Nouvelles/contes·Prose

Deux Comtesses pour une place (conte)

Prologue

En des temps éloignés, existait un royaume situé au milieu des mers tempérées et baptisé Ocanom. Indépendante du reste du monde, plus petite que les autres pays et régie par ses propres lois, cette monarchie de 9 502 habitants était gouvernée par le Roi Émérite II.

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Chapitre 1 – Dissemblables sœurs

À Ocanom, vivaient deux sœurs de noble naissance. Comtesses de titre, la plus âgée se prénommait Hugonnette de Besson-Blois et la plus jeune s’appelait Guillemette de Besson-Blois. Nées à quatorze mois d’écart, Hugonnette venait d’avoir dix-sept ans et sa sœur en aurait bientôt seize. Leurs parents, le Comte et la Comtesse de Besson-Blois, n’avaient jamais fait de différence avec l’une ou l’autre et les avaient choyées d’égale manière. Toutes deux avaient reçu la même éducation et avaient eu la même gouvernante. Toutefois, malgré ce traitement et cette éducation identiques, les sœurs avaient un caractère très différent.

Beauté classique, jolie brune aux yeux verts, Hugonnette était une demoiselle dont on vantait la grâce, l’humilité et la bonté. Appréciée de tout son entourage et fidèle en amitié, Hugonnette avait toujours été très entourée. Guillemette, quant à elle, était une blonde ravissante aux yeux bleus, qui à l’opposé de sa sœur, physiquement, l’était aussi dans sa personnalité, puisqu’elle était connue pour son excentricité, son impulsivité et son fort tempérament. À cause de ça, Guillemette n’avait jamais pu garder de longues relations amicales, même si à dix ans, elle avait réussi à entraîner Marinette de Bourg-Massepain, Vicomtesse de son état, dans ses coups tordus et ses nombreuses intrigues. Sous influence, la pauvresse s’était laissé manipuler trois années de suite, avant de prendre en maturité et s’affirmer, finir par ouvrir les yeux, et se lasser de son autoritarisme et de sa perfidie. Elle l’avait donc lâchée et avait raconté à qui voulait l’entendre que Guillemette de Besson-Blois était une personne très méchante dont il fallait se méfier et à qui il était préférable de ne rien confier.

Depuis lors, Guillemette n’avait jamais pu nouer d’amitiés véritables, bien qu’il y ait eu des tentatives de rapprochement avec une paire de jeunes Baronnes et une petite Marquise, qui avaient passé outre sa mauvaise réputation et lui avaient accordé leur confiance. Par malheur pour elles, forcées de se soumettre aux exigences de Guillemette et d’obéir à ses ordres, toutes s’étaient finalement vite rebellées avant de se détourner d’elle, puis jurer par leur grand dieu qu’on ne les y reprendrait plus.

Qu’importe ! Après cette désertion, Guillemette avait choisi de ne plus s’encombrer de nymphettes à la perruque frisée et au nez poudré, qu’elle trouvait inconsistantes, superficielles et susceptibles de lui faire de l’ombre. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, elle avait estimé plus judicieux de continuer à mener sa barque toute seule et à faire ses coups bas en solitaire.

Chapitre 2 – Deux comtesses pour une place

Ce jour de grand soleil, suite aux deux places à pourvoir au château, en tant que Dame d’atours et Dame de compagnie de la Princesse Émérienne II, dite La Sublime, Hugonnette et Guillemette de Besson-Blois s’étaient aussitôt mises sur les rangs et avaient postulé. Les deux sœurs, qui pour des raisons différentes ambitionnaient la fonction suprême de Surintendante de la maison de la Reine Prééminente IV, voyaient ces postes comme une première étape à l’accession de leur rêve. 

Il faut dire que sous le règne du Roi Émérite II et de la Reine Prééminente IV, existait un ordre d’importance et des grades entre les Dames acquises au service royal. Issues de la noblesse et choisies pour leurs bonnes mœurs, leur instruction et leur excellente éducation, beaucoup de prétendantes convoitaient ces places d’honneur qui leur garantissaient de très bons gages, des faveurs particulières, l’éventuelle promesse d’un beau mariage, une influence non-négligeable doublée d’une certaine autorité au sein de la Cour, ainsi qu’une pension coquette pour assurer leurs vieux jours.

Avant d’être Surintendante de la maison de la Reine Prééminente IV, Guillemette, qui n’envisageait pas de deuxième position, briguait la place de Dame d’atour — hiérarchiquement plus élevée que celle de Dame de compagnie — de la Princesse Émérienne II. En effet, à l’époque, une Dame d’atours était l’employée avec le plus de responsabilités, puisque celle-ci était en charge de la garde-robe royale et devait administrer les femmes de chambre au service de la Dauphine d’Ocanom. Elle était en quelque sorte, une assistante personnelle, alors que la Dame de compagnie ne faisait que suivre la Princesse dans ses déplacements, lui lire quelques sonnets ou bien faire du canevas avec elle.

L‘offre d’emploi de la Princesse Émérienne II précisait qu’elle recherchait des jeunes filles de noble naissance, discrètes et loyales, qui seraient des confidentes et des amies dignes de confiance. La sélection était sévère, mais au contraire de sa sœur, inconstante, indocile et prétentieuse, Hugonnette correspondait aux exigences de la Princesse Émérienne II et avait de grandes chances d’être sélectionnée. Guillemette le savait bien, mais elle n’avait pas dit son dernier mot et comptait sur la ruse qu’elle maniait à la perfection pour évincer la trop parfaite Hugonnette et lui ravir la place de Dame d’atours.

D’évidence, un grand nombre de candidates avait aussi répondu à l’annonce. Toutes étaient de bonnes familles et répondaient en partie aux critères demandés. Mais, de l’avis de Guillemette de Besson-Blois, aucune n’avait son charisme ni même l’Aura d’Hugonnette. Il faut dire que la Princesse Émérienne II était connue pour ne s’entourer que de demoiselles aux qualités exceptionnelles. Elle affirmait que cela la rendait encore plus attrayante et valorisait son illustre beauté. Pour Guillemette, sa sœur était donc la seule candidate sérieuse à considérer, les autres n’étant à ses yeux que d’insipides bécasses, des prétentieuses frivoles, d’ennuyeuses pintades sans attraits, ni talents particuliers.

Dans l’esprit de l’ambitieuse et orgueilleuse Guillemette de Besson-Blois, c’était donc contre sa sœur qu’elle allait devoir se battre, et sans pitié, elle s’était dit que tous les coups seraient permis et qu’elle utiliserait l’artillerie lourde pour éliminer Hugonnette de la course à la place ! 

Chapitre 3 – Ruses et habileté

Ce fut par missive que Guillemette de Besson-Blois avait appris sa sélection. Heureuse, mais prudente, elle savait qu’il lui fallait passer devant le Conseiller du Palais chargé d’évaluer de son sérieux, de sa motivation et de ses réelles compétences, et savait aussi que chacune des prétendantes sélectionnées ferait l’objet d’une enquête approfondie auprès des nobles de la cour. De fait, elle s’était donc organisée pour changer sa renommée de peste notoire en celle d’une jeune fille respectable.

Les semaines précédant l’entretien, elle s’était soigneusement préparée à cette prochaine et décisive étape, et s’était alors efforcée d’être courtoise et aimable avec tous ceux qu’elle croisait dans le Palais. Au passage, elle avait pris soin d’égratigner l’excellente réputation de sa bien trop vertueuse sœur, racontant aux oreilles qui traînaient qu’Hugonnette de Besson-Blois n’était pas aussi parfaite qu’elle en avait l’air. Et ce fut à demi-mot et la mine éplorée, que Guillemette avait réussi à semer le trouble dans les esprits, sous-entendant de-ci de-là que sa sœur était en réalité quelqu’un de cupide et de pas aussi chaste qu’elle pouvait le faire croire. Affichant un air navré, elle avait ajouté que seul l’entourage proche savait qui était réellement la soi-disant prude et si complaisante Hugonnette de Besson-Blois.

Au Palais, le bouche à oreille avait fort bien fonctionné. Ainsi, au coin des rideaux de velours et en arrière des portes doubles, il se disait qu’Hugonnette de Besson-Blois avait en réalité, deux visages et une double personnalité.

À l’heure de l’entretien avec le Conseiller du Palais, Guillemette de Besson-Blois, qui des jours durant, avait battu des paupières devant les hommes de la Cour, avait complimenté nombre de grandes Dames et de gens de haut-rang, puis avait offert de somptueux cadeaux à ses anciennes camarades qui s’étaient réjouies de son changement de caractère, réussissait son examen de passage. De la bouche même du Conseiller du Palais chargé de l’évaluer, elle avait eu la joie d’apprendre que les résultats de l’enquête la concernant, avaient été plutôt satisfaisants. Quelle jubilation pour Guillemette ! Quelle fierté pour celle qui au vu du peu de temps dévolu pour élaborer son plan machiavélique et parvenir à mettre le plus de monde dans sa poche, avait déjà un résultat au-dessus de la moyenne et allait faire son maximum pour l’augmenter.

Motivée pour décrocher le poste. Guillemette avait tout donné pour convaincre le Conseiller du Palais, qui au bout d’une heure d’interrogations et de tests, après avoir évalué ses talents et ses autres facultés, l’avait assuré d’une candidature tout-à-fait recevable avant de l’informer d’une note de dix-huit points ! Heureuse, Guillemette l’avait regardé inscrire de sa plus belle plume et au bas de la feuille « Avis favorable« , puis l’avait écouté lui expliquer les convenances à tenir lors de sa prochaine entrevue avec la Princesse Émérienne II, sans toutefois lui donner de date précise. 

La victoire sentait bon ! Guillemette avait toutes les chances de remporter le Graal, et souriant en elle-même, elle s’était félicitée d’être aussi fine stratège et si adroite séductrice. De son côté, Hugonnette qui s’était réjouie de l’excellent résultat de sa sœur, avait elle aussi réussi son examen de passage. Cela ne manqua pas de faire enrager Guillemette qui s’était empressée de l’interroger sur sa note et sur ce que lui avait dit le Conseiller du Palais. Seulement, comme à son habitude, la discrète Hugonnette ne lui avait concédé aucun détail. Elle l’avait juste assuré être sereine quant à son futur rendez-vous avec la Princesse Émérienne II, lui avait adressé un sourire tendre, puis s’était éloignée d’un pas tranquille.

Furieuse de ne rien savoir, Guillemette de Besson-Blois qui avait cru discerner une lueur plus terne qu’à l’ordinaire dans les yeux de sa sœur, avait songé :  » Il est sûr que le retour d’enquête auprès des nobles du Palais, a dû la surprendre et l’attrister… C’est une bonne chose… mais je n’en ai pas terminé avec elle. D’ici, à l’entretien avec la Princesse Émérienne II, je vais encore éroder la bonne renommée de ma bien trop parfaite et trop gentille sœurette… « 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Guillemette de Besson-Blois était repartie en guerre. Obsédée par son accession au poste suprême, elle s’était mis en tête de surjouer la comédie afin de se faire estimer de tous et devenir la plus appréciée des demoiselles du moment. Prête à tout pour parvenir à ses fins, elle s’était donc incrustée chez les nobles dames, à qui elle avait montré un visage fort agréable et à qui elle avait proposé une oreille compréhensive, ainsi qu’une écoute bienveillante. Ambitieuse, fine psychologue et habile calculatrice, la jeune Comtesse avait aussi été de toutes les réunions, et avait profité d’être dans les bonnes grâces des gens de la Cour pour leur glisser quelques faussetés sur sa rivale de sœur. Douce, gentille et serviable en face-à-face, mais aussi perfide et sournoise derrière les grandes tentures et dans chaque coin dérobé, Guillemette avait méthodiquement détricoté la bonne réputation d’Hugonnette de Besson-Blois. Ainsi, jour après jour, paroles après paroles, elle était parvenue à convaincre un grand nombre de personnes que son adorable sœur était une mythomane dépravée, une petite intrigante et une arriviste qu’il fallait dénoncer et vite écarter de la Cour.

Chapitre 4 – Laquelle des deux ?

Quatre semaines après l’entrevue avec le Conseiller du Palais, la Princesse Émérienne II avait enfin fait mander les deux jeunes filles, mais le même jour à la même heure. Hugonnette et Guillemette avaient été surprises de recevoir une convocation commune et avaient d’abord pensé à une erreur d’agenda ou d’organisation, avant de se dire que l’une resterait patiemment dans le salon d’attente, pendant que l’autre serait en entretien. Toutefois, à leur grand étonnement, les deux sœurs avaient été convié à pénétrer ensemble dans le Cabinet de la Dauphine d’ Ocanom.

Quelle beauté ! La Princesse Émérienne II était effectivement sublime. Dans sa robe de pourpre, parsemée de perles de nacres, assise derrière une table à thé, la Dauphine d’Ocanom rayonnait. La blancheur de sa peau de porcelaine rehaussait les pierreries cintrant sa gorge fine et son décolleté était magnifique, dévoilant avec justesse la naissance d’une somptueuse poitrine. Pour parfaire sa grande beauté, sa bouche était ourlée à la perfection et ses yeux étaient d’un bleu sans pareil. Les deux Comtesses étaient subjuguées par la Princesse Émérienne II qui aimait le faste et la magnificence, et aimait côtoyer les gens les plus beaux, les plus originaux, les plus intègres, les plus créatifs et les plus intelligents. De ce fait, son environnement et tous ceux qui gravitaient autour d’elle se devaient de correspondre à ses goûts et s’associer à ses passions.

D‘un signe de tête, la Princesse Émérienne II avait prié les deux sœurs de s’installer sur les sièges capitonnés placés côte à côte et face à elle. Hugonnette et Guillemette de Besson-Blois avaient donc pris place et avaient attendu en silence. Un léger sourire sur les lèvres, la Princesse Émérienne II avait longuement dévisagé les jeunes filles en sirotant sa tasse de thé. L’ambiance était lourde dans la pièce. Hugonnette avait gardé ses mains croisées sur son jupon de soie vert d’eau et les yeux baissés. Guillemette, de son côté, avait gratifié la magnifique Dauphine d’Ocanom d’un sourire obligé. Puis, d’angoissantes minutes avaient passé jusqu’au moment où, d’une voix douce et sur un ton aimable, la Princesse Émérienne II s’était adressée aux deux jeunes filles : 

— Me voilà fort aise de vous voir enfin, Chères Comtesses de Besson-Blois. Parmi la cinquantaine de candidatures reçues pour les places proposées, vous êtes les seules à avoir franchi l’étape ultime. Mon Conseiller m’a longuement parlé de vous et de son ressenti à votre égard. Il vous a décrite avec l’objectivité que je lui connais et il m’a fait un rapport clair et précis de vos entretiens respectifs. Selon vos qualités et vos défauts répertoriés, vous avez l’une et l’autre, obtenu un nombre de points presque identique…

Les deux sœurs s’étaient regardées. Hugonnette avait eu un sourire doux, alors que Guillemette avait froncé les sourcils.

— Il a dû vous paraître surprenant d’être convoquées en même temps, avait continué la Princesse, mais j’ai souhaité vous voir ensemble et l’une à côté de l’autre, afin de me faire une idée plus précise de vous deux et parvenir ainsi à vous départager.

La Princesse Émérienne II s’était tue, et de nouveau, elle avait observé les deux sœurs. Égale à elle-même, sereine comme à son habitude, Hugonnette avait légèrement relevé la tête et avait fait un sourire bouche fermée à l’interlocutrice Royale. Guillemette quant à elle, avait conservé un visage crispé et des sueurs froides avaient coulé dans son dos, car elle avait craint de devoir se justifier et se défendre si tout ce qu’elle avait raconté sur sa sœur, avait été révélé à la Princesse Émérienne II. Et tandis que le silence avait perduré et que la Dauphine d’Ocanom avait dégusté son thé en alternant de brefs et de longs coups d’œil en direction des deux sœurs, Hugonnette était restée calme et tranquille, alors que Guillemette qui avait trouvé l’attente interminable, avait croisé, puis décroisé ses jambes de nombreuses fois, et avait nerveusement chiffonné le satin de sa robe violine.

Avant de reprendre la parole, la Princesse Émérienne II avait soupiré : 

— Chères, Chères, Chères Demoiselles… Vous savez, l’une comme l’autre, que les deux places à prendre sont désirées par un grand nombre de jeunes filles du Palais ? 

À l’écoute, les deux sœurs avaient hoché de la tête.

— Vous devez savoir que je suis très exigeante concernant les demoiselles qui m’entourent. Surtout s’agissant de celles qui partagent mon intimité, et en qui je dois avoir toute confiance. Pour cette raison, je recherche essentiellement des jeunes filles loyales et discrètes.

À nouveau, les demoiselles avaient approuvé.

— Dès lors, je ne pouvais prendre ma décision à la légère. Je me suis donc longuement penchée sur vos deux dossiers, et j’avoue qu’à leur lecture, je n’ai guère su favoriser l’une ou l’autre, car en dépit du premier rapport plutôt moyen, rédigé par mon Conseiller, ce fut la douceur de la jeune fille, sa réserve et son humilité qui l’avait convaincu. Concernant la deuxième, il ne s’était pas fié aux apparences ni même à son impression mitigée, bien qu’il ait noté que la demoiselle s’était montré souriante et agréable, mais il s’était appuyé sur le rapport écrit et nettement meilleur que l’autre pour se prononcer favorablement. Ainsi, l’une lui avait plu de visu quand l’autre, lui avait plu selon les dires, et en finalité le nombre de points attribués à chacune avait été quasiment similaire. Estimant que le choix pourrait s’avérer compliqué, j’ai souhaité vous entretenir ensemble et vous comparer par moi-même, mais dans l’urgence d’avoir à mes côtés une Dame d’atours ainsi qu’une Dame de compagnie, j’ai procédé autrement et j’ai entre-temps préféré une demoiselle en tant que Dame d’atours, en vous laissant croire que les deux places restaient encore à pourvoir.  

Chapitre 5 – Quand l’étau se resserre

Les deux sœurs avaient écarquillé les yeux. Hugonnette avait encore adressé un sourire doux à sa sœur qui lui avait retourné une moue de dépit avant de se tourner vers la jeune Dauphine d’Ocanom, un sourire forcé sur le visage.

— Que pensez-vous du fait que la place de Dame d’atours ne vous soit plus accessible ? avait demandé la Princesse.

D‘une voix plaisante, Hugonnette lui avait répondu : 

— Si je puis me permettre, Chère Princesse Émérienne II, cela me convient tout-à-fait. Si vous choisissez de me faire confiance malgré le rapport désastreux qui a été fait sur moi et dont le Conseiller m’a donné connaissance, être acceptée en tant que Dame de compagnie serait pour moi, une immense joie et un très grand honneur. 

La jeune Dauphine d’Ocanom n’avait pas montré de réaction et avait questionner Guillemette :

— Et vous, Chère Comtesse, qu’en pensez-vous donc ? 

L‘interrogée était fort embarrassée. Elle, qui avait cru remporter haut la main, la place d’honneur, devait maintenant se prononcer sur la place de second ordre. Déçue, elle se disait que néanmoins, être Dame de compagnie n’était pas aussi négligeable, et qu’avec quelques ruses et beaucoup de subterfuges, elle détrônerait vite la Dame d’atours et lui ravirait la place.

— Heu…avait hésité Guillemette de Besson-Blois… Oui… être une Dame de compagnie à votre service…  est … heu… ce dont j’avais toujours rêvé… 

La Princesse Émérienne II avait eu un large sourire et d’une voix assurée, elle avait ajouté : 

— Bien ! Je sais laquelle de vous deux je vais prendre à mes côtés. Toutefois, avant de vous donner le nom de celle que j’ai choisi, j’aimerais vous présenter ma nouvelle Dame d’atours.

D’un poignet souple, la Dauphine d’Ocanom avait fait tinter sa clochette et la porte double s’était ouverte en arrière des deux sœurs qui, par politesse, ne s’étaient pas retournées. Au grincement des charnières, elles avaient compris que le battant s’était refermé. Puis, au craquement des lattes de bois vernis, elles avaient entendu la nouvelle Dame d’atours se rapprocher d’elles.

— Voici, avait dit la Princesse Émérienne II, avant même que les deux sœurs aient eu connaissance de l’identité de la jeune fille. Voici celle privilégiée entre toutes. Celle qui a non seulement obtenu le rapport le plus élogieux du Palais, mais de plus m’a été chaudement recommandée. Sa famille est connue de la nôtre depuis des générations, attendu que sa très chère mère, la Vicomtesse Henriette de Bourg-Massepain, fut autrefois la Dame d’atours de ma défunte grand-mère. Pour ces raisons, j’ai souhaité placer ma confiance en la personne de la Vicomtesse Marinette de Bourg-Massepain ! 

À l’annonce du nom de l’heureuse élue, Guillemette avait sursauté et son cœur s’était serré. Le pas léger, la Vicomtesse Marinette de Bourg-Massepain s’était avancée jusqu’aux deux sœurs, puis les avaient salués. Spontanément, Hugonnette de Besson-Blois s’était réjouie pour sa nomination et l’avait vivement félicité, tandis que Guillemette était restée bouche bée. Pour cause, Marinette de Bourg-Massepain était la seule de ses anciennes camarades à ne pas avoir accepté de cadeau de sa part, puisqu’après l’avoir côtoyé trois années de suite, celle-ci savait pertinemment que Guillemette de Besson-Blois ne faisait jamais rien de bon et de bien, sans une mauvaise intention derrière. En ce sens, elle ne s’était pas laissé prendre au piège de la sournoise Guillemette de Besson-Blois qui n’était pas à l’aise dans ses petits souliers vernis. 

— Sachez, mesdemoiselles, qu’il y a encore quelques heures, je n’avais pas encore pris de décision ferme et définitive quant à l’une ou l’autre, avait précisé la Princesse Émérienne II. J’hésitais, c’est pourquoi j’ai pris conseil auprès de la Vicomtesse Marinette de Bourg-Massepain qui m’a longuement et naturellement parlé de vous deux. Comme j’ai en horreur les critiques et les mensonges, et que je cherchais une Dame d’atours loyale, c’est donc sans rien rajouter et sans rien omettre que la Vicomtesse m’a parlé de faits avérés et établis vous concernant. Cela m’a permis d’en savoir davantage sur vous. Cependant, malgré ma confiance en elle, subsistait un doute quant à vos réputations respectives, c’est pourquoi, j’ai souhaité vous apprécier par moi-même. Et la preuve fut faite en ma présence ! Vos comportements et vos réponses m’ont conforté dans ma première impression et ont appuyé les dires de la Vicomtesse. Ainsi, vous Comtesse Hugonnette de Besson-Blois, êtes demeurée constante et détendue, alors que vous, Comtesse Guillemette de Besson-Blois, vous êtes montrée nerveuse. Et même si votre réponse à ma question pouvait sembler satisfaisante, j’ai surpris votre moue de dépit lorsque j’ai annoncé que la place de Dame d’atours était pourvue par une autre. Votre réaction vous a mis à jour et a révélé votre double jeu. C’est pourquoi jeune fille, apprenez que l’on ne me trompe pas et que celui ou celle qui s’y hasarde en subira les conséquences.

Le visage dur et frappant la paume de sa main sur sa table à thé, la Princesse Émérienne II, avait rajouté :

— Comtesse Guillemette de Besson-Blois, il est aussi venu à mes oreilles de bien vilains ragots. Il semblerait que pour obtenir mes faveurs, vous ayez honteusement abusé les gens de ma Cour. En faisant croire des choses sur la Comtesse Hugonnette de Besson-Blois, vous les avez trompés et vous avez bafoué leur honneur ! Cela est scandaleux et j’ose dire que vous êtes une mystificatrice et une fieffée menteuse qui a sali la réputation de sa sœur pour obtenir le poste ! Ce comportement est inadmissible dans ce Palais, en conséquence, je vous somme de quitter les lieux et de ne plus JAMAIS y revenir ! Sachez aussi que chaque personne en autorité d’un pays, d’une monarchie ou d’une contrée, recevra de ma part une lettre de non-recommandation, afin que partout où vous mettrez les pieds et chercherez refuge, vous serez déjà connue et surveillée de près. 

Sans un mot, sous les larmes de sa charitable sœur, attristée de son pauvre sort, Guillemette s’était levée de sa chaise. Elle avait défroissé sa robe d’une main leste. Puis, digne, le cou raide et le nez haut, elle avait rejoint la porte de sortie, croisant au passage, le regard mi- désolé et mi- amusé de Marinette de Bourg-Massepain qui n’avait pas ouvert la bouche.

— À l’avenir, jeune fille, avait rajouté la Princesse Émérienne II d’une voix forte avant qu’elle ne quitte la pièce, sachez que tout ce qui est dans les ténèbres n’est pas voué à y rester, mais à se dévoiler en pleine lumière ! Apprenez à vos dépens, qu’un jour ou l’autre, tout se découvre et que tout arrivera en jugement ! 

Chapitre  6 – Splendeur et décadence

Aucun territoire, aucun état, aucune monarchie, n’avaient été oubliés par la princesse Émérienne II, car sous la plume de son secrétaire personnel, elle avait averti chaque souverain en charge d’un royaume, chaque bourgmestre à la tête d’une cité et chaque chef de village, de faire preuve de prudence à l’égard de ladite Comtesse Guillemette de Besson-Blois. De plus, une fiche signalétique accompagnait la missive, de sorte que si la demoiselle fourbe et manipulatrice s’était présentée sous une fausse identité, elle aurait vite été découverte. De toute façon, peu de chances que la jeune intrigante passe inaperçue et ne se fonde dans la masse, elle était trop ambitieuse pour cela. Oui, peu de chances qu’elle ne cherche pas à intégrer le monde privilégié des grands nobles et des têtes couronnées, et d’essayer de s’y faire un nom…

Après avoir parcouru les territoires habités et après avoir tant et tant de fois demandé asile, sans obtenir de réponse favorable, Guillemette de Besson-Blois avait enfin pu trouver une terre d’accueil. Et ce fut dans un pays prospère, administré par la Roi Attelinien IV et la Reine Cantalienne III qu’elle avait pu mettre fin à son itinérance. Soulagée et heureuse, les premiers temps dans cette nouvelle Cour, la demoiselle s’était présentée sous un jour nouveau. Prétextant qu’elle déplorait son attitude passée, elle avait montré un visage d’humilité, mais chassez le naturel, il revient au galop, quelques mois plus tard, un plan derrière la tête et la punition de la Princesse Émérienne II, déjà aux oubliettes, la jeune Comtesse avait séduit le Roi Attelinien IV qui avait succombé à son charme et en avait fait sa jeune maîtresse, puis sa favorite.

La place était de choix, mais Guillemette en voulait davantage et s’était imaginé faire tomber la Reine Cantalienne III et la remplacer. Pour accéder au trône, elle avait entrepris de séduire le cuisinier du palais dans ses filets ensorceleurs, et malheureux homme, éblouit par sa beauté et fasciné par sa personnalité, s’était laissé corrompre. Complice de la belle dame et selon les instructions, il avait donc rajouté quelques pincées d’opium dans les plats destinés à la reine Cantalienne III, car par cet acte, Guillemette de Besson-Blois prévoyait que la souveraine s’accoutume au produit, et qu’au fil d’un temps qu’elle espérait rapide, elle en devienne dépendante et sombre dans la déchéance. Après cela, le Roi ne pouvait que la répudier.

Dans l’attente de son futur couronnement, Guillemette de Besson-Blois avait profité des largesses du Roi Attelinien IV, son amant, et s’était étourdie du luxe dont il la comblait et des bijoux somptueux qu’il lui offrait. Et cependant qu’elle partageait le lit adultère du monarque éperdu d’amour pour elle, celui-ci avait eu vent de ses desseins par la bouche même du cuisinier torturé dans son âme. Fou de rage, le Roi qui avait donné une chance et un rang d’honneur à Guillemette, qui lui avait ouvert sa couche s’était senti hautement trahi et avait admis qu’elle avait un cœur décidément perverti et foncièrement mauvais que ni le temps, ni les leçons du temps, ni aucune sanction ne parviendraient à faire changer. Pour la punir, il l’avait donc chassé et fait écrouer dans les sinistres geôles du château, et n’avait répondu à aucune de ses lettres de pardon journalières. Malgré ses cris et ses supplications, le Roi n’était pas revenu sur sa décision, et soumise à la condition la plus basse et la plus misérable dans l’échelle sociale, l’ambitieuse Comtesse, emprisonnée dans une tour sale et humide, n’avait eu d’autres choix que d’appeler sa sœur Guillemette à la rescousse. Et ce fut par le biais d’un gardien, ému par ses beaux yeux suppliants, qu’elle avait pu prévenir sa sœur de sa misérable et terrible détention.

Expéditeur : Guillemette de Besson-Blois

Destinataire : Hugonnette de Besson-Blois

Ma Chère Sœur

Si je fais appel à toi aujourd’hui, c’est que me voilà dans une bien triste condition, la plus vile en vérité. Voici déjà une année pleine que je croupis dans une affreuse prison au milieu des rats, de la puanteur et du froid. Ce grand malheur m’a fait comprendre la folie de mes désirs, mais le Roi Attelinien IV qui m’a fait enfermer n’en veut rien savoir et ne croit pas à mes regrets sincères. Oui, ma Chère sœur, ce temps d’isolement, m’a fait prendre conscience de l’horreur de mes actes et du chagrin que j’ai dû te causer. J’ai réalisé que je m’étais perdue dans ce besoin d’être admirée et de vouloir être la première. À cause de ma vanité, me voilà cruellement punie. Moi qui n’étais qu’une orgueilleuse, une conspiratrice qui avait soif de plaisirs et de pouvoirs, tout cela n’a plus d’attrait à mes yeux. Désormais, je vois tout cela comme boue et vanité. Voilà bien mon jugement. Ma sœur que j’ai tant offensée, à qui j’ai fait tant de mal… Oh combien, je le déplore… Dans mon malheur, je reconnais toutes mes fautes et chacun de mes torts, et souhaite réparer mes erreurs si l’opportunité m’en est donnée.

Chapitre 7 – Repentance

À la lecture de cette lettre, Hugonnette de Besson-Blois avait fondu en larmes. Elle, qui n’avait gardé aucune rancune envers sa sœur et priait couramment pour son âme, avait eu compassion et avait consenti à lui porter secours. C’est donc les yeux baignés de larmes qu’Hugonnette de Besson-Blois, Dame de Compagnie de la Princesse Émérienne II depuis plusieurs années, et qui par sa fidélité et sa conduite exemplaire, avait su se rendre aussi précieuse qu’une amie, avait demandé grâce et faveur à la Princesse pour sa pauvre sœur qui se mourait dans un cachot. Par affection pour Hugonnette et jugeant que Guillemette avait été sévèrement punie et avait, l’espérait-elle, repris raison, la Princesse Émérienne II avait accepté de faire un geste, mais sans répondre exactement à la requête. Magnanime, sans rompre la disgrâce et donc, sans retour possible au Palais, elle avait fait libérer Guillemette en dédommageant grassement le Roi Attelinien IV qui avait accepté l’échange. Puis, la Princesse s’était dit que, si tel que prétendu, la Comtesse de Besson-Blois était dans un véritable repentir, il lui serait profitable de continuer son chemin de contrition au couvent des Oiseaux qui avait la réputation d’abriter une communauté de nonnes aux grandes valeurs de cœur.

À sa libération, Hugonnette était présente et s’était attristée du délabrement physique de sa sœur. Ce long temps d’incarcération avait altéré sa beauté. Les nombreux sanglots sur la couche de sa prison avaient délavé ses jolis yeux bleus, fané son teint de porcelaine et creusé des sillons sur son front. Puis, le froid et la maladie avaient fragilisé ses os et abîmé sa peau de nacre, tandis que les carences et les mauvais traitements avaient déformé son corps, autrefois si harmonieux.

Émue de compassion, Hugonnette l’avait visité aussi souvent que possible au couvent des Oiseaux. Et même si la distance était longue, la route fort mauvaise et le voyage éreintant, les deux premières années, elle s’y était rendue chaque trimestre et s’était souciée de son confort. Invariablement, Guillemette lui avait assuré se sentir bien dans le lieu et ne manquer de rien. Et elle disait vrai ! Entourée de religieuses toutes bonnes et dévouées, la Comtesse de Besson-Blois avait peu à peu repris des forces, et sa sœur s’était réjouie de ce nouvel éclat dans ses yeux et de ce sourire doux et constant sur son visage apaisé. Heureuse et rassurée, Hugonnette avait donc espacé les visites pour ne finalement garder contact que par correspondance.

Quatre ans après son admission au couvent des Oiseaux, Hugonnette avait reçu une lettre de la mère supérieure au sujet de sa sœur. Ligne après ligne, elle avait pu y découvrir que Guillemette de Besson-Blois, avait été consacré en tant que nonne, qu’elle avait été rebaptisée Sœur Marie-Modeste, et qu’elle passait le plus clair de son temps à s’occuper des indigents recueillis par la communauté. Quelle joie pour Hugonnette d’apprendre que sa sœur avait trouvé sa voie et œuvrait pour le bien, car durant de longues années, Sœur Marie-Modeste s’était fidèlement dévouée au service des plus pauvres. Puis, à quatre-vingts ans passés, elle était tombée malade.

Au fil des jours, son état s’aggravant, elle avait pris conscience que sa fin était proche et qu’au lieu d’expirer sur la paillasse souillée d’une prison, qu’au lieu d’agoniser dans un flot de râles et d’amers regrets, qu’au lieu de refermer ses yeux sur d’envieux projets et des rêves inassouvis, tel que cela aurait dû se faire, elle avait combattu le bon combat, achevé la course et gardé la foi. Entourée de ses sœurs de cœur et rassasiée de longs jours, celle qui avait accompli dignement sa mission avec la force de son Dieu, celle qui s’était révélée et épanouie dans l’amour du prochain, celle qui avait su rassembler de grandes et d’éternelles richesses, plutôt que de s’amasser des trésors sur terre que la teigne et la rouille détruisent, avait donc attendu la mort. Et au matin d’une aube claire, sans crainte ni remords, Sœur Marie-Modeste s’était éteinte dans le repos de l’Esprit.

Tel fut le destin d’une vaniteuse repentie, qui à sa mort, laissa l’image et le souvenir d’une femme humble, à l’âme charitable.

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