Classiques, Réflexions

Shasta – Il n’y avait qu’un seul lion

     Shasta est un prince (et plus tard un roi) d’Archenland. Fils du roi Lune, il a été enlevé alors qu’il était encore bébé et envoyé à Calormen. Des années plus tard, selon une prophétie, Shasta revient et sauve Archenland du plus grand danger auquel il a jamais été confronté. Son histoire est racontée dans Le cheval et son écuyer. C’est certainement mon livre préféré de la série et il est donc tout naturel de clôturer la série avec celui-ci. Shasta est au bénéfice de la Grâce irrésistible, fidèle et révélée. Lewis lui-même a affirmé que Le cheval est son écuyer traite de la question de l’appel et la conversion des païens :

Toute la série se déroule comme suit :
Le Neveu du magicien parle de la création et de l’entrée du mal à Narnia.
Le Lion, etc. – la crucifixion et la résurrection.
Le Prince Caspian – la restauration de la vraie religion après la corruption.
Le Cheval et son écuyer – l’appel et la conversion d’un païen.
L’Odyssée du passeur d’aurore – la vie spirituelle (en particulier de Ripitchip).
Le Fauteuil d’argent – la guerre continue contre les forces des ténèbres.
La Dernière Bataille – la venue de l’Antéchrist (le Singe), la fin du monde et le Jugement dernier.
Tout est clair ?
C.S. Lewis Lettre à Anne, Magdalene College, 1 mars 1961 (lire)

Introduction et sommaire de la série « La Grâce dans Narnia » (10 articles)

L’appel de la liberté

     Lewis établit de nombreux parallèles entre Shasta et Moïse. Les deux ont une destination vers laquelle se rendre et doivent traverser un désert pour y arriver (voir le chapitre 9 du Cheval et son écuyer). Moïse conduit les Israélites vers la Terre Promise, tandis que Shasta veut aller vers « Narnia et le Nord ».  Shasta, comme le peuple israélite, fuit l’esclavage pour aller vers le pays de la liberté. Il est envoyé sur la mer alors qu’il était encore tout bébé, comme nous l’apprenons à la fin :

Bar m’avait confié à un de ses chevaliers et nous avait tous deux embarqués à bord du canot de sauvetage. On n’a jamais revu cette chaloupe. Mais bien sûr, c’était elle qu’Aslan (qui est apparemment derrière toutes ces histoires) a poussée vers le rivage à l’endroit qu’il fallait pour qu’Arsheesh me récupère. J’aimerais bien connaître le nom du chevalier, car c’est sans doute grâce à lui que je suis resté en vie, et pour cela, il s’est privé de nourriture jusqu’à mourir de faim.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 15, p. 216

      Moïse, quant à lui, a été envoyé sur la rivière dans un petit bateau en forme de panier, par sa mère. :

Lorsqu’elle ne put plus le garder caché, elle prit une caisse de jonc, qu’elle enduisit de bitume et de poix ; puis elle y mit l’enfant et le déposa parmi les roseaux sur la rive du fleuve.
La Bible, Exode 2.3

     Les deux sont surveillés par quelqu’un pour s’assurer que rien ne leur arrive : Myriam garde un œil sur son petit frère Moïse, tandis qu’un soldat sans nom remplit le même rôle pour Shasta.

Pauline Baynes, L’enlèvement et la découverte de Shasta

      Pauline Baynes, l’illustratrice des Chroniques, illustre cette scène avec la fresque ci-dessus. Dans l’avant-dernier dessin, Shasta est vu dans une barque… jusqu’au moment où Arsheesh le découvre. Là, il est représenté dans panier ! … Est-ce que Pauline Baynes avait Moïse à l’esprit ?

Je suis qui je suis

     Shasta et Moïse ont également une expérience singulière dans laquelle ils rencontrent Dieu (ou Aslan). Au cours de l’expérience de Moïse avec le buisson ardent, Moïse dit à Dieu :

 « J’irai donc trouver les Israélites et je leur dirai : ‘Le Dieu de vos ancêtres m’envoie vers vous.’ Mais s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? »  Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. » Et il ajouta : « Voici ce que tu diras aux Israélites : ‘Je suis m’a envoyé vers vous.’ »
La Bible, Exode 3 13-14

      Lorsque Shasta demande à Aslan qui il est, Aslan répond simplement :

— Moi-même, dit la Voix profonde et si grave que la terre trembla.
Puis encore :
— Moi-même, d’une voix forte, claire et gaie.
Puis une troisième fois :
—Moi-même, chuchoté si doucement qu’on pouvait à peine l’entendre, et pourtant cela avait l’air de venir de partout autour de vous comme si les feuilles des arbres en étaient agitées.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 11, p. 173

     Bien qu’aucun des deux n’obtienne vraiment un nom, les deux obtiennent en réponse une démonstration de puissance et un aperçu de la nature même de Dieu (ou Aslan) lui-même.

J’étais le lion

     Durant leur voyage, Shasta est poursuivi une première fois par un lion. Cette première rencontre lui permet de rencontrer Hwin et Aravis. Une deuxième fois, un drôle de chat le réconforte au milieu des tombes :

Et quand il ouvrit les yeux, il s’exclama :
— Mais il n’est pas du tout aussi grand que je l’imaginais ! Deux fois moins grand. Non, même pas, quatre fois moins grand. En fait, je peux dire haut et fort que c’est seulement le chat !!! Je devais rêver quand je le croyais grand comme un cheval…

     La troisième rencontre avec le lion est moins paisible. Le lion les talonne au plus près dans une folle course poursuite :

Shasta aperçut tout cela en un clin d’œil et regarda de nouveau derrière lui. Le lion avait presque rejoint Hwin, maintenant. Il mordillait ses jambes postérieures, et on ne lisait plus trace du moindre espoir dans l’expression de la jument mouchetée d’écume et aux yeux dilatés.

     Ils arrivent finalement en lieu sûr dans la demeure d’un ermite. Après toutes ses aventures, Shasta est épuisé physiquement et découragé mentalement. Il s’apitoie sur lui-même :

Je crois vraiment, se dit Shasta, que je suis sans aucun doute le garçon le plus malchanceux qui ait jamais vécu sur terre. Tout va bien pour tout le monde, sauf pour moi. Ces dames et ces seigneurs narniens ont quitté Tashbaan sains et saufs ; je suis resté en arrière. Aravis, Bree et Hwin sont douillettement installés avec ce vieil ermite : bien sûr, c’est moi qu’on a envoyé en expédition. Le roi Lune et les siens doivent avoir atteint le château sains et saufs et s’y être barricadés longtemps avant l’arrivée de Rabadash, mais j’ai été laissé dehors.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 11

      Lewis capture ce que nous ressentons tous à certains moments de notre vie, et veut nous montrer que Dieu vient à nous lorsque nous sommes au plus bas. Shasta ressent soudain une présence :

Ce qui mit un terme à tout cela, ce fut le choc d’une frayeur soudaine. Shasta découvrit que quelqu’un, ou quelque chose, marchait à ses côtés. Il faisait noir comme dans un four. Shasta ne voyait rien. Et la chose (ou la personne) marchait si doucement qu’il ne pouvait entendre ses pas. Ce qu’il entendait, c’était une respiration. Apparemment, son compagnon invisible avait un souffle très ample, et Shasta sentait que c’était une créature imposante. II en était venu si progressivement à remarquer cette respiration qu’il ne pouvait savoir depuis combien de temps cela durait. Ce fut un horrible choc.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 11

Et la conversation qui suit est sans aucun doute l’un des plus beaux passages de Narnia :

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il d’une voix à peine plus audible qu’un chuchotement.
—Quelqu’un qui attend depuis longtemps que tu lui parles, dit la chose.
[…]
— Vous ne pensez pas que c’était de la malchance de rencontrer tant de lions ?
— Il n’y avait qu’un seul lion, dit la Voix.
— Qu’est-ce que vous me chantez là ? Je viens de vous dire qu’il y en avait au moins deux la première nuit et…
— Il n’y en avait qu’un ; mais il était rapide.
— Comment le savez-vous ?
— J’étais le Lion.
Et comme Shasta en restait bouche bée, la Voix continua :
— J’étais le Lion qui t’a forcé à rejoindre Aravis. J’étais le chat qui t’a rassuré au milieu des maisons des morts. J’étais le Lion qui a éloigné de toi les chacals pendant que tu dormais. J’étais le Lion qui a donné aux chevaux effrayés l’énergie du désespoir pour le dernier kilomètre afin que vous puissiez arriver à temps auprès du roi Lune. Et j’étais le Lion dont tu ne te souviens pas et qui a poussé le bateau dans lequel tu étais couché, enfant à demi-mort pour qu’il s’échoue sur le rivage où un homme était assis, éveillé à minuit, pour t’accueillir.

    Shasta découvre soudain qu’Aslan a toujours veillé sur lui, depuis le jour de naissance. C’est là un aspect particulièrement merveilleux de la Grâce :

Dès le sein maternel j’ai été sous ta garde, Dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu.
Psaumes 22:10

Marchez !

     Il y a contraste saisissant avec Le Fauteuil d’argent ou Aslan n’intervient presque jamais pour aider Jill à trouver des solutions. L’histoire de Shasta illustre parfaitement la souveraineté de Dieu dans l’existence et notre vie spirituelle. Même si nous ne nous en rendons pas compte la plupart du temps, Dieu veille sur nous.

     Dieu nous transforme assez peu souvent en allant dans une église ou en écoutant des grands penseurs chrétiens. La conversion vient très souvent au bout d’un parcours. Lewis voit cela comme le moment où vous ne pouvez plus fuir Aslan (ou Jésus), parce que vous êtes arrivé en sa présence. C’est ce qui ressort de son livre Surpris par la joie, où il raconte longuement ses jeunes années en tant qu’athée (puis théiste). Il veut nous montrer que la Joie de la Grâce n’est pas simplement l’événement ponctuel d’une conversion, mais que nous pouvons l’expérimenter bien avant, par petites bribes lumineuses qui veulent déjà nous éclairer.

     Shasta ne vient pas à Narnia parce qu’il en est convaincu, mais parce qu’il recherche la beauté et fuit l’esclavage. Il ne connaît  pas les véritables histoires d’Aslan de Narnia. Pourtant, dès qu’Aslan se révèle, il plie le genou devant  lui, car Aslan l’a pris sous sa protection de toute éternité :

Mais après avoir entrevu en un clin d’œil le visage du Lion, il se laissa glisser de la selle et tomba à ses pieds. Il ne trouvait rien à dire mais, à cet instant, il voulait surtout ne rien dire, et il savait aussi qu’il n’avait nul besoin de parler.

     Alors, marchez ! Marchez vers la liberté. Marchez vers Narnia et le Nord. Traversez le désert. Traversez les forêts. Traversez les montagnes. Il se peut que vous soyez surpris !

2 réflexions au sujet de “Shasta – Il n’y avait qu’un seul lion”

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