Vois passer des lueurs de génie et de gloire,
Veux-tu pour un instant m’écouter et me croire ?
Combien il serait beau, fût-ce au prix de ton sang,
D’être la voix qui parle au siècle finissant ;
Quels rythmes, quels accords d’une audace inconnue
Pourraient faire au soleil éclater ta venue,
Quels chemins non frayés où sonneraient tes pas…
— Ami, ne cherche plus, tu ne trouverais pas.
Rien ne t’approchera de cet honneur insigne
Que de le mériter, que de t’en rendre digne ;
Que, des fleurs de ton âme, avec un soin pieux,
Orner la place auguste où descendront les dieux.
Prends-y sur chaque jour, d’une stricte habitude,
Un temps pour la pensée et pour la solitude.
Où, dans la paix du cloître et le recueillement,
Tu puisses te trouver toi-même à tout moment,
Qui, sans même savoir se chauffer à ta flamme,
Pour dorer son néant ferait brûler ton âme.
Car ils sont rares ceux qui, sans autre raison,
Te cherchent pour toi-même et dans toute saison.
Mais alors fuyais-tu le monde et tous ses leurres
Pour écouter en paix les voix intérieures ? …
Que de son chant profond, dans l’espace envolé,
Le rossignol emplit le silence étoilé.
De tous ceux qu’en un jour, pour un jour, on renomme,
Et sois, encore ici, de ton temps économe.
Obsèdent la mémoire et dissipent l’esprit,
Et sur tant de gravier rien ne germe et fleurit.
La grâce, la vertu, les amours, les pensées
Des siècles abolis et des races passées ;
Et, pour les fiers desseins ébauchés sous ton front,
Ce qu’il te faut savoir, ceux-là te l’apprendront.
A ne vêtir jamais de la forme suprême
Rien que d’essentiel au regard de toi-même.
Que d’aller, jour à jour, et lambeau par lambeau,
Labourer tristement son cœur et son cerveau ?
Songe au tendre Racine et songe au grand Virgile,
Et que la foi d’un monde est toute en l’Évangile.
Afin que Poésie et Sagesse soient sœurs,
Aux poètes élus tu joindras les penseurs.
Qu’elle soit d’origine ou païenne ou chrétienne,
Pourvu qu’un grand espoir la hausse et la soutienne.
S’ils pensent autrement tu comprendras pourquoi,
Et tu transposeras leur croyance à ta foi ;
Leur essor les disperse au départ de la terre,
Ils se dirigent tous vers le ciel du Mystère.
Ceux dont la vie, égale au chef-d’œuvre vanté,
Est, à titre pareil, une œuvre de beauté.
Et qui, loin des appels de la volupté basse,
Ont gardé pour l’amour la pudeur et la grâce,
Malgré l’affront de l’âge et le malheur des temps,
L’allégresse et l’ardeur de leurs premiers vingt ans.
La tristesse, où bientôt la volonté se noie,
La stérile ironie et sa gaîté sans joie.
Pleure alors, mais espère ; et, lorsqu’elle sourit,
Laisse la douce joie alléger ton esprit.
Et garde que jamais un désir ne t’amène
A jouir bassement de la misère humaine ;
En pensant éblouir, tu n’illuminerais
Que ta propre indigence et tes penchants secrets.
Le Bien avec le Mal en âpre concurrence,
Pour un spectacle offert à ton indifférence ;
Un regard pitoyable et non point curieux ;
Et d’ailleurs, vis toi-même, et cela vaudra mieux :
Les Lettres, la Science et la Philosophie ;
Jamais rien de vivant ne sort que de la vie !
Telle vie amoindrit le cœur ; je veux le tien
Sans cesse dilaté, joyeux et fort ; vis bien.
C’est le son de ton cœur qui frappera l’oreille ;
Toujours sera ton œuvre à ton amour pareille.
Rien n’en pourra sortir, si ton cœur n’a battu,
Qu’un bruit sans efficace en des mots sans vertu.
Une acclamation qui décroisse et qui meure,
Mais de laisser au monde un ferment qui demeure.
Non tromper son attente avec de vains discours,
Mais ramasser ta force et lui crier : « J’accours ! »
De servir par tes chants à la marche sacrée
De ce monde en travail qui se cherche et se crée.
Sur un chemin montant qui n’a point de retour,
Vers la Beauté, la Foi, l’Harmonie et l’Amour ;
A son vague penser ton verbe qui l’exprime,
A son obscur désir ta volonté sublime.
Et les temps à venir les retrouveront tels,
Roulant de cœurs en cœurs en échos immortels.
Laissait tomber sur eux l’obscurité suprême,
Ne t’inquiète pas, leur prix sera le même,
Avec tes actions et tes pensers divers,
Associés dans l’ombre aux fins de l’Univers.
En poésie, comme dans tous les arts, il y a des règles. On les respecte ou on ne les respecte pas.
Si on ne les respecte pas, c’est soit parce qu’on les ignore, soit parce qu’elles nous paressent inutiles.
Donc, dans tous les cas, il faut les connaître.
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Ouuups! « paraissent »
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