Enfants

LE VOL (1) : My – xo – my- cète ?

Un ciel bas couvrait les toits du village d’un manteau gris et la pluie noircissait les tuiles et la chaussée. Dans le salon du chalet de la famille Antille, Salomé et Liliane se penchaient sur un puzzle de 1000 pièces.

– Ah ! J’ai enfin trouvé la dernière pièce du bord ! s’exclama Salomé, une fillette de 10 ans aux cheveux roux et bouclés.

– Super ! se réjouit Liliane. Moi j’ai bientôt fini la maman tigre.

Elle avait attaché ses cheveux châtains, ce qui affinait encore son visage étroit. Même si elle avait 11 ans, elle était plus petite que sa cousine.

– Montre ? Ah ! Ouais ! Elle est belle ! Mais moi j’ai bientôt fini les bébés. On appelle comment les bébés tigres, en fait ? Des tigrons ?

– Des tigrous[1] ! fit Liliane avec un clin d’œil.

Salomé gloussa.

–  Celui-là s’appelle Winnie et celui-ci Bourricot !

Liliane rit et sa cousine fit chorus. Salomé essuya une larme et jeta un regard derrière elle.

–  Les garçons lisent, remarqua-t-elle.

Liliane se retourna aussi. Son frère, assis sur le tapis et adossé au canapé, lisait une revue de la « salamandre ». Patrice avait 12 ans, mais contrairement à elle, il était très grand pour son âge. Quant à Hugo, le frère jumeau de Salomé, il lisait une bande dessinée, couché à plat ventre sur le canapé.

–  Tu as déjà entendu parler de ces trucs, toi, Hugo ? demanda Patrice sans lever les yeux de son journal.

–  Quels trucs ?

Patrice lui montra la couverture de la revue. On y voyait des sphères bleues posées sur une espèce de tige noire.

–  Les myxomycètes, précisa-t-il.

–  Les myxo… quoi ? se mêla Liliane.

–  Les my-xo-my-cètes, répéta Salomé en découpant les syllabes.

–  Ah ! Oui ! Le visage d’Hugo s’épanouit. C’est à la mode en ce moment, mais on en parle plutôt sous le nom de « blob ».

–  Blob ? répéta son cousin.

–  Oui. Enfin, le blob est une variété de myxomycète. Parce qu’il en existe plus de mille espèces ! Il ressemble à une gelée jaune. T’imagines ? C’est une cellule géante, qui peut atteindre plusieurs mètres carrés ! Si tu le découpes en morceaux, tu as autant de blobs différents. Si tu les remets ensemble, ils reforment à nouveau un seul myxomycète. Les scientifiques font plein d’expériences avec. C’est presque immortel.

Patrice sourit.

–  Cool ! J’aimerais bien essayer. C’est difficile à trouver ?

–  Paraît que non… Moi aussi j’aurais bien aimé en avoir un, mais je n’ai pas encore été à la chasse.

Liliane s’approcha d’eux.

–  Et tu le nourris comment ton… machin ? s’enquit-elle.

–  Dans la nature, il mange des bactéries et des champignons. À la maison on le nourrit de flocons d’avoine. Quand il devient gros, il peut en manger un kilo par semaine !

–  Dingue !

–  Et ce qui est pratique, poursuivit Salomé, c’est que quand tu en as marre, tu le remets simplement au fond du jardin, ou tu le relâches en forêt. Moi aussi j’aimerais bien en trouver un.

–  On peut essayer. Ça vous dit d’y aller maintenant ? proposa Hugo.

Peu après, les quatre enfants sortaient de la maison, une veste sur les épaules et un capuchon sur la tête. Ils s’étaient munis de petites boîtes en plastique pour y mettre leurs découvertes. Un peu plus loin dans la rue ils aperçurent un garçon de leur âge qui marchait d’un bon pas.

–  C’est Xavier ! le reconnut Patrice. On pourrait l’inviter à venir avec nous. Ça fait plusieurs jours qu’on ne l’a plus vu.

–  Bonne idée, renchérit Salomé. Xavier ! l’appela-t-elle. Xavier !

Sa voix perçante portait loin. Xavier, le fils du boulanger, se retourna et vint à leur rencontre, un petit sourire triste sur les lèvres.

–  Bonjour.

–  Salut Xavier. On part à la chasse au blob. Tu veux venir avec nous ?

–  Je cherche mon vélo, soupira Xavier sans s’étonner de ce mot bizarre. On me l’a volé hier.

–  Non ! s’exclama Salomé. Le beau vélo que tu as reçu à Noël ?

Le garçon hocha tristement la tête.

–  Comment ça s’est passé ?

–  L’orage de lundi a inondé notre cave de boue et j’ai dû aider mes parents à tout sortir et à tout nettoyer. Hier, j’ai enfin eu le temps de m’occuper de mon vélo qui avait aussi été sali. J’avais fini de le nettoyer et je suis vite rentré chercher un lubrifiant. J’ai été loin à peine une minute, mais quand je suis ressorti il avait disparu.

–  Non ? ! s’étonna Hugo. D’habitude on peut laisser nos vélos dehors sans problème !

–  Ah oui ? s’étonna Liliane. Chez nous il vaut mieux les cadenasser.

–  C’est que vous habitez en ville. Ici c’est vraiment tranquille et les vols sont très rares.

–  Tu as un indice, un soupçon ? l’interrogea Patrice.

Xavier jeta un œil à son ami et vit les croûtes et les traces de brûlure qui entouraient ses poignets. Par sa faute. Xavier déglutit, la conscience accablée, puis répondit à la question.

–  Non, aucun. Depuis hier, je parcours le village en espérant voir quelqu’un l’employer.

–  On peut t’aider, proposa Salomé.

Le visage de Xavier s’éclaircit.

–  C’est sympa, merci beaucoup !

Ils parcoururent le village de long en large tout l’après-midi et tout le lendemain, furetant longtemps aux abords du funiculaire que des vététistes empruntaient malgré le temps couvert. Ils avaient bien aperçu quelques personnes utiliser un vélo similaire, mais ils n’avaient pas eu l’occasion de s’en approcher. Son voleur était-il parti avec son butin ou avait-il le culot de l’employer sur place ? Xavier était découragé.

–  Pourtant, leur confia-t-il tristement, je prie tous les jours pour le retrouver. Mais rien de rien…

Patrice lui posa une main réconfortante sur l’épaule.

–  Tu sais, Xavier, le Seigneur t’écoute. Tu lui appartiens maintenant, mais seulement depuis quelques jours et tu dois encore apprendre à mieux le connaître.

Xavier hocha doucement la tête.

–  Des fois le Seigneur répond rapidement par oui ou par non, mais souvent il nous demande d’attendre. La réponse que Dieu prévoit n’est pas forcément celle qu’on s’imagine, mais c’est celle qu’il sait être la meilleure pour nous.

Xavier vit un voile de tristesse ombrer les yeux de son ami. À quoi pouvait-il bien penser ? Patrice lui semblait être un garçon joyeux et sans soucis. Peut-être s’était-il trompé ? Patrice contempla un instant le sol et déglutit.

–  Les réponses sont parfois dures à accepter, dures à vivre… Il poussa un petit caillou de la pointe de sa chaussure et releva les yeux. Mais je veux m’accrocher à sa bonté. Il y a un passage de la Bible que j’aime bien à ce sujet…

–  Lequel ? J’ai commencé à la lire ces jours. J’ai déjà lu la moitié du Nouveau Testament.

–  Waouh ! s’exclama Hugo impressionné. T’es chrétien depuis quelques jours et t’as déjà lu plus que moi !

–  J’ai de loin pas tout compris, mais tu vois, c’est tout nouveau pour moi et tellement différent de tout ce que je connaissais. J’imaginais que Jésus était triste et mou, ou barbant et je découvre qu’il est tout le contraire. Il m’impressionne. Il est doux avec ceux qui viennent à lui, il est sévère avec les chefs orgueilleux, il ne se laisse intimider par personne… C’était quoi ton passage ?

–  C’est bête, j’ai pas ma Bible avec moi… C’est dans la première lettre de Pierre.

–  Quel passage ? intervint Liliane.

Patrice regarda sa sœur. Elle avait appris l’épître par cœur.

–  Au dernier chapitre. C’est écrit résistez au diable et il fuira loin de vous[2]. Ou quelque chose du même genre. Je me rappelle que c’était juste après…

–  Attends… Liliane réfléchit profondément. Euh… Il faut que je récite tout le passage, je n’arrive pas à commencer au milieu. Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. Soyez sobres. Veillez ! Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant cherchant qui dévorer ; résistez-lui, fermes en la foi, sachant que les mêmes souffrances sont imposées à vos frères dans le monde. Le Dieu de toute grâce, qui, en Christ, vous a appelés à sa gloire éternelle, après que vous aurez souffert un peu de temps, vous… euh… vous formera lui-même, vous… affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables…

–  Merci Liliane ! C’est exactement ça !

–  C’est vraiment beau, approuva Xavier en passant une main dans les cheveux. Je ne l’avais pas encore lu. Il faut que je me décharge sur lui de mes soucis en étant sûr qu’il prend soin de moi…

–  Oui, et il faut se rappeler que nous ne sommes pas seuls à souffrir. C’est le lot de tout le monde… Et ça console de ne pas être seul. Mais malgré toutes ces souffrances, Dieu est quand même Dieu de toute grâce, parce que ces souffrances seront suivies par une gloire éternelle. Il est souvent écrit quelque chose du genre, comme si la souffrance devait obligatoirement précéder la gloire. Je ne sais pas pourquoi, il y a un mystère qui m’échappe. Patrice enfonça ses mains dans ses poches. Mais je suis sûr que Dieu ne s’est pas trompé et que c’est vraiment mieux comme ça… même si j’aurais préféré ne pas devoir souffrir…

–  Ouais… Ben… J’espère malgré tout que je vais quand même retrouver mon vélo. Xavier soupira profondément. Mais sinon, je pense que je pourrai vivre sans…

–  On continue à prier pour ça, l’encouragea Salomé.

–  Tu viens avec nous à l’église, demain ? s’enquit Hugo.

–  Volontiers. Vous passez me prendre à quelle heure ?

Quand Xavier poussa la porte de la boulangerie paternelle, un peu plus tard, son regard tomba sur une forme brune, au pied du comptoir.


[1] Le mâle, c’est le tigre et la femelle la tigresse. Le petit est surnommé le tigreau mais ce n’est pas un nom officiel. Le tigron est le petit d’un tigre et d’une lionne et le ligre, le petit d’un lion et d’une tigresse. Ces derniers n’existent que dans des zoos, car dans la nature, les tigres et les lions ne vivent pas au même endroit.

[2] Ça c’est dans Jacques 4.7b

2 commentaires sur “LE VOL (1) : My – xo – my- cète ?

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