Enfants

Un bon souvenir (3/3)

Patrice et Liliane ôtèrent leurs chaussures et pénétrèrent dans le séjour. Madame Héritier, face à la porte, les vit la première.
– Liliane ! s’exclama-t-elle, vous êtes de retour !
Aussitôt, Hugo et Salomé bondirent de leurs sièges et accoururent vers leurs cousins. Blême, Xavier n’osait pas venir à leur rencontre.
– Patrice ! On t’a cherché partout ! Où étais-tu ?
Il attendit quelques secondes avant de répondre, le temps de ravaler les paroles mordantes qui se bousculaient dans sa bouche.
– Liliane est venue me libérer, expliqua-t-il finalement. Tes nœuds ont tenu bon, Hugo, poursuivit-il avec un sourire las. Tu mérites ton brevet.
– Xavier ! explosa Salomé, tu nous as menti !
Elle se précipitait déjà vers lui quand Madame Héritier l’arrêta.
– Liliane et Patrice sont trempés, vous n’avez toujours pas dîné et vous êtes tous affamés. Ce ne sont pas des bonnes conditions pour s’expliquer. Salomé, tu accompagnes Liliane dans ma chambre. Je vais vous apporter un linge et une robe. Elle sera trop grande, mais tant pis. Patrice, tu vas te sécher à la salle de bain. Elle le jaugea du regard. Tu es bien grand, mais je vais voir ce que je trouve pour toi…  Xavier et Hugo, vous prenez la plus grande casserole que vous trouverez et vous mettez de l’eau à bouillir. Et sans vous disputer, hein ?! Patrice et Liliane ont besoin d’un repas chaud. Je reviendrai bientôt pour vous donner plus d’instructions. Allez, zou !
Les enfants se dispersèrent en silence. Peu après, Liliane reparut avec une robe qui lui arrivait aux chevilles et dont il avait fallu retrousser les manches, mais personne n’en rit. Ses cheveux avaient été séchés et elle s’assit près du feu pour se réchauffer.
– Patrice, je t’ai trouvé un pantalon. Avec une ceinture, il devrait tenir. Pour le haut, j’ai pris ce que j’ai de plus grand. Qu’est-ce que tu choisis ?
Elle exhiba un t-shirt rose, une blouse ornée de dentelles et une jaquette à capuchon fleurie. Salomé pouffa et mit la main devant la bouche, Xavier eut un sourire moqueur et Patrice faillit prétendre qu’il n’avait pas froid. Sauf qu’il avait la chair de poule…
– Euh… je vais prendre la jaquette, décida-t-il. Je suis gelé.
– Ce ne sera pas pour longtemps, le rassura-t-elle. J’ai mis vos habits au séchoir.
Les manches de la jaquette étaient trop courtes, mais il parvenait à la fermer. C’était l’essentiel. Quant au pantalon, il lui arrivait au-dessus des chevilles. Fatigué, il s’assit à la table de la cuisine et avala une pastille contre les douleurs. Il reposa son verre vide et Madame Héritier commença à le soigner tout en supervisant l’élaboration du repas.
– Vous savez cuire des pâtes ? demanda-t-elle aux cuisiniers improvisés.
Hugo, Xavier et Salomé, qui les avait rejoints, se regardèrent penauds.
– Dès que l’eau sera bouillante, vous ajouterez du sel et vous viderez le paquet de pâtes dedans. Mais sans éclaboussures ! Et pour la sauce, vous prenez cette casserole, vous y versez ces bouteilles de sauce tomate et vous y ajoutez ces boîtes de thon. Je n’ai pas de quoi faire une vraie bolognaise.
Elle se tourna vers Patrice et coupa délicatement la cordelette avec des ciseaux. Elle nettoya et désinfecta les plaies, s’occupa du blessé avec beaucoup de douceur. Les poignets cachés par des bandages blancs et propres, il paraissait tout de suite beaucoup plus présentable.

Il était déjà deux heures quand ils s’installèrent pour manger.
– Merci mon Dieu parce que tu as protégé Patrice et Liliane et qu’ils nous ont rejoints. Je te remercie pour ces aliments et te demande que nous puissions passer de bons moments ensemble. Amen.
Sitôt la prière terminée, Patrice se leva.
– C’est moi qui vous sers, déclara-t-il.
– Pas question ! s’insurgea Salomé. C’est plutôt Xavier qui doit le faire !
– Non, non. Il était convenu que je vous serve pendant le repas – sauf si j’arrivais me détacher. Je n’y suis pas parvenu, alors je tiens ma promesse.
– Ce n’était qu’un jeu ! protesta-t-elle.
– C’est égal, une promesse est une promesse.
Il saisit une large cuillère, la plongea dans le plat de pâtes et servit Xavier. Puis il remplit une louche de sauce tomate.
– Dessus ou à côté ? demanda-t-il poliment.
– A côté, bafouilla Xavier.
Il n’avait pas d’appétit et fixait son assiette l’estomac noué. Il s’était attendu à ce que Patrice lui verse la sauce sur la tête ou qu’il refuse de le servir. Sa gentillesse le désarçonnait. Et tandis qu’il mangeait du bout des dents, les autres dévoraient le contenu de leurs assiettes. Jamais un repas ne leur avait paru si bon.
– Maintenant, décréta Madame Héritier quand les casseroles furent vides, je crois qu’il est temps que vous discutiez un peu ensemble, Xavier et Patrice.
Xavier rougit et Patrice marmonna un oui presqu’inaudible.
– Nous, on va faire la vaisselle, offrit Salomé.
– Bonne idée, approuva Madame Héritier. Venez à la cuisine. On va les laisser s’expliquer.
Ils se levèrent tous. Juste avant de quitter le séjour, Salomé se retourna, une pile d’assiettes sales dans les mains :
– Sans vous taper dessus, hein ! ordonna-t-elle avec gravité.
– Sinon, poursuivit Hugo, sinon… je vous attache quelque part !
Patrice regarda son cousin.
– Je suis tellement désolé, s’excusa Hugo. Je n’aurais jamais imaginé que ça finisse comme ça.
– Ce n’est pas ta faute, le consola Patrice. Tu faisais confiance à Xavier.
Hugo hocha la tête et ferma la porte. Il avait bien envie de crier sur Xavier, mais mieux valait qu’il ne s’en mêle pas. Quand ils furent seuls, Patrice s’assit sur la table, les jambes dans le vide. Seigneur, supplia-t-il, fait que j’arrive à lui parler avec douceur et vérité.
– Je suis désolé, commença-t-il. Je ne voulais pas t’attirer des ennuis ni te fâcher.
– Tu pouvais pas simplement dire oui ? s’irrita Xavier.
Patrice secoua lentement la tête.
– Je ne pouvais pas, je t’assure. Même si j’étais triste de te faire de la peine. J’ai bien compris que tu voulais juste nous faire plaisir. Et pour toute récompense, tu as été puni.
– Mais alors, insista Xavier avec hargne, pourquoi t’as pas dit oui ?
Patrice respira profondément.
– Parce que l’argent de la caisse appartient à ton père, répondit-il doucement. Les pains aussi.
– Il n’en aurait rien su !
– Il aurait compté sa caisse à la fin de la journée et tout découvert, expliqua Patrice.
– Bof, il y a souvent des différences. Il n’aurait rien remarqué, je t’assure.
– Mais c’est pas honnête, protesta Patrice. Tu vois… Jésus est mort pour pouvoir pardonner mes péchés, alors je ne veux pas en faire exprès, tu comprends ?
– Parce que c’est un péché que de faire plaisir ?! s’insurgea Xavier.
– Non. Mais c’est un péché que d’offrir ce qui appartient à un autre.
Patrice avait l’impression d’être dans une impasse. Xavier se braquait toujours, blessé par son refus.
– Tu sais, reprit-il, je ne vais pas rester toujours ici. Je ne suis là qu’en vacances. Et ça me ferait super plaisir si je pouvais partir en emportant avec moi ton amitié. Ça, ça serait un beau cadeau…
Xavier resta un instant pensif. Il sentait bien dans son for intérieur qu’il avait eu tort.
– J’aurais pas dû me fâcher contre toi, reconnut-il enfin.
– Ou du moins m’en parler… Tu sais, il y a des arbres qui sont tombés dans la forêt, j’ai eu vachement peur.
Xavier reçut un choc en comprenant qu’il avait mis en danger la vie de Patrice.
– Je suis désolé. Je voulais seulement te faire passer un mauvais moment…
– Tu as réussi, l’interrompit Patrice. J’ai eu la peur de ma vie. Les mots sortaient tout seuls. L’orage était tellement violent, on aurait dit que la montagne explosait et j’étais coincé à ce sapin avec des branches qui tombaient de tous les côtés et même des arbres…
– Je suis désolé, répéta Xavier accablé.
– Je te pardonne.
– Merci.
– Mais il y a encore un autre truc…
– Quoi ?
– Les surnoms que tu donnes. C’est vraiment pas drôle de se faire traiter de singe savant. Et Madame Héritier n’était sûrement pas contente du sien. Et Hugo n’aime pas non plus qu’on lui rappelle toujours combien il est roux. Je ne sais pas si tu te sens plus fort en rabaissant les autres, mais… mais j’aimerais mieux avoir un ami qui se sente mon égal et qui…
Patrice ne termina pas sa phrase et Xavier ne répondit pas. Il n’aimait pas qu’on lui fasse la morale, mais ces surnoms résonnaient dans sa tête. Singe savant. Dragon. Le Rouillé. C’est vrai que ce n’était pas très gentil. Il réfléchit longuement. Patrice lui offrait une chance de réconciliation et ne l’avait pas agressé en retour. Ne valait-il pas la peine d’avoir un tel ami ?
– Ok, lâcha-t-il enfin. Je ne le ferai plus. En tout cas, j’essayerai…
Patrice lui sourit :
– Merci Xavier.
– Demain, je vous offrirai des pains au chocolat, promit-il. Et je les payerai moi-même.
Patrice lui sourit tout à fait franchement.

– Dites, Madame Héritier, pourquoi vous aimez tant l’histoire de Jésus, demanda Xavier un peu plus tard. Elle finit horriblement mal !
– Mais je ne l’ai pas finie ! s’exclama-t-elle. Où en étais-je restée ?
– Quand Jésus pardonne à ses bourreaux, lui rappela Xavier.
Madame Héritier poursuivit son histoire :
– Après sa mort, Jésus a été mis dans un tombeau. Et le dimanche, il est ressuscité. Plus de 500 personnes l’ont vu.
– Mais qu’est-ce que ça change ? s’étonna Xavier.
– En ressuscitant, Jésus a prouvé qu’il est plus fort que la mort et qu’il peut nous sauver. Si nous lui demandons sincèrement pardon pour nos péchés…
– C’est quoi exactement un péché ? l’interrompit Xavier.
– C’est désobéir à Dieu, expliqua Liliane.
– Je n’ai jamais tué personne, marmonna Xavier.
– Il s’en est fallu de peu, lui rappela Madame Héritier. Et puis, la toute première chose que Dieu nous demande, c’est de l’aimer de tout notre cœur et de toute notre force. Et là, nous nous sommes tous rebellés…
– Mais le bon Dieu nous prend tous au Paradis, supposa Xavier.
– Au Paradis, comme tu dis, tout tourne autour de Jésus-Christ. Si quelqu’un y allait sans aimer Jésus, il serait très malheureux. Non, seuls ceux qui croient en Jésus, qui l’aiment et lui ont demandé pardon iront près de lui.
– Et les autres ?
– Dieu nous offre à tous une merveilleuse possibilité de nous réconcilier avec lui. Si nous la refusons toute notre vie, il sera une fois trop tard. Ces gens-là iront dans un endroit où ils auront des regrets très amers et beaucoup de souffrances. Moi, j’ai demandé pardon à Jésus d’avoir voulu vivre sans lui. Maintenant, je me réjouis beaucoup d’aller un jour au Ciel avec lui. Là-bas, tout sera enfin parfait !
– Ça doit être ennuyeux, la perfection, soupira Xavier.
– Pas du tout ! s’offusqua Madame Héritier. Ce qui est ennuyeux n’est pas parfait ! Cette vie sera parfaitement passionnante ! Et passionnément parfaite… J’aime beaucoup y penser. Te rends-tu compte ? Il n’y aura rien de moche, rien de triste, rien de fâcheux, rien d’ennuyeux. Tout sera splendide et joyeux et il y aura plein de choses intéressantes à découvrir ! Mais ce qui me plaît encore plus, c’est de voir Jésus, être près de lui, servir et adorer Dieu.
– Madame Héritier ? demanda Salomé. Si tout sera beau au Ciel, est-ce que nous aurons encore des cicatrices ? Parce que Jésus, quand il est ressuscité, il avait les cicatrices des clous…
– Je ne sais pas, répondit Madame Héritier avec un doux sourire. Mais si nous gardons des cicatrices, elles seront belles. Pour ma part, elle effleura son visage, je serais heureuse de les garder.
Cinq paires d’yeux incrédules la fixèrent. Elle eut un petit rire.
– Bien sûr, elles me font souvent mal, maintenant, avoua-t-elle. Mais elles me rappellent aussi un bon souvenir.
– Comment c’est arrivé ? murmura Liliane.
– C’était il y a dix ans, se souvint-elle.
– J’avais deux ans, calcula Patrice.
– Et moi un an, réfléchit Xavier.
– Et nous, on venait de naître, ajouta Hugo.
– C’était juste après le premier août. Je me promenais dans le village quand j’ai vu un bébé d’environ un an jouer avec une fusée qu’il avait trouvée par terre. Vous savez comme c’est dangereux ! J’ai couru vers lui et alors, j’ai vu une fumée s’échapper de la fusée. Je la lui ai arrachée des mains pour la jeter au loin, mais elle a explosé tout près de mon visage.
Madame Héritier tremblait en y repensant.
– Vous vous rendez compte ? poursuivit-elle. A quelques secondes près, elle éclatait dans les mains de l’enfant. Il aurait pu en mourir, ou du moins être défiguré ou aveugle. Ça aurait été horrible ! Mais grâce à Dieu, il n’a rien eu.
– Et vous ? balbutia Liliane.
– J’ai été quelques semaines à l’hôpital. J’ai eu une chance incroyable de ne pas perdre mes yeux.
– Et l’enfant ? demanda Xavier ému, vous l’avez revu ?
– Il est venu me rendre visite quelques fois à l’hôpital avec sa grand-maman. A cette époque, il vivait avec elle. Et puis, je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Mais je prie chaque jour qu’il puisse appartenir au Seigneur Jésus et aller un jour au Ciel.
– Comment s’appelait-il ? souffla Hugo.
Madame Héritier secoua tristement la tête.
– Je ne m’en souviens plus. Il ne me reste qu’une photo de lui. Elle a été prise à l’hôpital, pendant l’une de ses visites. Elle est là, accrochée au mur. Voyez, dit-elle en la tendant à Liliane, là c’est moi avec les bandages, ici c’est sa grand-maman et là le petit garçon.
La photographie passa de main en main. Quand Xavier la vit à son tour, il se mit à trembler comme une feuille. Il commença à bégayer.
– On… on dirait… on dirait ma… ma… Il… il faut vite que je rentre à la maison. Je reviens tout de suite.
Xavier sortit précipitamment, sans qu’on puisse lui poser la moindre question. Un quart d’heure plus tard, il était déjà de retour, essoufflé, les cheveux et le pantalon détrempés. L’orage avait cessé, mais il pleuvait toujours à verse. Au moins avait-il pu mettre une veste pour revenir. Il brandissait un sac en plastique qu’il posa sur la table. Il l’ouvrit et en retira un album photo qu’il se mit à feuilleter.
– Vous voyez, là ? C’est moi tout bébé dans les bras de ma grand-maman. Vous ne trouvez pas qu’elle lui ressemble ?
Ils comparèrent les deux photos. Les similitudes étaient frappantes. Il tourna quelques pages supplémentaires.
– Et là, j’ai un an…
A nouveau, les regards allèrent d’un cliché à l’autre. Les deux garçons avaient la même bouille potelée, le même petit nez pointu et la même tête encore chauve. Salomé tourna une page de plus.
– Xavier, regarde ! Ici tu portes les mêmes habits !
– C’est moi ?… bredouilla Xavier. C’est moi que vous avez sauvé ?
– C’est toi… répondit-elle en écho… c’est donc toi ?!
Un sourire immense irradiait son visage, mais Xavier se raidit soudain.
– Vous devez être déçue… commença-t-il.
– Je suis si heureuse de savoir que c’est toi ! l’interrompit-elle. Xavier, s’il te plaît, laisse-moi te serrer dans mes bras.
Elle s’avança vers lui, examina plus attentivement que jamais son visage, puis l’enlaça doucement, tout doucement pour ne pas trop le gêner.
– Je suis désolée, dit-elle en se reculant. J’espère que je ne t’ai pas importuné. Mais j’avais trop d’émotion.
Xavier ne répondit pas tout de suite. Il avait traité Madame Héritier de dragon, alors qu’elle avait été défigurée en lui sauvant la vie. Il s’en voulait terriblement. Et soudain, il prit réellement conscience combien il avait été blessant avec ces surnoms idiots, combien il avait trahi la confiance de son père en se servant dans la boulangerie et comme il s’était montré odieux et rancunier envers Patrice. Il prit son visage entre ses mains.
– Oh Madame Héritier, pleura-t-il. Comme vous devez être triste ! Je ne pourrai jamais aller au Ciel comme vous l’espérez ! J’ai été si méchant !
Elle s’agenouilla devant lui et posa sa main sur ses genoux.
– Xavier, l’appela-t-elle avec douceur. Te rappelles-tu le pouvoir merveilleux de Jésus ?
Xavier hocha tout doucement la tête.
– Pardonner les péchés, murmura-t-il.
– Le veux-tu ?
– Le veut-il ? répliqua-t-il amer.
– Oui Xavier, il le veut, lui assura Madame Héritier. C’est justement pour pouvoir te pardonner qu’il est mort sur la croix, parce que le salaire du péché, c’est la mort. C’est pour ça qu’il a dû mourir. A ce moment, Dieu l’a puni à ta place. Dans la Bible, Dieu promet ceci : si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice. Et ailleurs il est écrit : crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé.
– Même moi ?
– Même toi. Et même le brigand sur la croix.
– Quel brigand ?
– Jésus a été crucifié entre deux malfaiteurs, tu t’en souviens ? Avant de mourir, l’un d’eux a reconnu en Jésus le seul Seigneur et le seul Sauveur. Alors Jésus lui a promis que ce même jour, il serait avec lui au Paradis. Il nous fait la même promesse, si nous venons à lui de la même manière.
Xavier se tut longtemps. Ses lèvres remuaient en silence. Personne autour de lui ne soufflait mot. Enfin, il releva la tête, essuya son visage et sourit à Madame Héritier.
– Je… l’ai fait, expliqua-t-il enfin à voix basse. Je lui ai avoué toutes mes bêtises et je lui ai demandé pardon.
– Je m’étais senti tellement plus léger et plus paisible, se rappela Patrice.
– Oui, c’est exactement ça, acquiesça-t-il. Je me sens libéré de quelque chose…  Dites… je pourrai venir à l’église avec vous ? J’aimerais apprendre à mieux connaître Jésus.
– Avec grand plaisir, Xavier.
Le garçon se frotta encore les yeux et sourit à Hugo, Salomé, Liliane et Patrice.
– Je vous demande pardon pour aujourd’hui. Mais vraiment Patrice, je ne pensais pas que ce serait dangereux. Je suis désolé.
– On te pardonne, assura Patrice. Ça été une aventure inoubliable.
– Tu viens jouer avec nous, demain ? proposa Hugo.
– Vous êtes chics, le… euh… Hugo ! Avec plaisir !
– Allons, il faut fêter ça ! s’écria Madame Héritier. Aujourd’hui, il y a un nouveau membre dans la famille de Dieu ! Il y a une fête dans le Ciel… et une autre chez nous ! Qui veut des chips ? De la glace ? Des pistaches ?

En quelques instants, la table fut encombrée de toutes sortes de choses bonnes à manger. Hugo jouait avec une coquille de pistache :
– Xavier ? Comment ça se fait que tu n’aies rien su de toute cette histoire ?
– Je me suis posé la même question… Et je me suis rappelé qu’à l’époque, mes parents étaient partis aux Etats-Unis pour régler un problème d’héritage. Ils trouvaient trop compliqué de me prendre avec eux et ont demandé à ma grand-maman de me garder. Je suppose qu’elle n’a pas osé leur parler de l’accident… Et puis, elle est décédée il y a quelques années.
– Je suis désolée, compatit Madame Héritier.
– En tout cas, analysa Patrice, tu sais maintenant d’où te vient cette phobie des explosions.
– Oui, je suis rassuré d’avoir une explication. J’espère que j’en aurai moins peur, maintenant…
Xavier s’interrompit et regarda fixement Madame Héritier.
– Dites… Vous… vous seriez d’accord d’être ma nouvelle grand-maman ?
Madame Héritier le dévisagea abasourdie et radieuse.
– Tu veux être mon petit-fils ?
– Oui… si vous êtes d’accord…
– Ça me ferait tellement plaisir !
– Je viendrai te voir souvent, promit-il.
– Il ne pleut plus ! les interrompit Liliane qui regardait par la fenêtre.
– Dites, les enfants, vous me montrez ce fameux sapin ?

Peu après, ils grimpaient tous la montagne en direction du lieu où ils avaient joué. La nature dégoulinait encore, mais au-dessus d’eux, le soleil perçait déjà les nuages et nimbait la forêt d’un halo doré.
– Waouh ! fit Hugo dans un souffle. Il y a au moins dix arbres qui sont tombés !
– Là, c’est la Pierre au trou, dit Salomé en désignant le rocher.
– Et là le sapin, reprit son frère.
Il se dressait dans la lumière. A son écorce abîmée scintillaient des bribes de fils rouges.
– Comme il est grand ! s’exclama Madame Héritier.
– Dieu a veillé sur lui, ajouta Salomé.
Patrice se tourna vers sa sœur.
– Mais je suis super content de ne plus y être. Merci Liliane.
Xavier secouait la tête, peinant à croire ce qu’il voyait.
– Je suis tellement désolé. J’aurais aussi eu monstre peur à ta place… Et je suis trop content que tu sois bien vivant… et que Dieu t’ait protégé.
– Et envoyé Liliane te délivrer, enchaîna Hugo.
– Je crois que nous ressentons tous la même chose, approuva Madame Héritier.
– Mais vous ne trouvez pas que la forêt est magnifique malgré tout ? demanda doucement Liliane. Même les arbres cassés sont beaux dans cette lumière.
– C’est vrai, reconnut Salomé. La forêt est à la fois toute chamboulée et très belle.
– Il faudra qu’on rentre, intervint Hugo. Mes parents ne vont plus tarder.
Ils firent lentement demi-tour.
– Il y en aura des choses à raconter ! réalisa Salomé.
– Pas moi, affirma Patrice. Je suis crevé. Je vais directement au lit.
– Moi aussi, ajouta Liliane. J’ai eu trop d’émotions aujourd’hui.
– Mais la plus belle, conclut Madame Héritier, c’est que la famille s’est agrandie !
Elle posa une main sur l’épaule de Xavier, une autre sur celle de Patrice. Ce dernier sourit à son ami :
– Tu sais, malgré tout, cette journée sera pour moi un bon souvenir.
Xavier opina.
– Pour moi aussi !

FIN

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