Le soleil était ardent. Il semblait décidé à frapper de toutes ses forces sur les dunes de sable et sur les crânes des chameaux qui avançaient à pas languissant. Les routes dans les déserts, même les plus courtes semblent toujours interminables, surtout quand l’humain qu’on porte sur le dos vous frappe la bosse en criant, à chaque fois qu’il s’exprime…
– Fantaisies ! beugla Melchior en battant des bras. Pire : élucubrations dangereuses !
– Pfff… « élucubrations dangereuses »… répéta Gaspard en haussant les épaules. Non mais écoutez-le !
– Melchior, continua Balthazar d’un ton respectueux pour tenter de cacher sa vexation. Tu me demandes de t’en parler, je t’en parle, après ce sont des écrits sacrés judaïques, ça vaut ce que ça vaut.
– Exactement ! agréa Gaspard en essuyant la sueur de son front brûlant, en plus tu le laisses même pas finir. Allez continue Balthazar, moi ça m’intéresse.
– Le Messie, donc, est supposé venir délivrer les juifs de l’oppression de l’ennemi et établir son règne pour toujours.
– Il va les délivrer de César alors ? synthétisa Gaspard.
– A priori oui. Mais, il y a aussi de nombreux écrits qui confirment le fait qu’il doit mourir comme victime expiatoire, et qui semblent étrangement contredire ce règne éternel.
– Victime expiatoire ? Pour expier quoi ?
– Tout le mal. Toutes les fautes de l’homme dans son entièreté, corps, âme et esprit.
– Ah bon ? Et l’homme deviendrait quoi après ? Un être sans défaut ? Comme un dieu ?
– Aucune idée. C’est la raison pour laquelle j’ai hâte de rencontrer cet enfant.
– Mais… intervint Melchior. Pourquoi la mort de ce Messie serait la purification de tous les hommes au juste ? Quel rapport y-a-t-il entre lui et le monde entier ? Je veux dire, une vie pour une vie, je comprendrais, mais une vie pour toutes les vies humaines, la balance penche sérieusement d’un côté, non ?
– Et bien… hésita Balthazar sachant ce que son collègue allait en penser. Il est écrit que l’enfant naitra d’une vierge, c’est-à-dire sans l’intervention d’un homme. Il naitra directement de Dieu par une femme, et aura la nature divine en lui, ainsi lorsqu’il mourra, il purifiera le monde à la hauteur de cette nature divine sacrifiée.
À ces mots tout le cortège s’arrêta et les deux amis toisèrent Balthazar d’un regard tenace et sceptique.
– Dis-moi… reprit Melchior d’un ton acide, t’inventes au fur et à mesure du voyage là, non ?
– Pas du tout !
– Non mais si, dis-nous la vérité on t’en voudra pas, on ira quand même !
– Mais je vous dis la vérité ! Enfin, la vérité telle qu’elle est écrite dans le Tanakh du moins…
– Ce serait quand même incroyable… lança Gaspard d’un air rêveur.
– Parce que t’y crois toi !? brailla Melchior en tirant d’un coup sec sur les rennes de son chameau qui vacilla pendant une fraction de seconde.
– Peut-être ! Je sais pas !… disons que pour l’instant j’écoute… je… j’examine !
– T’examines ? Ah beh si c’est toi qui examines on n’est pas rendu ! T’y vois aussi bien que ton chameau, t’as déjà du mal à trouver la lune, la nuit, en plein désert.
– Je préfère partager la vue de mon chameau, pultôt que son haleine, si tu vois ce que je veux dire !
– De… !? N’importe quoi ! Je mâche de la sauge tous les matins moi, monsieur !
– Oui beh mâche plus fort si tu veux mon avis, ou ajoute un peu de menthe fraiche parce que visiblement la sauge à elle seule ne fait pas le poids… Balthazar pense pareil, pas vrai Balthazar ?
– Je… hum… pour en revenir au Messie donc, son nom : Emmanuel, signifie justement : Dieu parmi nous, comme présage de cette nature divine qui doit paraitre au milieu des hommes.
– Oui, bon ça, objecta Gaspard, ça veut rien dire, parce que moi je connaissais quelqu’un dont le nom signifiait « Joyeux », et, crois-moi c’était l’homme le plus déprimé et le plus déprimant que j’ai jamais rencontré.
– Et cet homme était né de Dieu directement ?
– Ah non… et, ayant eu la malchance de rencontrer son père, je pense qu’il aurait largement préféré.
– Oui, donc, du coup, tu avoueras qu’on est pas vraiment dans la même configuration ici, hein ?
– Oui, je suppose…
– Mais ! reprit Melchior, quel intérêt pour Dieu de s’incarner comme ça !?
– Pour purifier l’homme ! grogna Gaspard, t’as rien écouté ou quoi !?
– Si, j’ai écouté, Mulet ! Ça change rien, la question demeure la même. Dieu peut très bien attendre notre mort afin de nous retrouver sous une forme astrale pure et parfaite, pourquoi vouloir nous purifier sur la terre ?
– À cause de l’impatience de son amour, expliqua Balthazar, et cette phrase sembla claquer dans l’air, faisant tourner toutes les têtes dans sa direction. Le judaïsme est une croyance basée sur l’amour infini d’un Dieu unique envers son peuple, continua le jeune philosophe. Leur Dieu est visiblement hors du temps, car il est écrit que mille ans sont comme un jour à ses yeux, pour autant, il semble que même un jour soit trop long séparé de ceux qu’il aime. De fait, il aurait choisi de descendre avant même que tout son peuple ait fini de monter, et de les rendre purs, avant même la mort.
– Quelle croyance magnifique ! s’extasia Gaspard.
– Oui, bon, ça semble un peu trop beau pour être vrai, quand même, grommela Melchior. Moi les histoires d’amour infini, je m’en méfie.
– Dit-il… Ça t’a pas empêché d’avoir 7 femmes !
– Justement, comment tu crois que j’ai appris à me méfier !
– Ah beh bravo ! J’aimerais qu’elles puissent t’entendre, tiens !… Dis-moi Balthazar, si je comprends bien, tu es en train de nous dire que le Dieu des juifs a tant aimé son peuple, qu’il est sur le point de s’incarner pour lui servir de sacrifice afin de le rendre aussi parfait que lui ?
– C’est ça, tu as bien compris, et très bien résumé.
– Et c’est que pour les juifs ? demanda Melchior qui semblait soudainement intéressé.
– Alors, en théorie oui, mais je m’étais imaginé quelque chose…
– Quoi ? firent les deux collègues en chœur.
– Je me disais que, si ce Dieu est capable d’aimer autant, je veux dire, au point de s’incarner et de se donner lui-même pour un peuple qui, je l’ai lu, l’a trahi maintes et maintes fois. Peut-être qu’il voudra bien se donner aussi pour purifier ceux qui seront venus l’adorer ?
A suivre…
Jake
bravo, excellent. je rigole, je réfléchis, je passe un bon moment en vous lisant
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Merci pour ce retour encourageant !
Rigoler, réfléchir et passer un bon moment c’est tout ce que je souhaitais aux lecteurs en écrivant cette histoire, j’en suis très heureux !
Soyez béni(e) et passez d’excellentes fêtes de fin d’année dans sa paix et sa joie.
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Merci Jake, excellentes fêtes à vous aussi. Soyez bénis également…
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