Classiques, Réflexions

Ripitchip – Le chevalier idéal

     Sur l’illustration de l’article précédent (Eustache, la griffe tranchante du Lion), nous voyons une souris qui regarde Eustache avec un regard malicieux et bienveillant. Il s’agit bien sûr de Ripitchip, un personnage particulièrement attachant du royaume de Narnia. Il participe à la chute du roi Miraz en faisant preuve d’un grand courage au combat. Aslan le récompense en lui faisant pousser une nouvelle queue, car celle-ci a été coupée par un Telmarin. Par la suite, il devient un fidèle conseiller du roi Caspian X et l’accompagne même pour une expédition, à bord du bateau prénommé le Passeur d’Aurore.

Introduction et sommaire de la série : la Grâce dans Narnia

Un idéal chevaleresque

     Lewis, professeur de littérature médiévale, appréciait beaucoup les traditions de la chevalerie. Il a écrit à ce propos un article intitulé La nécessité de la chevalerie, publié le 17 août 1940 (alors que la bataille d’Angleterre faisait rage), dans lequel il écrit sur l’idéal chevaleresque :

L’important à propos de cet idéal est évidement la double exigence faite à la nature humaine. Le chevalier est un homme de sang et d’acier, un homme habitué à la vue de visages ravagés, de moignons en lambeaux de membres arrachés. Il sait aussi être un convive discret, presque comme une demoiselle, dans les dîners, un modeste doux, jamais inopportun. Il n’est pas un compromis, un juste milieu entre la férocité et la douceur; il est féroce au dernier degré et doux au dernier degré. 

     Et lorsqu’il s’interroge sur l’intérêt de telles valeurs pour aujourd’hui :

Vous pourriez demander quelle est la pertinence de cet idéal pour notre monde moderne. Il est tout à fait pertinent. Il se peut qu’il ne soit pas réalisable — le Moyen-âge est connu pour ne pas avoir réalisé cet idéal — mais il est absolument nécessaire. Nécessaire comme l’est l’eau à un homme dans le désert ; il doit la trouver ou mourir.

     Ripitchip est peut-être l’image la plus frappante de cet idéal dans l’œuvre de Lewis. Nous le rencontrons pour la première fois alors que Caspian part à la rencontre des survivants du vieux Narnia :

Elle était, naturellement, plus grande qu’une souris ordinaire – mesurant soixante centimètres, quand elle se tenait sur ses pattes arrière – et elle avait des oreilles presque aussi longues (bien que plus larges) que celles d’un lapin. Son nom était Ripitchip ; c’était une souris gaie et martiale qui portait une minuscule rapière à son côté, et tordait ses longues moustaches aussi crânement qu’un vieux capitaine.
Le Prince Caspian, Gallimard Jeunesse, chapitre 6, p. 87

     Paul Gosselin fait un parallèle très intéressant entre Ripitchip et D’Artagnan des Trois Mousquetaires, en notant que les deux personnages sont particulièrement sensibles sur la question de leur honneur et de leur fierté… Alors, est-ce que Lewis s’est inspiré d’Alexandre Dumas ? Il faut lire à ce propos cet article passionnant. Comme la plupart des bêtes parlantes, Ripitchip promet immédiatement fidélité à Caspian en tant que dirigeant légitime :

— Nous sommes douze, Sire, déclara-t-il, en exécutant un salut fougueux et plein de grâce. Et je mets sans réserve toutes les ressources de mon peuple à la disposition de Votre Majesté.
Le Prince Caspian, Gallimard Jeunesse, chapitre 6, p. 87

     Il est décrit comme une souris gaie et martiale, c’est-à-dire qu’il contient en lui-même ce que Lewis appelle le paradoxe du chevalier : à la fois féroce et doux, courtois et prêt à se battre lorsque c’est nécessaire. Tout au long de l’histoire, nous voyons ces deux aspects de la personnalité de Ripitchip. Lui et ses camarades souris démontrent immédiatement leur courage :

Ripitchip et ses souris déclarèrent que conseil et festin pouvaient tous deux attendre et proposèrent d’attaquer Miraz dans son propre château cette nuit même.

   Plus tard, au moment de la bataille, lui et sa troupe vont se lancer vaillamment dans le combat, malgré les protestations de Peter. Les petites souris courent entre les pieds des combattants et distribuent des coups d’épée dans les pieds. Si les ennemis tombent, elles les achèvent, s’ils ne tombent pas, d’autres s’en chargent. Cela fait écho à la fable de Jean de la Fontaine, le Lion et le rat :

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
Le Lion et le Rat, Jean de La Fontaine (lire en entier)

   Pour nous, les hommes, Ripitchip incarne un idéal, celui d’être de vrais chevaliers, aussi courageux que doux, en Christ et pour Christ.

Tous pour un (un pour tous)

     Ripitchip est gravement blessé dans la bataille et ses onze compagnons l’amènent à la reine Lucy sur une litière. Elle utilise son cordial et Ripitchip guérit immédiatement. Mais, à sa grande horreur, le chevalier souris découvre qu’il a perdu sa queue. Aslan assure au chevalier qu’il n’a pas besoin d’une queue, mais Ripitchip répond :

— Sire, dit la souris, je peux manger, dormir et mourir pour mon roi sans elle. Mais une queue, c’est l’honneur et la gloire d’une souris.

      Ripitchip explique ensuite que ce sens de l’honneur vient d’une réalité de la nature : leur petite taille qui entraîne des moqueries. Il faut que tout le monde comprenne que l’on se moque d’une souris à ses risques et périls. Les autres souris tirent leurs épées, et quand Aslan leur demande pourquoi, l’une d’elles dit :

— N’en déplaise à Votre Majesté, répondit la seconde souris, qui s’appelait Pripicik, nous sommes tous prêts à nous couper la queue si notre chef doit ne pas recouvrer la sienne. Nous ne supporterons pas la honte de profiter d’un honneur qui sera refusé à la noble souris.

     C’est un mouvement magnifique de solidarité et d’amour pour leur chef, que nous trouvons encore aujourd’hui dans différents corps d’armée. Cela touche profondément Aslan. Le Lion répond :

— Ah ! rugit Aslan. Vous m’avez vaincu. Vous avez de grands cœurs. Ce n’est pas par égard pour votre dignité, mais pour l’amour qui existe entre vous et vos compagnes, et encore plus pour la bonté que vos semblables m’ont témoignée, il y a des siècles, lorsqu’elles ont rongé les cordes qui m’attachaient à la Table de Pierre (et c’est alors, bien que vous l’ayez oublié depuis longtemps, que vous êtes devenues des souris parlantes), c’est donc pour cette raison que vous retrouverez votre queue.

   Le bataillon des souris ne recherchait ni le succès ni le prestige à travers cet acte de bonté. Mais l’un des leurs souffre et tous les membres du groupe souffrent avec lui :

 Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. 
1 Corinthiens 12.26

     Le courage des souris parlantes n’est finalement rien sans leur douceur, leur honneur et leur solidarité. Laissons la place à Lewis lui-même, dans l’article que nous citions au début :

 Il est peut-être possible, ou peut-être pas, que nous puissions produire par milliers des hommes qui combinent les deux facettes du caractère de Lancelot (qui est certainement la première inspiration de Ripitchip, ndlr). Mais si ce n’est pas possible, alors tous les discours de bonheur durable ou de dignité dans la société humaine ne sont que vaines paroles.

En quête du Pays d’Aslan

     Nous retrouvons notre chevalier Ripitchip plus tard, dans l’Odyssée du Passeur d’Aurore. Il est en quête du Pays d’Aslan (une image du Paradis), guidé par une berceuse récitée par sa nourrice quand il était souriceau :

Là où le ciel et la mer se confondent
Là où s’adoucissent la houle et l’onde
Toi, Ripitchip, jamais ne douteras
De trouver ce que tu cherches, là-bas
Car c’est là l’extrême Orient du monde. 

     Au terme de leur odyssée, ils parviendront aux portes du Pays d’Aslan et Ripitchip sera le seul membre de l’équipage à y entrer. Avant d’y aller, il abandonne sa rapière en la jetant dans la mer. Puis, il embarque dans son canoë (une coquille de noix) et s’aventure sur l’immense vague qui sert de muraille au Pays de son cœur.

Ils ne tentèrent même pas de le retenir car, à présent, tout donnait l’impression d’avoir été écrit quelque part, ou de s’être déjà produit auparavant. Ils l’aidèrent à descendre son petit canoë.  Puis il dégaina son épée (« Je n’en aurai plus besoin », dit-il) et la lança au loin dans la mer couverte de nénuphars. Là où elle tomba, elle resta plantée tout droit, la poignée au– dessus de la surface.
L’odyssée du passeur d’aurore, Gallimard Jeunesse, chapitre 16, p. 257

     Le moment où Ripitchip jette son épée est magnifique. La petite rapière prend des airs d’Excalibur jetée dans le lac. Ripitchip a vécu pour l’honneur et la bravoure, c’est toujours premier à entrer dans un combat, et son habileté à l’épée est l’un de ses grands talents. Qu’a-t’il ressenti à l’abandonnant ? Il a compris qu’il en aura plus besoin, mais cela a dû être vraiment difficile.

     C’est ensuite l’heure des adieux. Lucy, Edmund et Peter sont tristes, car ils savent qu’ils ne reverront plus jamais Ripitchip dans ce monde. Mais Ripitchip lui-même n’est pas triste, il « frisonne de bonheur ». Comme Énoch et Élie dans la Bible, il est emmené directement au ciel sans mourir.

Alors qu’ils continuaient à marcher tout en parlant, un char et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre et Elie monta au ciel dans un tourbillon. Elisée regardait tout en criant : « Mon père ! Mon père ! Char et cavalerie d’Israël ! » Puis il ne le vit plus. Il prit alors ses habits et les déchira en deux.
Il ramassa aussi le manteau qu’Elie avait laissé tomber et repartit. Il s’arrêta sur la rive du Jourdain…
2 Roi 2 11-13 (S.21)

     Quelque temps auparavant, alors que l’équipage se rapprochait du bout du monde, Ripitchip avait dit à Edmund et Lucy :

Mes propres plans sont arrêtés. Tant que cela m’est possible, je vogue vers l’est à bord du Passeur d’Aurore. Quand le bateau ne me le permettra plus, je pagaierai vers l’est dans mon canoë. Quand il aura coulé, je nagerai vers l’est de toute la force de mes quatre pattes. Et quand je n’aurai plus la force de nager, si je n’ai pas encore atteint le pays d’Aslan, ou basculé pardessus le bord du monde dans une vaste cataracte, je coulerai, le nez tourné vers le soleil levant…

     Est-ce que nous avons  un désir similaire dans nos cœurs pour réponde à la Grâce divine ? Un appel si puissant à laisser le monde derrière nous pour naviguer vers un autre monde, aux contours pourtant flous ? L’affirmation de Ripitchip est tout simplement l’appel de la vie chrétienne.

Alors Jésus dit à ses disciples : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive.
Matthieu 16.24

     Lorsque nous réalisons l’étendue de la Grâce de Dieu, nous mourrons naturellement à nous-mêmes, chaque jour un peu plus, pour nous rapprocher de Dieu. Laissons Ripitchip nous inspirer !

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