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Le cerisier

Ce texte est une réponse au défi d’écriture de ce mois, Fais parler la vie !

Je sens l’odeur alléchante venant de la maison d’à côté, que sera-ce cette fois-ci, un clafoutis ? Un mendiant ? Une tarte au cerises ? Je suis fier d’avoir participé à ces effluves dont l’ouvrage tout frais sorti du four régalera le palais des enfants rentrant de l’école. Tiens ! Les voilà, ils se précipitent vers moi et grapillent chaque baie qu’ils peuvent atteindre, les plus téméraires m’escaladent, mais le paysan les interpelle !

–  Hé ! Partez d’ici vous êtes sur mon terrain, bande de chenapans ! Allez-vous-en !

Il a beau les guetter chaque jour, il ne les attrape jamais et ils s’envolent tels une nuée de moineaux. D’ailleurs je dois vous dire à qu’à chaque printemps, dès que mes premiers fruits sont à peine mûrs, grives et étourneaux envahissent mon arbre, je ne suis plus un cerisier, mais un grivier !

Aïe ça pique, ils abiment mes jolis fruits tout neufs ! Quand ils sont repus et presqu’ivres, ils repartent ! Ouf ! D’autres oiseaux viennent bientôt nicher, mes préférés sont les loriots dont j’aime le chant en trémolo, je les camoufle bien avec mon feuillage touffu, il faut avoir l’œil pour capter leur vol furtif avec leur plumage jaune. Je nourris volontiers les petits dont les piaillements sont nettement moins mélodieux que le chant des parents.

Je suis évidemment le plus bel arbre du verger, mes fleurs blanches annoncent le printemps et la renaissance de la nature et j’aime arborer ma splendeur en cette saison. Chaque année, le paysan vient me tailler quelques branches pour me faire renaître plus beau encore, cela fera bientôt cinquante ans qu’il me soigne ainsi. Je prends de l’ampleur et mes branches vont chez le voisin, cela agace le paysan, car on se sert des cerises qui dépassent. Il aimerait bien les tailler. Moi ça ne me dérange pas de voir les enfants grapiller, la voisine remplir une corbeille de cerises pour faire de délicieux gâteaux.

Ce printemps est différent, il pleut en mars, il pleut en avril et mes fleurs tombent à peine elles sont écloses. Peu d’oiseaux pour déguster mes fruits qui doivent avoir un drôle de goût, mais d’autres visiteurs ! Des vers s’incrustent et rongent chacune de mes baies. Les enfants font la grimace et les recrachent.

–  Pouah, elles sont aigres !

–  Pouah, il y a des vers !

Je suis vexé, on me boude cette année, pas de cueillette et le paysan ne m’a pas taillé, je n’ai pas eu droit à mon coiffeur, d’ailleurs je ne le vois plus chasser les enfants !

L’année d’après, pareil, pas de taille, moins de cerises, mais ouf les enfants sont de retour et je hume l’odeur des tartes. Je dois vous confier un secret, chut personne ne le sait ! Un hôte particulier est venu me rendre visite, c’était assez spécial.

–  Bonjour beau cerisier, comme tes fleurs sont magnifiques !

–  Oui je sais ! Mon fruit est délicieux ! La voisine fait d’excellentes galettes !

–  Alors je vais te dire, moi je produis des fruits plus beaux encore ! Ils ne pourrissent pas et durent tout l’hiver !

–  Ah ? On pourra faire des tartes toute l’année ?

–  Peut-être ! Tu sais je suis pauvre et je n’ai pas d’endroit où loger, peux-tu me réserver une petite place ? Je viens de loin et je suis très fatigué je voudrais me reposer dans ton arbre.

–  Je ne sais pas trop…

–  Regarde, le paysan t’a abandonné tu n’es plus aussi beau qu’avant ! Moi je peux te décorer !

–  Comment ça ?

–  Laisse-moi venir juste cette fois-ci allez s’il te plait, je suis pauvre et je n’ai pas de logement

–  D’accord, mais juste pour cette année, je sais que mon paysan reviendra, il ne m’a jamais délaissé.

–  Merci tu es vraiment sympa, tu ne le regretteras pas

A partir de ce moment-là je sens quelque chose d’étrange qui pousse sur moi. Personne ne le remarque, jusqu’à cet automne…

–  Maman, maman, regarde, le cerisier a des cerises blanches maintenant !

–  Ouh lala non non c’est du gui, surtout n’en mangez pas, c’est du poison !

Hein ? Du poison ? Et c’est quoi ces boutons blancs et cette grosse touffe verte dans mes branches ? En effet les grives aiment cela aussi, elles s’en donnent à cœur joie. Mais personne ne vient faire de tarte. En décembre, à l’aide d’un sécateur le voisin vient me libérer de cette horreur. Ah, je suis soulagé !

–  Au revoir cerisier, merci pour ton hospitalité !

–  Bon débarras et que je ne te revoie plus ! Parasite !

Au printemps suivant, pas de problème, mes fleurs resplendissent et une belle portée de cerises s’annonce, pas de pluie excessive, mes fruits seront excellents, mais quelque chose d’indescriptible me gêne. Un couple circule dans le verger, ah revoilà mon paysan ! Super, il va s’occuper de moi. Non, il m’ignore et discute avec le couple et je ne comprends pas ce qu’ils se disent. En face je vois un gros camion, des cartons, des meubles qui circulent et des inconnus viennent cueillir les cerises qui dépassent. Quel culot ! Je ne les connais pas ! Je ne sens plus l’odeur de tartes, je me sens un peu triste.

L’automne arrive, mon feuillage prend des couleurs rouges et or et toujours une certaine gêne, je ne me sens pas très bien. Je revois le couple qui déambulait dans le verger. Les ronces ont envahi celui-ci, du lierre grimpe à mon tronc, évidemment sans entretien, bonjour les mauvaises herbes. L’homme travaille toute la journée et débroussaille le terrain avec l’aide d’autres personnes. Aaah ça fait du bien.

Les revoilà avec une tronçonneuse et ils s’attaquent au pommier ! J’ai la berlue, ils coupent le pommier ! Moi je me moquais toujours de ces petites pommes véreuses et pourries ! Pouf, disparu. Le lendemain, il ne reste plus que le mirabellier et moi ! J’ai tremblé toute la journée en voyant la valse de cette tronçonneuse qui abattait et débitait mes compagnons. Tout est désert le beau verger s’est transformé en pré clairsemé de quelques touffes d’herbe. Un vent glacial et la pluie ont fait tomber mes feuilles en une nuit mêlées aux larmes que je versais. Au petit matin je découvre avec horreur que deux nouveaux bouquets de gui m’étouffent.

–  Que faites-vous là !? Je ne vous ai plus invités

–  Ah mais tu sais, on a fait des petits, les oiseaux nous ont aidés.

Je suis dépité. L’hiver passe, la neige saupoudre mes branches et les oiseaux picorent les baies de gui. J’aime l’hiver où je peux me reposer, mais cette branche de gui me dérange.

Quelques mois plus tard, le verger se transforme en chantier, un immense trou fait place à la verdure avec de la boue. Cette année, j’ai du mal à produire des cerises et elles seront pour les étourneaux, même pas de quoi faire une tarte. L’année d’après pire encore pas une seule cerise, mais au moins 5 touffes de gui qui me prennent toutes mes forces, je suis épuisé. Cependant je vois quelques petites fleurs blanches qui émergent au pied de mon arbre, avec d’autres petites pousses, la vie continue, moi aussi je me suis reproduit. Une belle maison a fait place à l’immense trou. Un bébé court dans le jardin, prêt à ramasser une boule de gui. La maman se précipite…

–  Non, non, ne touche pas, pas bon, pas bon ! C’est du poison

–  Pason pas bon !

–  Voilà, poison, pas bon pas toucher.

La maman rentre avec bébé dans la maison. Quelques jours après je vois le papa qui sort avec…la tronçonneuse. Je finis sur le tas de bois au fond du jardin. Seuls restent la souche et mes petits rejetons qui doivent avoir l’âge du bébé. J’abrite les hérissons et les papillons cet hiver, mais je sais que très bientôt une légère fumée s’envolera vers le ciel tandis qu’un petit enfant ouvrira ses cadeaux de Noël au coin de la cheminée.

Les habitants de Gabaon, de leur côté, lorsqu’ils apprirent de quelle manière Josué avait traité Jéricho et Aï, eurent recours à la ruse, et se mirent en route avec des provisions de voyage. Ils prirent de vieux sacs pour leurs ânes, et de vieilles outres à vin déchirées et recousues, ils portaient à leurs pieds de vieux souliers raccommodés, et sur eux de vieux vêtements; et tout le pain qu’ils avaient pour nourriture était sec et en miettes.…
Josué 9 4-5

Ce passage me fait penser au pauvre gui venu de loin…on connait la suite de l’histoire.

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