Le Forgeron d'Audresselles·Théâtre

Le Forgeron d’Audresselles (16)

Onzième tableau

La forge

Scène première

CLAIRE – MICHEL – BOCQUILLON – CASSAGNAC – TAILLEBOS

MICHEL

Est-ce que notre père guérira ?

TAILLEBOS

Il guérira certainement. C’est un coup de sang. J’aurais dû le prévoir, mais mon attention était ailleurs. De telles émotions et le retour à l’alcool qu’il avait abandonné ! Qu’est-ce qui lui a pris de revenir au whisky ? Le chien est retourné à ce qu’il avait vomi. Par une grâce de Dieu, bien que je ne sois plus médecin, j’ai toujours ma lancette avec moi. Je dois toutefois vous prévenir qu’il ne retrouvera pas sa vigueur. Il est temps pour toi, Michel, de prendre sa place à la forge.

CLAIRE

Est-ce qu’il se souviendra de son horrible confession ?

TAILLEBOS

Je ne crois pas. Il était sous l’emprise de la boisson.

CLAIRE

Pouvez-vous alors me faire la promesse d’en garder le secret afin qu’il termine ses jours en paix ? Il faudra pourtant qu’un jour je lui parle… Dieu me montrera le bon moment.

MICHEL

Je t’en fais la promesse.

CASSAGNAC

Moi aussi.

TAILLEBOS

Moi aussi.

CLAIRE

Et vous, Messire Bocquillon ?

BOCQUILLON

Ma fille, comme vous l’avez dit, ceci était une horrible confession. Je ne puis la dévoiler.

****

CLAIRE

Messire Bocquillon
Persévérez-vous dans la résolution
De me vouloir chasser d’Audresselles ?

BOCQUILLON

Mon enfant…

CLAIRE

                        Oui, je suis une fille rebelle.
Mais je ne pourrais pas, – en êtes-vous conscient ? –
Abandonner mon père après cet accident.
Il tua mes parents, innocentes victimes,
Mais je l’aime et pardonne en dépit de son crime.
Je prierai que Dieu pardonne son péché,
Que par le sang de Christ son forfait soit lavé.
Messire, n’est-ce pas ce que dit l’Évangile ?

BOCQUILLON

Mon enfant…

CLAIRE

                                   À m’exiler en ville
Nul ne me contraindra.
Pour soigner le père Mauprat
Qu’il se relève ou bien qu’il meure,
Auprès de lui je demeure.
Ma vie appartient à Dieu
Et je le servirai en ce lieu.

MICHEL

Nous le servirons, Messire,
Et vous aurez beau dire :
Moi et ma maison, nous voulons servir
L’Éternel, et pour lui ne craignons de mourir.
Ainsi dit Josué dans sa parole sainte
Et nous l’imiterons sans feinte.
Cette forge n’est pas offerte au Vatican
Et nous la consacrons au Dieu vivant.

BOCQUILLON

Votre décision est donc prise.
Vous reniez Rome et l’Église.
Nous n’avons donc plus rien à partager.
Il est temps pour moi de prendre congé.

****

CLAIRE

Notre dessein n’est pas de vous offenser. Si vous partez, ne nous quittez pas en ennemi. Mon père aura besoin de vous. Vous serez toujours bien reçu dans cette maison.

BOCQUILLON

Merci, ma fille. Au regard des circonstances, il vaudrait mieux oublier cette querelle. Vous pourrez rester ici aussi longtemps que vous le voulez, et vous aussi, mon garçon. Vous pouvez également conserver votre bible, puisqu’elle vous est si précieuse.

(Il sort.)

CASSAGNAC

Il m’est inutile d’essayer de vous convaincre de me suivre. Notre Dieu vous a destiné à le servir dans cette forge et de veiller sur la vieillesse de Mauprat. En lui accordant votre pardon, vous avez agi comme l’aurait fait Jésus-Christ lui-même. Je vais reprendre la route. J’ai établi mes quartiers chez le drapier Chabanut, à Calais. J’espère que vous nous y rendrez bientôt visite.

CLAIRE

Nous n’y manquerons pas. Que Dieu vous bénisse.

(Sort Cassagnac.)

TAILLEBOS

Eh bien ! Après toutes ces émotions, il est temps que je retrouve ma vieille pipe et ma place près de la cheminée. Je reviendrai demain voir notre ami Mauprat et lui prodiguer quelques soins.

(Il sort.)

****

Scène II

CLAIRE – MICHEL – CHŒURS

CLAIRE

Enfin, tous les deux, seuls !

MICHEL

Un horrible linceul

Enveloppe mon âme.

CHŒURS

Un horrible linceul
Enveloppe ton âme.
De ce pénible drame
T’accablent les lourds souvenirs.

MICHEL

Chargé de trop pesantes chaînes,
Je ne puis contenir ma peine.
Seigneur ! Qu’allons-nous devenir ?

CHŒURS

Les silencieux sanglots
Sur ta joue répandent leurs flots.

CLAIRE

N’aie pas honte de tes larmes.
Nous n’avons pas d’autres armes
Pour combattre notre malheur.
À quoi bon retenir nos pleurs ?

CHŒURS

Pour lutter contre un tel malheur
Il ne nous reste que les pleurs.

CLAIRE

Laisse sur ta plaie douloureuse
Glisser ma main si chaleureuse.
Laisse mes lèvres sur ton front
Te faire oublier cet affront.

MICHEL

Ayons pitié de notre père.
Qu’il soit sauvé de sa misère
Car le Ciel nous a fait le don
De la clémence et du pardon.
Il a donné la vie nouvelle
Et cette espérance éternelle.
Que notre amour et notre foi
Merveilleux don du Roi des rois
Touche son cœur à repentance.

CHŒUR

Puissent tant d’amour et de foi
Merveilleux don du Roi des rois
Laver son cœur de cette offense.
Oui, le Christ lui pardonnera.
Sans relâche priez pour l’âme de Mauprat.
Et détournez de Dieu la colère.

CLAIRE

Laisse parler ton cœur, mon pauvre frère.
Sonde bien le fond de mes yeux
Et dans mon regard gracieux
Ne lis-tu pas mon doux message ?
Ne vois-tu pas sur mon visage
Mon pur amour s’épanouir ?
Ne veux-tu donc pas l’accueillir ?
Ce feu, nul ne pourra l’éteindre
Alors qu’attends-tu pour m’étreindre ?

MICHEL

Claire, tu savais que je t’aime.
En ce jour de chagrin suprême
Tu me dévoiles tout ton cœur.
Le mien se brûlait de terreur
Tant de te perdre la pensée
En mon cœur était arrêtée.
Oui, tes grands yeux m’ont terrassé.

CLAIRE

Qu’attends-tu donc pour m’embrasser ?

MICHEL

Oui, l’amour divin nous rassemble
Et nous pourrons tous deux ensemble
Servir Dieu comme Josué.

CLAIRE

Qu’attends-tu donc pour m’épouser ?

CHŒUR

Le jour se lève, le vent s’apaise.
Les vagues meurent, les flots se taisent.
Adieu la peur, adieu la nuit.
Adieu terreurs, passez sans bruit.
Dans le jour pâle
La mer d’opale
Garde un horrible souvenir
Du naufrage et de ses martyrs.
Mais voici qu’une heure nouvelle
À l’espérance nous appelle.
Voici venu le jour du pardon,
Jour de salut de guérison.
Voici la foi victorieuse
De la destinée furieuse.
Voici l’amour qui tout guérit.
Voici l’amour, fruit de l’Esprit.
Voici deux flammes réunies
Voici l’amour, voici la vie.
Les lourds péchés sont expiés.
Le mal en bien s’est transformé.

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