Nouvelles/contes

La Mille et Unième Mandoline

Perchée sur la montagne de Cléopâtre, une vingtaine de miles avant Cottonwood, en venant de Prescott, la ville de Jerome, comté de Yavapai, est l’un des lieux les plus visités de l’Arizona. Sa population n’y dépasse pas quatre cents habitants ; mais il fut un temps où des dizaines de milliers de mineurs grouillaient dans les deux collines de son profil, comme des termites dans leurs galeries, pour en extraire les millions de tonnes de cuivre et d’argent qu’elles recelaient. Les filons sont aujourd’hui épuisés, et Jerome aurait dû disparaître, si ce n’est que cette ville-fantôme refuse absolument de mourir, et que paradoxe, c’est principalement à sa mauvaise réputation qu’elle doit sa survie.

Lorsqu’à la fin du XIXe siècle, les trésors souterrains qu’une bizarrerie géologique avait accumulés dans les deux protubérances mammaires de son dôme furent découverts, la marée soudaine de pauvres ouvriers en quête de travail, amena avec elle son lot inévitable d’aventuriers cyniques, et d’exploiteurs de la misère humaine. Les casinos, les lupanars, les saloons, poussèrent alors à Jerome comme champignons de nuit ; ils y ont laissé une vague atmosphère de pitoyable débauche de l’Ouest, saturée de fumée, de relents de bière et de bourbon, de fausses notes de piano bastringue, de voix éraillées et de bruits de bottes dans l’escalier, que l’imagination bridée du touriste le plus raisonnable respire avec délices.

Or ce n’est pas ce folklore, typique et convenu du western, qui fait la particularité la plus marquante de Jerome ; les actuels résidents vous affirment, et croient dur comme fer, que leur ville est hantée. Ils ont même une bonne explication. A l’époque où les mines tournaient à plein régime, la vie d’un homme coûtait moins cher que le prix du bois pour étayer solidement les boyaux nouvellement creusés, du moins aux yeux des investisseurs. En conséquence des centaines de mineurs y sont morts, soit enfouis vivants sous les éboulements, soit agonisant sur les lits de fortune d’un hôpital rudimentaire, parfois amputés sans anesthésie, et sans pénicilline. Ce sont leurs pauvres âmes qui, d’après plusieurs, se permettent de temps à autre de venir exécuter quelque innocente plaisanterie, dans le monde des vivants, histoire de ne pas se laisser totalement oublier.

Moi je n’ai jamais cru à ces récits de revenants ; sauf que lorsque j’y pense, il me revient toujours en mémoire ce que me conta un jour mon vieil oncle Jacob, pasteur à Jerome. Eh oui, quoique composée essentiellement d’anciens hippies, d’illuminés du new age, d’artistes ermites, d’écrivains misanthropes, de richards terrorisés par l’apocalypse imminente, enfin de toutes sortes de marginaux à cervelle brumeuse, la population contemporaine de Jerome a encore besoin de ministres de l’Évangile. Elle en avait du temps de sa prospérité passée, quand prêcher le salut en Jésus-Christ aux misérables esclaves du travail, de l’argent, de l’alcool, et de la débauche, paraissait si nécessaire. Mon oncle descend d’ailleurs de trois générations de pasteurs qui se sont succédés là bas.

L’oncle Jacob n’est pas à plaindre dans son ministère : il a toujours eu à cœur d’annoncer la Parole aux gens fortunés, et de leur enseigner à ne pas s’attacher aux richesses présentes. « Chacun insiste toujours pour évangéliser les pauvres, dit-il, c’est un devoir incontestable, mais les riches n’ont-ils pas droit à l’offre du salut, eux aussi ? » Il a bien raison ! Or quand un riche se convertit vraiment, il devient du coup généreux. C’est ainsi que Pasteur Jacob, sans avoir jamais rien demandé (honni soit qui mal y pense), possède sur les hauteurs de Jerome une superbe villa, assise sur un grand terrain, artistement décoré de roches volcaniques, d’agaves, de yuccas, tout fleuri d’hibiscus et de bougainvilliers. A l’extrémité nord-est du jardin, donnant sur les fantasmagoriques hauteurs rouges de Sedona, il a fait construire un petit pavillon tout en verre et en bois verni, où il invite trois ou quatre musiciens de la région, venir y faire un bœuf de temps en temps, et où il aime à se retrouver seul, pour méditer, en écoutant un vinyl.

C’était la dernière semaine d’octobre 19.. ; les températures avaient enfin baissé, pour laisser place à la moelleuse douceur hivernale de Phoenix. Il me fallait aller mettre en ordre une cabine du côté de Flagstaff, en vue des premières neiges à venir. En route, je résolus de faire un crochet par Jerome, de façon à faire une surprise à mon oncle, que je n’avais pas vu depuis des années. Ce fut ma tante qui m’ouvrit. Après les effusions et embrassades, elle m’indiqua que mon oncle se trouvait au pavillon de verre. Je traversais donc le jardin, aussi délicieux et embaumé que je me le rappelais de mon enfance. J’avais là une occasion on ne peut plus appropriée de me répéter la phrase culte du mystère de la chambre jaune : Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat…

Enfoncé dans un de ces vastes fauteuils américains à bascule, pieds relevés, chapeau de cowboy sur la tête, un verre de whisky dans une main, un cigare dans l’autre, (car il a su parfaitement se faire tout à tous dans son ministère), l’oncle Jacob était en train d’écouter un disque d’Ella Fitzgerald, Cry me a river ; du moins il me sembla la reconnaître, mais je suis loin d’être aussi musicologue que lui :

— Par exemple ! Pierre ! quelle surprise ! entre neveu, entre.

Il n’avait guère changé, sinon que je lui trouvais l’air fatigué, et comme un voile mélancolique sur le regard.

— Je vois, uncle, que vous avez fini par trouver ces pentodes, que vous cherchiez, pour votre ampli à lampes, ça à l’air de marcher du tonnerre !

— Oui répondit-il, en baissant le niveau sonore de sa chaîne, figure-toi que les Russes en fabriquent encore ! et ils les vendent cher… les bougres. Mais quel son ! quelle rondeur, quelle pureté… ah ne me parle jamais des transistors !

Mon oncle a ses manies. Il est persuadé par exemple de la supériorité des qualités acoustiques du matériel de sa génération sur l’électronique moderne ; bien que ne croyant pas au bien-fondé des arguments qu’il avance, je ne me suis jamais aventuré à contredire son point de vue, qui est celui d’un passionné.

Outre le majestueux meuble en acajou où habite l’ampli à tubes avec sa platine, leurs impressionnantes enceintes attenantes, sombres, oblongues et profondes comme des cercueils, les étagères des murs supportant des bataillons de disques, tous au garde-à-vous, le pavillon musical de tonton Jacob contient trois armoires vitrées, dans lesquelles il range ses raretés et ses collectors : une anche de clarinette ayant appartenue à Sidney Bechet, un jeu d’onglets à banjo que son père tenait d’Earl Scruggs en personne, une cravate portée par Jethro Burns, une lettre autographe de Bill Monroe,… J’y notai cependant un objet que je n’avais jamais remarqué auparavant. C’était une mandoline, à corps bombé, de couleur cuivre, qui paraissait assez ancienne. Mon oncle, qui suivait mon regard, reprit, d’une voix un peu hésitante :

— Je l’ai descendue du grenier… elle sera mieux ici, en bonne compagnie.

— L’instrument d’un grand artiste, sans doute ?

— Oui, c’est la mandoline de Schlomo Burlone… je dis sa mandoline, quoiqu’elle n’ait jamais été la sienne… elle a appartenu à mon grand-père.

— Racontez-moi donc son histoire, tonton, cet objet m’intrigue, et vous savez que toute apparence de mystère exerce un effet déplorable sur mes nerfs.

— Schlomo Burlone était de fait un authentique virtuose de la mandoline. Je l’ai connu quand j’étais tout petit, et qu’il avait déjà dépassé la soixantaine. Il venait quelques fois chez pépé avec un instrument, et avec quelle magie il en jouait ! Sans presque paraître bouger sa main gauche, il enchaînait une série d’accords surprenants qui vous ravissaient et vous tenaient en haleine. Le plus souvent il démarrait sur un air traditionnel de country, ou de blue grass, qui se métamorphosait rapidement en un jazz inventif et ensorcelant. Quand il avait fini son morceau, il éclatait d’un rire énigmatique, en vous fixant de ses beaux yeux bleu-clair, pétillants de malice.

— Votre grand-père était donc aussi féru de jazz que vous ?

— Pas du tout ! c’était un pasteur grave, austère même, et ce n’est que par une circonstance improbable, liée à cette mandoline, qu’il est entré en contact avec Schlomo Burlone. Voici comment. Schlom, comme nous l’appelions, n’était pas originaire de Jerome ; grâce à son talent, il avait bourlingué dans quasiment toutes les grandes villes des US, où se trouvent toujours des orchestres, en recherche d’un musicien capable d’en remplacer un autre au pied-levé. Or si Schlom n’était pas lui-même une tête d’affiche, il était capable de jouer n’importe quel morceau peu ou prou connu, et de le transposer à vue dans chacun des douze demi-tons de la gamme. Autant dire qu’il ne manquait jamais ni de travail, ni d’argent. Schlom avait une passion : les mandolines ; ce qui était bien normal vu son métier ; mais c’était au point qu’il avait fini par en collectionner mille, tout juste, qui lui appartenaient en propre.

— Hum… Mille exactement ? dis-je, c’est très curieux !

— Oui, mille tout rond. Les mandolines se divisent généralement en deux classes : les mandolines napolitaines à corps très bombé, en forme de goutte, à quatre double cordes, comme celle que tu vois-là, et les mandolines milanaises à six double-cordes, à caisse plus plate et en forme d’amande. Eh bien, Schlom possédait une collection composée de sept cents mandolines napolitaines et de trois cents mandolines milanaises. Tu vois sans calculatrice, mon neveu, que cela fait exactement un total de mille mandolines.

— Hum… fis-je à nouveau, rendu un peu sceptique par ces nombres ronds, qu’il me semblait d’ailleurs avoir déjà entendus quelque part (mais où ?). Hum… en sorte que si Schlom avait pu posséder la mandoline que tu as mis derrière cette vitre, elle aurait été sa mille et unième ?

— Précisément ! mais il n’a jamais pu l’acquérir. Vers la fin de sa carrière, l’âge venant, il avait fini par s’installer à Jerome, parce que la région lui plaisait, et parce que deux ou trois boîtes de nuit lui avaient signé un contrat intéressant. L’une d’elle se situait Clark Street, la rue de la petite église-librairie que tenait mon grand-père. En devanture, on y voyait des Bibles à bas prix, quelques ouvrages de piété, des recueils de cantiques, et cette mandoline qui n’avait été placée là que dans un but purement décoratif. Schlom ne s’était jamais intéressé à la question de Dieu, et de l’au-delà, aussi passait-il régulièrement devant la vitrine de l’église sans s’y arrêter. Cependant, sans qu’il en soit trop conscient, son œil droit tirait toujours un peu du côté de cette mandoline ; laquelle, chose impossible, semblait lui décocher en retour une œillade, et l’inviter muettement. Enfin un beau jour, agacé par son tic oculaire, il s’arrêta devant l’église, et considéra bien en face l’instrument. Tout en étant agréable à la vue, par sa forme et son vernis cuivré, il n’avait rien de bien remarquable, et Schlom en avait vu d’autres. Il reprit son chemin.

Le lendemain, Schlom s’arrêta de nouveau devant la vitrine, fixa un moment la mandoline ; puis il poussa la porte, et entra. Qui peut savoir ce qui passe dans la tête des grands artistes ? c’est un mystère qu’eux-mêmes souvent ignorent ! Or c’était jour d’étude biblique. Mon grand-père enseignait devant une vingtaine de fidèles, et Schlom écouta bien sagement le message, tandis que plus d’un regard oblique, émoustillé de voir un nouvel assistant, essayait de sonder s’il y avait là une âme qui restait à sauver.

A la fin de la réunion on s’empressa de le saluer chaleureusement, et le pasteur s’enquit avec franchise de qui il était, et d’où il venait. Schlom fit son petit résumé, et ne cacha pas que c’était la mandoline en vitrine qui l’avait déterminé à entrer. Mieux, il demanda la permission de l’essayer ; en tant qu’expert, il désirait savoir ce qu’elle valait. « Pas grand’ chose à votre niveau, je le crains », répondit mon grand-père, et se dirigeant vers la devanture, il lui rapporta la mandoline. Alors un petit attroupement se fit autour de l’artiste, assis jambes croisées sur une chaise, la mandoline dans son giron.

Après l’avoir rapidement accordée, Schlom voulut plaquer quelques accords d’un de ses morceaux préférés. Oh stupeur ! sa main droite pesait comme une masse morte et ses doigts gauches n’avaient jamais été aussi gourds, tout sonnait faux et rendait un bruit d’affreuse quincaillerie. Schlom, humilié, sentait les regards peser sur lui ; il avisa alors un recueil de cantiques, qu’il ouvrit au hasard, et sachant lire une partition comme l’autre son journal, il commença à jouer. Oh merveille ! l’instrument répondait avec une docilité parfaite à sa pensée. Jamais les membres de l’assemblée n’avait entendu leurs vieux hymnes interprétés de manière si neuve, si fraîche, si originale, si intelligente. Le musicien s’envola sur une improvisation vertigineuse, dans laquelle le thème de la mélodie restait toujours parfaitement reconnaissable. On l’applaudit ; et chacun en rentrant chez lui ce soir-là se disait : « Si ce bonhomme se convertit, oh quel ministère il aura ! »

A partir de ce jour, Schlomo Burlone, semaine ou dimanche, fut assidu à toutes les réunions. Il n’en aurait manqué une pour rien au monde, et dans chacune, il accompagnait les chants avec la mandoline de l’église. Le pasteur lui en avait donné la permission ; bien qu’inexplicablement, il refusât de lui céder cet instrument de peu de valeur vénale, quelles que soient les sommes extravagantes que Schlom lui proposait. Mais au fait, que pensait Schlom de toute la prédication qu’il entendait ? Personne ne le savait vraiment… il ne pouvait manquer d’en être touché, car l’Évangile est une puissance de Dieu, portant soit une odeur de vie, soit une odeur de mort, à ceux qui l’entendent, selon la manière dont ils le reçoivent.

Ce qui était certain par contre, c’est qu’une idole en forme de larme de feu avait roulé dans son être intérieur, et le consumait. S’il fallait répondre affirmativement à la question du poète qui demande si les choses inanimées ont elles aussi une âme, celle de la mandoline aurait sans doute soupiré d’aise en songeant qu’elle avait réussi à capturer un artiste de renom, qui se convertirait sans doute, grâce à son témoignage. Les anecdotes qu’il savait glisser dans la conversation à propos de tous les people qu’il avait connus dans sa carrière, la fascinaient ; elle trouvait chez lui une naïveté d’enfant, qu’il lui plaisait d’orienter selon son caprice. De son côté, le malheureux, malgré ses mille mandolines, n’en avait jamais possédé une qui lui donnât cette impression de pureté séraphique qu’il éprouvait lorsqu’il jouait de celle de l’église, et qui semblât le comprendre comme elle.

Bientôt, les rendez-vous hebdomadaires avec sa napolitaine magique ne suffirent plus à Schlom, il voulait l’emmener en concert ! Futé comme un renard, il parvint à se faire faire un double des clefs de l’église. De nuit, il venait à présent la chercher, pour faire le tour des établissements de Jerome. Oh, prodige nouveau ! dans ces lieux douteux, Schlom n’éprouvait plus aucune difficulté à exécuter sur l’instrument les jams les plus endiablés, tandis que tel un charbon ardent, la caisse de la mandoline rougeoyait, et que le métal de ses cordes rendait des trémolos de bacchante en furie. Tous deux rentraient au petit matin ; la mandoline, bien sage, reprenait vite sa place dans la vitrine ; Schlom, toujours plaisantant à propos de tout, continuait à bénéficier de la bienveillance générale de l’assemblée… hormis celle d’un jeune homme à l’air sombre, qui le regardait avec hostilité, durant les réunions, sans qu’il sache pourquoi…

— Eh, mon oncle, arrêtez-là ce conte absurde ! vous m’avez pris pour un benêt, mais j’ai très bien compris de qui vous voulez parler : vous avez tout simplement transposé l’histoire du Cantique des cantiques.

— Eh, Pierre, je te l’aurais pas racontée si j’avais cru que tu étais sot. Je suis fier, au contraire, que tu aies deviné la parabole : tellement de gens se trompent, en croyant que le Cantique veut dépeindre une idylle romantique entre deux personnages, tandis qu’il s’agit d’un drame à trois.

— A trois, en effet : Sulamith, la jeune fille de basse condition qui s’est aventurée très imprudemment dans le palais de Salomon ; Salomon lui-même, le roi rempli de gloire, de richesses et de perspicacité, mais qui vit en dehors de la volonté de Dieu ; et le troisième personnage, qui, comme l’arlésienne, n’apparaît jamais : le jeune Berger.

— L’histoire de la rédemption d’Israël, en somme, prophétiquement et subtilement déguisée, dans cette énigme millénaire, que Salomon a posée aux exégètes. Tu oublies cependant un détail.

— Lequel ?

— Mais cette mandoline que tu vois ! elle est pourtant bien tangible, avec sa caisse, et ses cordes !

— Eh bien racontez-moi la fin du conte, et comment il se fait qu’elle se trouve là.

— Oh, elle est courte, et de peu d’intérêt. Car à l’inverse des histoires de la Bible, qui sont belles, parce Dieu les fait marcher vers une conclusion certaine, grandiose, et glorieuse, les nôtres sont presque toujours banales et laides, à cause du péché qui règne dans nos vies.

Mon grand-père finit par prendre sa retraite ; le jeune homme devint pasteur à sa place, et confisqua la mandoline. Du coup, on vit de moins en moins souvent Schlom à l’église ; il paraissait de plus en plus déprimé, et il s’éteignit rapidement. Tous moururent ensuite à leur tour, mon grand-père, son successeur ; la mandoline fut reléguée au grenier pour de longues années.

L’autre nuit cependant, j’ai fait un rêve, où j’entendais la mandoline égrener un air si distinctement, ses cordes vibrer avec une telle acuité, que je me suis réveillé en sursaut. Le vent mauvais de fin de saison s’était levé, et faisait craquer les poutres du toit. Je ne suis pas plus superstitieux que toi, et Halloween me fait rire ; mais pendant l’espace de quelques secondes, je me suis imaginé que l’âme de Schlom était revenue, et que c’est lui que j’avais entendu là-haut, jouer de la mandoline. Voilà.

Mon oncle s’était tu ; nous restâmes silencieux de longues minutes, lui fumant, moi sirotant cet excellent whisky, dont il m’avait versé un verre. Une question m’intriguait :

— Mon oncle, dis-je enfin, cet air de mandoline que vous avez entendu dans votre rêve l’autre nuit, était-ce un cantique d’église, ou un morceau de jazz ?

L’oncle Jacob ne répondit pas ; son chapeau de cowboy baissé sur les yeux se soulevait régulièrement avec sa respiration : comme la Sulamith du Cantique, il était parti dans ses rêves ! Depuis un bon moment, un claquement régulier se faisait entendre : le bras de la platine, parvenu en fin du disque, qui devait être rayé, tournait en rond. Il était nuit. Je me levai, replaçai délicatement la tête au début du sillon … cry me a river… ; puis sortant sur la pointe des pieds, je repris ma route vers Flagstaff.

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