Classiques, Réflexions

Jill Pole – Le silence du Lion

     Une des choses importantes que nous avons remarquée à propos des enfants de Narnia est qu’ils ne sont pas parfaits. Ils sont pécheurs, comme tous les enfants du monde. Peter, l’aîné, est orgueilleux et veut s’en sortir par lui-même, Edmund est un traître, recherchant son intérêt personnel, Susan convoite, et Lucie, la plus jeune, malgré ses qualités, est subtilement jalouse de la beauté de sa sœur. Eustache, le cousin des Pevensie, est décrit comme une véritable calamité. Mais alors, comment les enfants de Narnia réussissent-ils à devenir ce qu’ils doivent être pour vivre avec Aslan ? Grâce à Aslan lui-même. Le grand Lion les appelle à Narnia et leur donne également les moyens de grandir. Cette semaine, nous allons regarder vers une autre héroïne incontournable de Narnia : Jill Pole, une amie d’Eustache que l’on rencontre dans le Fauteuil d’argent.

Lire l’introduction et le sommaire de la série

Il n’y a pas d’autre ruisseau

     Au début du Fauteuil d’argent, Jill et Eustache sont attirés dans Narnia au sommet d’une falaise, au bord du vide. Très vite, le caractère de Jill se révèle :

Jill faisait partie de ces personnes qui ont la chance de ne pas avoir peur du vide. Elle ne voyait pas le moindre inconvénient à se tenir au bord d’un précipice. Cela l’énerva plutôt de sentir Eustache la tirer en arrière – « exactement comme si j’étais une gamine », pensa-t-elle – et elle dégagea sa main. Quand elle vit à quel point il avait pâli, elle ressentit du mépris pour lui.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 1, p. 20

     Elle méprise son ami qui essaie de la tirer loin du vide. Mais Jill va commencer elle-même à ressentir un vertige et à chanceler. Eustache se précipite pour la rattraper, mais c’est finalement lui qui tombe. Après ce drame, comment Jill se justifie-t-elle ? Elle se trouve des excuses ! Ce n’est pas sa faute :

Qu’est-ce que j’aimerais que nous ne soyons jamais venus dans cet endroit terrible ! se disait-elle. Je pense que Scrubb ne le connaissait pas mieux que moi. Ou alors, il n’avait pas à m’y emmener sans m’avertir des dangers qui nous attendaient. Ce n’est pas de ma faute s’il est tombé de la falaise. Il n’avait qu’à me laisser tranquille et tout irait très bien maintenant pour nous deux.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2

     Peu après, elle entend le clapotis d’un cours d’eau. Elle rassemble son courage pour trouver ce ruisseau, tiraillée par la soif.  Mais quelque chose la surprend. Juste à côté du cours d’eau, il y a le Lion. Elle comprend immédiatement qu’il a tout vu. Elle se trouve alors devant un dilemme : étancher sa soif intense ou fuir devant le Lion ? Le Lion l’invite :

— Tu peux boire, si tu as soif.
C’étaient les premiers mots qu’elle entendait depuis qu’Eustache lui avait parlé au bord de la falaise.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2, p. 27

     Elle n’est pas vraiment rassurée et ne bouge pas. Mais le Lion l’invite à nouveau. Lorsqu’elle réalise pleinement la situation, Lewis écrit :

Elle n’en fut pas moins effrayée pour autant, mais d’une façon assez différente.

     Elle a encore peur, mais pas ce n’est vraiment la même peur que devant un lion rencontré en pleine savane. Cela nous rappelle la crainte de Dieu, qui n’est pas de la peur au sens littéral : c’est la prise de conscience de sa Majesté, tout simplement. Et la soif de Jill est clairement une sorte de soif spirituelle. Elle a vraiment très soif et cela nécessite forcément de baisser les yeux devant le Lion :

— Il n’y a pas d’autre ruisseau.
Jill ne fut jamais tentée de mettre en doute la parole, du lion – jamais aucun de ceux qui avaient pu voir la gravité de son visage n’avait douté de lui – et, tout d’un coup, elle se décida sans y penser. C’était la chose la plus difficile qu’elle eût jamais eu à faire, mais elle avança jusqu’au ruisseau, s’agenouilla et commença à prendre de l’eau dans le creux de sa main, c’était l’eau la plus froide, la plus rafraîchissante qu’elle eût jamais bue. On n’avait pas besoin d’en boire beaucoup, car elle étanchait la soif d’un seul coup. […] Elle finit par se trouver pratiquement entre ses deux pattes de devant, les yeux dans ses yeux à lui. Mais elle ne put tenir longtemps et elle abaissa son regard.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2, p. 29

     Aslan a appelé Jill à Narnia et commence par étancher sa soif. Il sait pourtant exactement ce qu’elle a fait et la noirceur de son caractère, mais son regard est rempli de compassion.

Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s’écria: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive.
Jean 7:37

Suis les signes

     Après s’être abreuvée, Jill Pole obtient une mission qui ressemble à une aventure, un peu comme Jonas lorsqu’il reçoit la mission d’aller à Ninive. Un roi et un prince (Caspian et son fils Rilian) doivent être réunis, et c’est Jill qui doit retrouver le prince perdu.

 — Comment allons-nous faire, s’il vous plaît ? demanda Jill.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2, p. 31

     Jill reçoit alors quatre signes qu’elle devra suivre impérativement pour accomplir sa mission. Alors que le Lion termine, Jill remercie et dit simplement qu’elle a compris. Aslan réplique :

— Mon enfant, lui dit-il d’une voix plus douce qu’avant, peut-être n’as-tu pas compris aussi bien que tu le crois. Mais ta première chose à faire, c’est de te souvenir. Répète après moi les quatre signes, dans l’ordre.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2, p. 32

     Jill essaye de retenir, mais n’y parvient pas immédiatement. Alors le Lion la corrige et lui fait répéter encore et encore jusqu’à ce qu’elle puisse les dire parfaitement :

— Ne bouge plus. Je vais souffler dans un instant. Mais, d’abord, rappelle– toi, rappelle-toi, rappelle-toi les signes. Répète-les le matin quand tu t’éveilles, quand tu te couches le soir, et si tu te réveilles au milieu de la nuit. Quoi qu’il puisse t’arriver d’étrange, ne laisse rien te détourner des signes. Et de plus, je vais te mettre en garde. Ici, sur cette montagne, je t’ai parlé clairement mais je ne le ferai plus guère, là-bas. A Narnia. ici, sur la montagne, ton esprit a la limpidité de Pair environnant ; quand tu atterriras à Narnia, l’air s’épaissira. Prends bien garde qu’il ne mette pas la confusion dans ton esprit. Et les signes que tu as appris ici ne ressembleront pas du tout à ce à quoi tu t’attends, quand tu les trouveras là-bas. C’est pourquoi il est si important de les connaître par cœur et de ne pas s’arrêter aux apparences. Souviens-toi des signes. Aie foi dans les signes. Rien d’autre ne compte. Et maintenant, fille d’Ève, adieu !
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 2, p. 33

     Ce passage vous dit certainement quelque chose, car vous l’avez déjà lu quelque part :

  Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.  Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.  Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.
Deutéronome 6:6-9

     Or, nous connaissons ce qui se passe pour le peuple Hébreux : il  va oublier les 10 commandements. Nous connaissons aussi la réaction de Jonas devant sa mission :

Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la présence de l’Eternel.
Jonas 1.3

     Jill emprunte le même chemin et  va oublier les signes confiés par Aslan :

— Êtes-vous toujours sûre de ces signes. Pole ? Quel est celui qu’on devrait être en train de chercher ?
— Oh ! au diable les signes ! répondit-elle avec humeur. Un truc à propos de quelqu’un qui devait évoquer le nom d’Aslan, je crois. Mais ici, je ne vais certainement pas me lancer dans une récitation.
Comme on voit, elle se trompait sur l’ordre des signes. C’était dû au fait qu’elle avait négligé de se les redire chaque soir.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 7, p. 109

     Au lieu d’aller sous la ville en ruine comme on lui avait dit de le faire, elle se réfugie au château de Harfang, cherchant du réconfort contre le mauvais temps. Le choix de la facilité et du chemin large ! La perte des signes la rend triste et entraîne de la culpabilité :

— C’est ma faute, dit-elle avec un accent désespéré. J’ai… j’ai abandonné la répétition des signes tous les soirs Si je les avais eus en tête, j’aurais pu voir qu’il s’agissait d’une cité, même avec toute cette neige.
Le Fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse, chapitre 8, p. 128

     Ce qui est notable est qu’Aslan n’apparaît presque pas durant la totalité du livre. Silence radio (sauf une fois dans un rêve, où Aslan les guide vers le monde souterrain) ! En fait, il est présent dans chaque événement, mais sans rendre sa présence sensible (un peu comme dans le livre d’Esther). Jill se sent abandonnée, mais elle a bu à la source de la vie. Aslan veille sur elle et sur chacun de ses pas, y compris ceux qui vont dans la mauvaise direction !

     C.S Lewis parle de ce sentiment d’abandon, que nous avons probablement tous connus, dans son livre Tactiques du Diable, où Screwtape (un démon dont le but est de faire chuter l’homme) écrit à son neveu (un apprenti tentateur) :

Bien des fois, tu as dû te demander pourquoi l’Ennemi (Dieu, ndlr) ne fait pas un usage plus fréquent de son pouvoir de rendre sa présence sensible à l’âme humaine avec toute l’intensité voulue chaque fois qu’il le souhaite. Mais maintenant tu comprends pourquoi l’irrésistible et l’indiscutable sont deux armes que son système lui interdit d’employer. […] Il est prêt à leur donner un petit coup de pouce au début, à les lancer en leur accordant un certain sens de sa présence – qui bien que ténu peut leur sembler sublime – un sentiment de bonheur et la victoire facile sur la tentation. Mais cet état de choses ne saurait durer. Tôt ou tard, il retire ces appuis, ces stimulants – peut-être pas en fait, mais la créature n’en est plus consciente. Et elle est obligée de voler de ses propres ailes, de faire son devoir en se forçant parce qu’elle n’y trouve plus de goût. C’est là, dans le creux de la vague, beaucoup plus que sur la crête, qu’elle devient le genre de personne qu’il voudrait qu’elle soit. Aussi les prières qu’elle lui offre dans cet état de sécheresse spirituelle sont celles qu’il préfère.
C.S. Lewis, Tactiques du Diable (Lettre VII)

     Jill et Eustache finissent par retrouver Rillian. A la toute fin de l’histoire, Aslan apparaît de nouveau et dit :

— Ne pensez plus à ça. Je ne vais pas vous gronder sans arrêt. Vous avez fait le travail pour lequel je vous avais envoyés à Narnia.

  Jill a voulu suivre son instinct égoïste et s’opposer au plan d’Aslan. Mais bien que Jill ait désobéi initialement, le travail pour lequel elle a été envoyée a été fait. Elle nous montre que Dieu a un plan pour nous tous et qu’il utilise même nos manquements et nos péchés pour Sa gloire. La Grâce de Dieu est une adoption inconditionnelle, voilà ce qui la rend si merveilleuse !

  Et nous, est-ce que nous attendons de Dieu des signes irréfutables ? Doutons-nous de l’amour de notre Père ? Sachons nous contenter de ses promesses et ne négligeons pas la lecture et la mémorisation de la Parole…

Illustration de couverture : Jill, par Pauline Baynes, dans Le fauteuil d’argent, Gallimard Jeunesse

4 réflexions au sujet de “Jill Pole – Le silence du Lion”

  1. Bonjour David, je n’ai jamais eu envie de lire Narnia, je suis plus du tout amateure de fantasy…. (même si dans mon adolescence j’ai lu le Seigneur des Anneaux, et de la science fiction) mais tu me mets le « bonbon à la bouche » (expression perso 😉) par tes présentations… Lequel me conseilles-tu de lire en 1er ? Sachant que peut-être je ne lirai que celui-là !

    Aimé par 1 personne

    1. Excellente idée ! Je te conseille « Le cheval et son écuyer », qui est mon préféré et se lit très bien indépendamment des autres. J’en parle dans la suite de la série, alors attention aux « spoilers » !

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