiseau !
Le rossignol chanta et son chant émut beaucoup le chambellan et les courtisans. Ils invitèrent alors le rossignol à les suivre jusqu’au château pour la grande fête de la cour. Celui–ci répliqua :
– Mon chant résonne mieux dans la nature mais j’accepte votre invitation !
On nettoya et on décora alors le palais pour cet évènement exceptionnel. La porcelaine brillait, les lampes d’or scintillaient, les fleurs et les clochettes tintaient et dans la grande salle où l’empereur était assis, on plaça un perchoir doré pour l’oiseau. Tous étaient habillés d’habits de fête et la petite fille eut l’autorisation de se tenir derrière la porte.
Le rossignol se mit à chanter… et son chant résonna comme du cristal… il chanta si bien que les larmes coulèrent sur les joues de l’empereur. Derrière la porte, sur les joues de la petite fille des larmes coulèrent aussi. Pourtant, elle connaissait bien le chant du rossignol… Pour elle, ce soir-là, ce n’était pas des larmes de joie, mais presque de chagrin : le chant du rossignol était tellement plus beau sur le bord du lac lorsqu’elle allait apporter de la nourriture à sa mère malade… Quant à l’oiseau, il fut très honoré de voir les larmes de l’empereur couler. Cela signifiait que son chant était si beau, qu’il pouvait émouvoir l’homme le plus puissant du royaume…
L’oiseau eut alors une cage, dorée, brillante, frottée et nettoyée chaque jour par des serviteurs zélés qui soignaient l’oiseau avec empressement. Ils avaient également pour mission de le sortir deux fois par jour avec un ruban de soie attaché autour de ses pattes pour qu’il ne puisse s’envoler. Posséder le plus beau rossignol… n’est-ce pas là un trésor à garder jalousement ?
Mais dans sa cage dorée le rossignol dépérit. Il ne chante plus lorsque l’empereur le lui demande. L’empereur parle d’une voix douce. Mais son cœur est égoïste. Et sa douceur, exigeante. L’empereur ne sait pas ouvrir son cœur dur. Et l’oiseau ne sait pas parler. Il ne chante que lorsqu’il est seul. Mais le plus souvent lorsqu’il est seul, il pleure. Il pleure du cœur dur de l’homme empereur. L’oiseau ne comprend pas. Il aspire à voler vers les arbres et les collines qu’il aperçoit au-delà des barreaux de sa cage dorée. Il souffre. Il ne sait pas le dire. Ne sait même plus chanter.
Alors bientôt un rossignol mécanique vient le remplacer et l’empereur quand il lui plait tourne la clé et chante avec lui, et ce chant est aussi beau que celui du rossignol qui lui ne veut plus chanter…
Un jour, l’oiseau demande à la petite fille :
– Laisse-moi m’envoler !
La petite fille ouvre la cage et la fenêtre, et le rossignol regagne la forêt, le lac, le ciel…
Nul au château ne s’aperçoit de l’absence du rossignol. Seule la petite servante de cuisine qui chaque soir visite sa mère non loin du lac, continue de parler avec l’oiseau.
Mais voilà qu’un jour au château, l’oiseau mécanique se détraque… Personne ne parvient à le réparer. L’empereur privé du chant du rossignol dépérit et se désintéresse de tout. Bientôt la mort frappe à sa porte. L’empereur, bien malade sur son lit, réclame de la musique, la musique du rossignol… Mais comment faire revenir l’oiseau alors qu’on l’a fait prisonnier, puis dédaigné ?
Un soir que l’empereur était au plus mal, un petit oiseau gris vint se poser sur la fenêtre ouverte. Il s’éleva alors un chant exquis ; celui du rossignol venu consoler le roi et lui rendre l’espoir. Des larmes coulèrent des yeux du roi qui remercia l’oiseau et lui demanda de rester toujours auprès de lui. L’oiseau refusa et déclara :
– Je suis fait pour vivre libre, voler dans le ciel, me poser sur les branches. Mais je viendrai chaque soir à ta fenêtre et je chanterai pour toi. Et toi tu te rappelleras que tu m’as pris ma liberté, que tu m’as ensuite oublié et que malgré cela je suis revenu pour te consoler…
Ce soir là, le roi s’endormit paisiblement. Le rossignol avait retrouvé sa liberté. Et le roi avait retrouvé la raison. Il avait compris que l’égoïsme et le bonheur ne peuvent vivre ensemble…