Babylone·Dimitri Plogrov·Théâtre

Dimitri Plogrov — Acte Premier (1)

ACTE PREMIER

Premier tableau

La salle de culte d’une église dite « charismatique ». Sur l’estrade, le pupitre du prédicateur. Au mur, une croix et le verset : « Demandez et vous recevrez. – Jean 16.24 » Des tables ont été dressées et l’on sert un buffet.

Scène Première

DOS PESOS – THÉOPHILE – PRISCILLE – membres et sympathisants de l’église

DOS PESOS

L’Esprit saint se révèle au milieu de ce culte.
Noble agitation, ineffable tumulte !
Goûtez cet Épernay fleurant bon son terroir.

THÉOPHILE

Sa robe est translucide et fait plaisir à voir.

PRISCILLE 

Servez-le, bon berger dans sa coupe vermeille.

DOS PESOS

Vous aurais-je menti ?

PRISCILLE 

                                   Non, c’est une merveille.

DOS PESOS

Que dites-vous, Priscille, de l’excellent buffet
Que nous avons dressé ?

PRISCILLE 

                                     Mon ami, c’est parfait.

THÉOPHILE

Caviar, homard, pommard, toute cette opulence…

DOS PESOS

Ces crus millésimés viennent tout droit de France,
Nos caves sont remplies, nos greniers bien fournis.
Ne l’ai-je pas prêché ? Oui, Dieu nous a bénis.
Nous avons amassé des croyants les offrandes.
Notre théologie n’est pas une légende :
Donnez, donnez encore, il vous sera donné ;
L’avare, dans les cieux, ne sera pardonné.
L’oint par Dieu désigné mérite son salaire ;
Soyez donc généreux, vous deviendrez prospères.
C’est ce que dans nos chœurs chaque jour nous chantons
En majeur, en mineur, sur les vingt-quatre tons.
C’est pour les temps nouveaux le nouvel Évangile.
Au ministre il assure la carrière tranquille.
Finis les fâcheux mots, convoitise, péché.
« Il vous faut être saints ! » On nous l’a trop prêché.
Menaces de l’enfer, du feu de la géhenne
Qui faisaient passer Dieu pour un croquemitaine.

THÉOPHILE

Quelle idée !

DOS PESOS

                   J’ai bâti tout seul et sans un sou
Cette œuvre merveilleuse. On m’a pris pour un fou.
Nous n’étions que nous trois, le soir dans ma cuisine ;
L’Esprit nous a conduits pour fonder notre usine.
Rejetons d’autrefois les préceptes usés
Et toute l’exégèse, art lourd et malaisé
Et l’eschatologie, si pénible science,
Nous embrouillent en vain. Et place à l’espérance !
Fabricant de miracles, artifices des yeux,
Je me suis proclamé l’apôtre du grand Dieu.
Je suis fort ignorant du livre des prophètes,
Pourtant, ma renommée de grand pasteur est faite.
Au diable les sermons ! Que les distractions
Donnent un nouvel air à l’adoration !
Danses et jeux sans cesse et concerts de louange !

THÉOPHILE

De sacré, de profane incroyable mélange.

DOS PESOS

Ceci, mon cher second, vous froisse-t-il ?

THÉOPHILE

                                                               Non point.
J’ai toujours bien servi mon Seigneur et son oint.

DOS PESOS

L’oint de Dieu, je le suis. Qui donc trouve à redire ?
Et j’ai fait de ce temple un véritable empire,
Prêchant du Dieu des cieux la générosité :
C’est lui qui multiplie votre argent, apportez !
De vous tous il saura diriger la carrière
Et vous verrez neiger la manne financière.
N’ayez point d’avarice et soyez généreux ;
Il bénit ceux qui donnent, méprise les peureux.
Par des dons abondants la foi se manifeste.
Donnez la double dîme au trésorier céleste
Et vous verrez bientôt vos rêves s’accomplir :
Limousines, voiliers, vous devez réussir
Et le monde incrédule, voyant votre puissance
Rempli de jalousie gardera le silence.

PRISCILLE 

Révérend Dos Pesos, apôtre bien nommé,
Orateur si brillant, dirigeant renommé,
Vous qui savez si bien nous donner du courage ?
Dispensez toute joie, tout bonheur en partage,
J’ai deux ou trois questions, car mon cœur est troublé.

DOS PESOS

Une question ? J’écoute.

PRISCILLE 

                                     Il me vient à trembler.
J’entends parfois prêcher de terribles augures :
Certains disent ainsi qu’en des années futures
Perché sur des nuées le Seigneur reviendrait.
Si c’était pour demain ! Il faut se tenir prêts.
Les chrétiens seulement, convertis et sincères
Seraient alors soustraits à sept ans de misère.

DOS PESOS

L’enlèvement ! Allons ! Vous y croyez ?

PRISCILLE 

                                                             Moi ? Point.

DOS PESOS

Quelques pasteurs vieillots nous en font tout un foin.

PRISCILLE 

C’est dans l’Apocalypse, et Daniel, le prophète.

DOS PESOS

Qui donc vous aura mis ces idées dans la tête ?

PRISCILLE 

Samuel.

DOS PESOS

            Celui-là ? Ça ne m’étonne pas !
Un jour il conduira mon vieux corps au trépas.
Toujours nous fatiguer avec Matthieu vingt-quatre.
Armé de ses versets toujours il veut combattre.
Un triste rabat-joie, prophète de malheur,
Religieux grincheux sans cœur et sans chaleur.
Toujours contredisant ! J’avoue qu’il me rend chèvre.
Il a toujours ces mots démodés sur les lèvres :
Repentance et pardon, des mots à faire peur.
Que Jésus reviendrait dans les jours de douleur
Enlever ses enfants, tels ballons de baudruche.
Il en est qui le croient. Faut-il être un peu cruche !

PRISCILLE 

Dans la Première épître aux Thessaloniciens…

DOS PESOS

C’est après les mille ans. Croyez-moi, tout se tient.
Oubliez, s’il vous plaît, toutes ces balivernes.
Que l’Esprit vous conduise, et, pour votre gouverne,
Si l’on veut sans périr un jour monter au ciel…

(David intervient dans la conversation.)

Scène II

DOS PESOS – THÉOPHILE – PRISCILLE – DAVID – membres et sympathisants de l’église

DAVID

N’auriez-vous vu passer le diacre Samuel ?

DOS PESOS

Non.

THÉOPHILE

        Non.

PRISCILLE

     Ma foi nenni.

DOS PESOS

                                      Il n’aime pas la fête
Et quand nous ripaillons Monseigneur fait sa tête.
Ce dimanche est voué à la défection.
J’attendais Apollos pour la prédication,
J’ai donc improvisé, sinon point de message.

THÉOPHILE

De l’art homilétique vous faites bon usage,
D’exégèse jamais vous ne vous encombrez.

DOS PESOS

À quoi servirait-elle ? À quoi bon palabrer ?
Il faut des textes creux pour qu’on les assimile,
Remplissant les esprits de promesses futiles.

DAVID

Mais Samuel ?

DOS PESOS

                        Sans doute il est rentré chez lui.
On ne le voit jamais, ce n’est pas d’aujourd’hui,
Aux fêtes de l’église, aux agapes des frères,
Mais pour nous éclairer se répand en prières.
Il nous croit dans l’erreur et lui dans la raison.

DAVID

Notre frère n’est pas rentré dans sa maison.

PRISCILLE

En es-tu sûr ?

DAVID

                        J’ai appelé, point de réponse.
Il se trouvait ici au moment des annonces.

PRISCILLE

Lui qui disant toujours que Christ l’enlèverait,
S’il se trouvait au ciel ? Peut-être il disait vrai.

DOS PESOS

Oui, vous avez le sens de la plaisanterie.
J’apprécie votre humour. Ce qui me contrarie
C’est qu’il sème toujours le doute dans les cœurs :
« Et s’il avait raison ? » J’en connais qui ont peur.

THÉOPHILE

Ne nous emballons pas. Tous les croyants honnêtes
Ne se laissent troubler par de telles sornettes.

PRISCILLE

Et pourtant… S’il avait prêché la vérité !
J’en aurais le cœur net. Mon cœur est agité.

(Elle appelle au téléphone.)

Il a son répondeur.

THÉOPHILE

                            Dis-moi ce que ça prouve.
Il s’est allé cacher pour ne pas qu’on le trouve.

PRISCILLE

Je serai rassurée quand on l’aura trouvé.

DOS PESOS

Il serait donc le seul de la terre élevé,
Favori du Seigneur ? Ridicule croyance !
Pour lui le paradis et pour nous la souffrance !

PRISCILLE

Je ne badine plus.

DOS PESOS

                           Buvons à la santé
Du juge Samuel et de sa sainteté.

(sort David, entre Apollos)

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