Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Naaman (4)

ACTE II

Damas, la maison de Naaman.

Scène première

LÉA

Hélas ! Mon pauvre corps ! Mes jambes et mon dos !
Pour te servir, Seigneur, quel terrible fardeau !
Pour ma fidélité indignement battue,
Et j’aurais moins souffert si ma voix s’était tue.
Tu permis donc, hélas ! ô Seigneur éternel
Que je souffre des hommes un gène si cruel,
Que du cuir je subisse la terrible morsure
Et que ma peau fragile en porte la blessure ?
Pourquoi Seigneur ? Pourquoi ? J’ai combattu pour toi.
Tu m’as laissée vaincue, Seigneur, dis-moi pourquoi ?
Devais-je, moi Léa, comme ce peuple impie
Craindre l’idole infâme et trembler pour ma vie ?
Ô mon Dieu ! J’ai trop mal ! Et ce dos enflammé…
Piètre remerciement pour t’avoir tant aimé !
Le couteau de ce prêtre eût été moins pénible.
Jamais je n’aurais dû braver ce dieu terrible…
Mais la douleur m’égare, pardonne-moi Seigneur,
Car la foi m’abandonne en ce jour de malheur.
Quel est donc cet air chaud qui traverse mon âme ?
Soulagement du cœur ! Rafraîchissante flamme !
Je sens comme une main sur mon dos crevassé,
Toucher qui me libère, et ma peine a cessé.
Les marques du fouet labourant ma peau frêle
S’effacent à mes yeux. Bonté surnaturelle !
Dieu du père Abraham ! Pardon d’avoir douté,
N’ayant fait aucun cas de ta fidélité.
Au sein de la détresse, dans la tourmente même,
Tu me montres, grand Dieu, jusqu’à quel point tu m’aimes.
Ainsi, par ton amour, enrichie par tes dons,
Moi, la petite esclave, j’ai terrassé Rimmon.
À l’odieux Nazar aussi je le proclame :
Je ne crains ni son fouet, ni je ne crains sa lame.
Les sentences du prêtre, les menaces du roi
Jamais plus ne pourront me détourner de toi.
Naaman que je sers avec force et courage
N’a craint de provoquer du pontife la rage.
Sa délicieuse épouse, la douce Farika
De même intercéda pour défendre mon cas.
Sois donc remercié pour des maîtres si tendres.
Ô puissent-ils tous deux ta douce voix entendre,
Car je les aime, ô Dieu, bien qu’ils soient ennemis
D’Israël et qu’ils soient aux idoles soumis,
Bien qu’ils aient assombri ma tendre adolescence,
Je te prie de verser sur eux ta bienveillance.
Mon cœur s’ennuie souvent, Seigneur, tu le sais bien,
Des rues de Samarie. Je me languis des miens.
Permettras-tu qu’un jour je retrouve ma ville ?
Me libéreras-tu de cette vie servile,
Que je retrouve enfin le pays d’Israël ?
J’ai soif de ma patrie, je t’implore, Éternel.
Reconduis-moi chez moi, vers la terre promise,
Mène vers Canaan ta servante soumise.
Mais, dissimulons-nous, j’aperçois Salia
Flanquée de son amie la sotte Malia,
Filles écervelées, courtisanes frivoles,
Elles vont à nouveau m’humilier.

Scène II

LÉA – SALIA – MALIA

SALIA

                                               Je vole,
Et de mes longues ailes je m’élance des cieux
Pour me précipiter à cette heure en ce lieu.
Ici, chez Naaman, démarche audacieuse,
Nous courons toutes deux, fidèles, envieuses.
D’approcher notre amour nous avons le devoir
Et dans son salon même, nous pourrons tout savoir.

LÉA

Que font-elles ici ? Quelle est donc cette ruse ?
Que dira Farika découvrant ces intruses ?

SALIA

En observant ici nous aurons la faveur
D’entendre ou d’infirmer la rampante rumeur.

MALIA

Oh ! Partons, Salia, je crois qu’on nous épie ;
Je sens sur moi les yeux de l’intime ennemie

Farika.

SALIA

            De la place elle nous chassera.

MALIA

Sachons nous esquiver quand elle passera.

SALIA

Ce n’est pas Farika qui met mon cœur en peine,
Que m’importe après tout sa tendresse ou sa haine ?
On dit de Naaman qu’il est déjà perdu :
L’épreuve qui s’abat sur cet homme éperdu
Le jette dans la honte et son mal est terrible,
La lèpre, ce fléau, l’a désigné pour cible.
Non, bientôt de sa gloire il ne restera rien.
Comme l’a dit Nazar, il fuira loin des siens.
La haine de Rimmon n’accorde aucune trêve.

MALIA

Hélas ! que son déclin ne soit qu’un mauvais rêve !
Je l’aime, Salia, lépreux, même banni,
Je resterai fidèle à ce héros terni.

SALIA

Malia, ton héros bientôt va disparaître
Et nous devrons demain choisir un nouveau maître.
Oublie-le maintenant et prépare ton cœur
À l’amour du suivant avec la même ardeur.

MALIA

Je l’aimerai toujours.

SALIA

                                Partage alors sa honte.
Déjà je suis acquise à l’étoile qui monte.

MALIA

Laissons là ce discours. Vraiment, tu me déçois.

SALIA

Sais-tu ce qu’on raconte à la table du roi ?

MALIA

Dis-moi !

SALIA

               Au temple, hier, par une main profane,
De farine de blé la poudre diaphane
Fut répandue tout près de l’autel.

MALIA

                                               Et alors ?

SALIA

Nazar serait venu reprendre le trésor,
Laissant de ses souliers les marques peu discrètes.
D’autres les ayant vues, sa disgrâce était faite.
On parle de mensonge, voire de trahison,
Et déjà la rumeur s’étend dans la maison.
On dit qu’embarrassé, pour étouffer l’affaire
Le grand-prêtre lui-même passa la serpillière.

MALIA

Quelle incroyable histoire ! Qui aurait fait cela ?

SALIA

Qui donc aurait osé ? Ne le demande pas !
On soupçonne la Juive, oui, Léa, cette peste
Qui pour narguer Rimmon, d’ailleurs, n’est pas en reste.
Elle gît à présent sur un lit de douleur,
Le fouet l’a châtiée, ce fut pour son malheur,
De nombreux jours encore durera sa souffrance,
Tout son corps est en feu. Pour son outrecuidance,
Elle endure un supplice, elle l’a mérité,
Et ce fut un plaisir de l’entendre crier.

LÉA

Merci, ma chère amie !

MALIA

                                   J’entends parler.

SALIA

                                                             La Juive !

MALIA

Quoi ? Déjà rétablie ? Comme elle est forte et vive !

SALIA

Esclave, tu épies ! Apparais ! Montre-toi !
Les coups de ce matin n’ont pas suffi, ma foi !
Toi, la juive effrontée, méchante comme teigne.
Veux-tu que de ma main à mon tour je t’enseigne ?

LÉA

Je n’en ai pas besoin.

MALIA

                                 Elle a tout entendu ;
De nos discussions elle n’a rien perdu.

SALIA

Réponds-nous ! Que sais-tu sur le mal de ton maître ?

LÉA

S’il en est accablé, il ne fait rien paraître.

SALIA

Je crois ce qu’on me dit : c’est un homme achevé.
On en parle à la cour : son malheur est prouvé.

LÉA

Il paraît qu’on m’a dit ! Je me suis laissé dire !
Avec des « on m’a dit » je dois craindre le pire.
Puisque vous aimez tant les rumeurs de la cour,
Je pourrais vous donner un conseil en ce jour :
Vérités et mensonges tombant dans vos oreilles,
Sur un frais papyrus écrivez ces merveilles.
Tous les ragots de cour sur la reine et le roi,
Sordides racontars auxquels vous prêtez foi,
Écrivez tout cela en lettres majuscules,

Et revendez vos œuvres à la foule crédule,
Vous verrez que sous peu, pour vos dignes talents,
On vous rétribuera d’un ou deux bons talents.

MALIA

Mais c’est intolérable !

SALIA

                                   Cette esclave persifle.
Nous sommes deux princesses. Écoute, tête à gifles :
Vois ton état servile, considère nos rangs,
Tu devrais te traîner à nos pieds maintenant.

LÉA

Certes, je suis esclave et n’ai qu’une maîtresse ;
De servir Farika le devoir seul me presse.
Je ne suis pas à vous et ne veux recevoir
De vous nulle leçon, faites-le bien savoir.

SALIA

Toujours à nous moquer, vraiment elle m’agace,
Maudit échantillon de sa maudite race.

LÉA

Reste calme, Léa !

MALIA

                             Réponds juste une fois :
Le gros sac de farine, c’était toi ?

LÉA

                                                  C’était moi.

SALIA

Toi seule, pauvre esclave, mets le trouble en la ville !
Ne veux-tu pas causer une guerre civile ?
Naaman, par ta faute, est certain de mourir.

LÉA

Par ma faute !

SALIA

                        Oui, la tienne ! « Je ne saurais servir
Une idole de pierre. » Par ta sotte conduite,
Détournant sa fureur de ta tête maudite,
Tu la laisses tomber sur l’homme tant aimé.

LÉA

En aucune manière…

SALIA

                                  Quel mal as-tu semé !
Tremble, et de Salia redoute la colère,
Subis notre vengeance, esclave, et considère
Que ton rang te limite à encaisser les coups.
Dans notre lieu secret descends donc avec nous ;
Nos façons de penser nous te feront connaître.

LÉA

Je ne crains pas vos dieux, je ne crains pas vos maîtres,
De vous aurais-je peur ?

MALIA

                                     Viendras-tu ?

LÉA

                                                           Je vous suis.

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